Universitätsbibliothek HeidelbergUniversitätsbibliothek Heidelberg
Overview
loading ...
Facsimile
0.5
1 cm
facsimile
Scroll
OCR fulltext
•GALERIE CONTEMPORAINE, LITTÉRAIRE, ARTISTIQUE

■paix et le silence où il s’est endormi, respectons sa dépouille
mortelle et ne parlons que de ce qui ne mourra pas en lui,
-de ce qui restera quand les pluies du ciel auront effacé le
nom écrit sur sa tombe, et que la mousse et le lierre en
auront caché jusqu’à la place; ne parlons que de ce qui est
impérissable, c’est-à-dire de son génie !
Talent ou génie ? L’exagération ou la prédominance d’une
faculté, si haute qu’elle soit, ne constitue pas le génie.
‘Génie est synonyme d’harmonie : c’est la réunion et l’équi-
libre parfait des plus hautes facultés de l’intelligence ; c’est
l’imagination donnant un corps aux fantômes qui peuplent
les bois, qui errent sur le sommet des montagnes où s’en ¬
dorment auprès des sources dans la profondeur des forêts,
fixant, dans un contour précis, les types que l’on rencontre
mais que l’on ne retient pas, ressuscitant de leurs tombeaux
les morts ensevelis sous la poussière des siècles et leur
redonnant une vie qui ne s’éteindra plus ; c’est en même
temps l’intelligence qui se replie sur elle-même et médite
sur les impénétrables mystères de la destinée humaine; c’est
enfin ce don si rare de donner au style une forme absolue,
•de formuler d’une façon définitive les idées ou les senti-
ments que tout homme a eus, mais qu’il n’a pas su exprimer,
enfin de les frapper d’un coin qui est comme la marque que
Je maître imprime à tout ce qui sort de ses mains.
Alexandre Dumas père eut, au plus haut degré, l’imagina-
tion, il eut aussi l’intelligence, mais le style lui manqua. Il
fut de la pâte dont sont faits les inventeurs, les poètes,
malheureusement les qualités du littérateur lui firent défaut ;
•c’en est assez pour qu’on ne puisse le mettre sur le même
rang que les grands écrivains de notre siècle. Il a eu autant
et plus d’idées que les plus illustres; pourquoi faut-il qu’elles
ne portent point sa griffe, et qu’elles puissent lui être aussi
.facilement dérobées?
Comme toutes les individualités puissantes, il a été pen-
dant toute sa vie, contesté, attaqué; ce n’est pas impunément
que l’on accapare le théâtre, le roman, le journal, que l’on
•absorbe tout, que l’on suffit à tout, que l’on fait tout.
En 1832, quand la Tour de Nesle eut été représentée à la
.Porte Saint-Martin, un procès s’éleva entre Frédéric
Gaillardet et Alexandre Dumas. Le procès établit que
M. Gaillardet avait composé la pièce, et que Dumas l’avait
retouchée et fait jouer. En 1847 un nouveau procès avec les
Directeurs de la Presse et du Constitutionnel prouva que
MM. Anicet Bourgeois, Auger, Maquet, Gérard de Nerval,
Souvestre, etc., étaient les collaborateurs anonymes du
romancier. C’était exact. Il avait de nombreux et intelligents
■collaborateurs. Qu’est-ce qu’il y faisait donc, qu’est-ce qu’il
y changeait donc à ces œuvres qu’on lui apportait toutes
préparées ? Moins que rien : quelques lignes par ci, par là,
des ratures, un mot ajouté ou retranché; cela paraissait peu
de chose, mais c’était la lumière qui entrait dans l’œuvre
par ces trouées, comme un rayon de soleil dans un taillis
inextricable. C’était le coup de pinceau des maîtres qui donne

la vie et la ressemblance au portrait peint par l’élève. Ce
n’était rien et c’était tout.
Ces procès qui en auraient accablé d’autres ne lui firent
aucun mal; on ne le connut que mieux, et il ne perdit rien
à cette connaissance. On vit en lui un écrivain d’un art
consommé sous une apparente bonhommie, un homme
d’une entente très-réelle des intérêts matériels unie à une
excessive prodigalité, d’un esprit de conduite très grand, joint
à un incroyable laisser aller, assemblage étrange de qualités
et de défauts contradictoires ; naïf et rusé, intéressé et pro-
digue, absorbant les autres et se laissant lui-même envahir,
bon, généreux, et en même temps vindicatif, nature primi-
tive et compliquée comme celle des peuples enfants dont il
descendait par sa grand-mère.
Ce procédé qu’il employa de faire préparer ses œuvres
pour n’avoir qu’à les remanier, il ne l’appliqua que vers le
milieu et à la fin de sa carrière, et même à ce moment, il y
a des œuvres qui lui appartiennent en propre, qu’il a com-
posées de toutes pièces, et celles-là, il faut le dire, sont les
plus fortes, les mieux pensées et les mieux écrites. C’est
par elles que nous le jugeons le mieux. Nous les trouvons
plutôt dans l’œuvre du romancier que dans l’œuvre du dra-
maturge, car, au théâtre, l’originalité de Dumas a été moins
grande, par ce que le théâtre, œuvre de combinaison et de
réflexion, ne se prête pas à l’improvisation et que malheu-
reusement sa vie n’a été qu’une longue et fiévreuse impro-
visation.
Nous rencontrons d’abord la série des Impressions de
(183 5 - 1841) Alexandre Dumas fit de nombreux
voyages dans tous les pays baignés parla Méditerranée, Italie,
Espagne, Algérie, Egypte, et rapporta de chacune de ces
excursions une suite d’articles ou de nouvelles qui forment
les Impressions de Voyage. Rien n’est plus gai, plus pittoresque,
et en même temps plus exact. Quand on ne connaît pas les
contrées qu’il a traversées, on peut-être tenté de croire que
ses descriptions tiennent beaucoup à la fantaisie et que
comme Châteaubriand et Lamartine, il n’a vu la nature et
l’homme qu’à travers son imagination. Il n’en est rien, ses
descriptions sont fidèles, ses anecdotes sont vraies, ce qui
lui appartient en propre c’est la gaîté, l’entrain qu’il a semées
partout, c’est l’intérêt soutenu de son récit et surtout le
relief extraordinaire qu’il a su donner aux mille incidents de
voyage que chacun a éprouvés, mais que personne n’a
racontés comme lui. Les Impressions nous paraissent être
une de ses œuvres les plus personnelles, c’est là où l’on
retrouve dans toute leur force et leur naïveté, les qualités et
défauts de l’écrivain.
En même temps qu’il terminait la série de scs Impres-
sions de Voyage, Dumas commençait dans le feuilleton du
Journal des Débats, la publication du Comte de Monte-Cristo
(1841). Cet ouvrage eut un succès prodigieux et des mieux
justifiés. C’est un des romans les plus longs, les plus invrai-
semblables et les plus émouvants qu’il y ait. L’histoire
 
Annotationen