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après, l’ouvrier toujours pleurant et le chapeau à la main, était
debout derrière la porte de l’entrée. Il paraissait ne pouvoir se
résoudre à quitter cette maison où il osait à peine pénétrer tout à
l’heure. Enfin voyant sans doute qu’on l’observait bien que très-
discrètement, il jeta un dernier regard du côté du salon et se retira
avec précipitation.
Pour que le nom d’un homme inspire de tels sentiments,
arrache des larmes aussi sincères, lorsque des femmes viennent
modestement s’agenouiller auprès de son cercueil et faire une
prière pour lui, malgré ses opinions connues de tous en matière de
religion, cet homme a dû être un homme de bien dans l’acception
vraie du mot. Mais relativement à l’illustre personnalité, dont nous
avons à esquisser la longue carrière, à notre regret d’une manière
trop sommaire en raison de son mérite, de ses qualités et de
l’importance de son oeuvre, cette question n’est pas à discuter.
Ses adversaires eux-mêmes, s’ils combattent avec acharnement et
violence, ses opinions et ses actes au point de vue politique, sont,
à quelques exceptions près peu intéressantes, unanimes à rendre
hommage à son caractère, à ses vertus privées et publiques et à
sa science. La popularité immense dont a joui Raspail, popularité
qui subsistera bien longtemps encore, tient, quoiqu’on en ait dit,
autant à tout cela qu’à son rôle politique; et ce n’est point certai-
nement diminuer la grandeur de son dévouement inaltérable et
héroïque à la cause de la liberté politique et de la liberté religieuse,
ni contester la reconnaissance et l’admiration que la démocratie
française lui doit pour ce combat d’un demi-siècle contre tous les
despotismes, pour les longues années de prison et d’exil qu’il a
souffertes en poursuivant envers et contre tous la réalisation de
ses rêves généreux, de prétendre que le savant courageux et
infatigable dépasse le politique et que son œuvre scientifique a
rendu à l’humanité plus de services que son œuvre politique. Mais
pourquoi établir ici cette dualité ? L’un ne va point sans l’autre;
ils se complètent et s’expliquent mutuellement. Raspail a porté
dans le domaine scientifique les mêmes passions ardentes, son
même esprit indépendant et novateur, sa même audace énergique,
sa même ténacité irréfragable, que dans les choses de la politique.
Il a poursuivi les même but avec les mêmes moyens. Le despo-
tisme politique a été son ennemi comme le despotisme scienti-
fique ; les menaces, les persécutions de l’un et de l’autre ne
l’ont point intimidé ni dompté, et l’on peut dire, qu’après les avoir
combattus simultanément, il a eu la satisfaction de les voir dispa-
raître l’un et l’autre et d’assister à la réalisation tardive, mais écla-
tante, de son rêve politique et de ses théories scientifiques.
Avec son tempérament ardent et fougueux de méridional, il a
pu pousser à l’excès ses qualités natives, et parfois, dans l’impétuo-
sité de l’attaque, dépasser le but et compromettre le succès de son
œuvre ; mais sa fière loyauté, son courage chevaleresque, son dé-
sintéressement, la dignité de son caractère et sa grandeur d’âme,
lui ont toujours assuré la sympathie et le respect, même de
ses ennemis politiques. Il a toujours attaqué en face, la visière
découverte, sans peur ni reproche, et payé loyalement de sa per-
sonne dans toutes les occasions où les besoins de sa cause l’ont
exigé.
L’amour de la science et de la liberté a été la passion de toute
la vie de Raspail. A l’âge de quatorze ans, le fils du modeste
hôtelier de Carpentras était devenu sous la direction du maître
d’école des pauvres, l’abbé Eysseric , un linguiste de premier
ordre. On ne le connaissait dans la ville que sous le nom du
« petit savant ». A seize ans, le jeune Raspail, dont l’âme ardente
et généreuse lui montrait dans la carrière sacerdotale une voie
sûre et rapide pour arriver à la pratique des rares vertus qu’il

admirait tant chez son professeur, entra au grand séminaire
d’Avignon, une des pépinières de l’épiscopat français. A peine
élève, il fut reconnu capable de passer maître. Il enseigna la
philosophie. Sa renommée franchit l’enceinte du séminaire ; il
fut nommé prédicateur à la cathédrale.
Un biographe raconte qu’en 1844, se trouvant dans le chef-lieu
de Vaucluse, il entendit une bonne vieille dame fort dévote faire
l’éloge du jeune prédicateur en essuyant une larme :
— Oh ! je m’en souviens, l’abbéRaspail était tout jeune, blond
comme un chérubin. Il vous parlait du bon Dieu, du ciel et de
l’enfer à vous fendre le cœur. Jamais je n’ai entendu pareils
sermons.
Mais les leçons de l’abbé Eysseric cessèrent de porter leurs
fruits; il fermentait dans le cœur du jeune prédicateur un
levain de libéralisme qui lui valut l’accusation de schismatique et
son renvoi du séminaire. Par une particularité assez piquante,
l’archevêque d’Avignon, un homme plus éclairé, l’accueillit et
lui confia la mission de prédicateur du diocèse. A cette époque,
Raspail commença ses études de chimie et de botanique, parta-
geant son temps entre la théologie et les sciences profanes.
Lors des terribles événements de 1810, le préfet de Vaucluse,
de concert avec l’archevêque, prépara une cérémonie religieuse à
la cathédrale, dans le but de raviver l’amour de la patrie chez tous
ceux qui plaçaient les intérêts de la France au-dessus des intrigues
dynastiques.
— Avez-vous un bon prédicateur? dit le préfet au prélat, un
orateur dont l’éloquence vraiment française puisse dissiper les
rumeurs semées par les agents de l’étranger?
— Oui, monsieur le préfet; il est bien jeune, mais je réponds
de son succès.
— Son nom ?
— L’abbé Raspail.
— Ah ! ah ! celui qui a eu maille à partir avec ses supérieurs ?
— Oui, de petites querelles particulières qui ne m’ont pas
empêché de l’accueillir dans mon palais archiépiscopal.
Le jour même, l’abbé Raspail fut prévenu qu’il prêcherait, le
dimanche suivant, à la cathédrale, devant tout le clergé, le préfet
et l’état-major de la garnison.
La cérémonie eut lieu en grande pompe; l’affluence était
considérable. Le prédicateur électrisa son auditoire ; jamais la
voix de la patrie n’avait eu des accents plus ardents et plus géné-
reux.
— Monsieur l’abbé, lui dit le préfet, j’ai fait sténographier votre
sermon. Vous voudrez bien en corriger une épreuve pour l’em-
pereur.
Le sermon fut, en effet, envoyé à l’empereur, qui le lut avec
attention et le renvoya au préfet de Vaucluse, avec ce mot écrit
au bas, de sa propre main : « Ayez l’œil sur ce jeune homme, il
ira loin. »
Ce fut le dernier triomphe de l’abbé Raspail dans la chaire
évangélique. La première invasion survint, et avec elle la terreur
blanche. Le jeune abbé, qui passait pour bonapartiste, dut quitter
Avignon et revenir à Carpentras. Raspail, qui n’avait pas été
ordonné prêtre, quoiqu’en disent quelques biographes, renonça à la
carrière ecclésiastique. Après les Cent Jours, le jeune homme, qui
avait à peine vingt ans, dut quitter subrepticement sa ville natale,
après s’être défendu à coups de fusils dans sa maison attaquée par
les bandes de Trestaillon. Il se réfugia à Paris.
« Je suis venu à Paris, disait lui-même Raspail en 1874, au
jury devant lequel il comparaissait pour la publication de son
almanach; là, j’ai eu à lutter contre la pauvreté. Travaillant beau-
 
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