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N se plaît trop souvent à voir dans le mytholo-
gique mont Parnasse une sorte de mamelon ou
â fwfpGfi t de c°ne renversé sur le sommet pointu duquel
A Ja peuvent à peine trouver place trois ou quatre
poètes d’un génie transcendant. Sur les pentes
déclives de ce monticule s’étagent et se super-
posent les écrivains et les rimeurs qu’on place plus ou moins haut,
depuis le sommet jusqu’à la vallée, suivant la nature et l’intensité
de leur talent. Pour nous, nous préférons voir dans cette image
du domaine d’Apollon une haute montagne aux pentes abruptes
et d’un abord difficile, surmontée par un immense plateau où se
coudoient tous les amants de la Muse qui ont réussi à franchir les
escarpements.
La poésie, de même que tous les autres arts, ne saurait se résu-
mer en un seul homme; elle comprend tous les genres de talents,
toutes les formes rhythmées, depuis le genre badin jusqu’aux
éclosions sublimes. Le poème épique, la tragédie, la comédie,
l’idylle, l’églogue, le sonnet, la chanson, apportent dans le grand
concert poétique leur note harmonieuse. Il serait aussi difficile de
faire une classification des poètes par ordre de mérite que d’en-
treprendre la classification des peintres. Chaque école a produit
ses hommes de génie et ses hommes de talent, et de même que la
pléiade des paysagistes modernes occupe une place nécessaire
dans l’ensemble des œuvres picturales, de même Béranger, par
ses chansons patriotiques et philosophiques, Désaugiers, Panard,
Collet, par leur verve gauloise, méritent d’entrer dans la mer-
veilleuse harmonie que forme l’ensemble des travaux des poètes
de toutes nations.
Parmi les chansonniers justement populaires, l’un des plus
éminents est sans contredit Pierre Dupont. C’est à la fois un
chef d’école et un maître. La chanson éclose dans ce cerveau
poétique a pris des allures absolument nouvelles. Ce n’est plus
la fillette légère et un peu débraillée qui fit la joie de nos pères ;
c’est la paysanne sage et modeste, au fichu croise, à la simple
chemise en toile rousse à grain serré, bonne, dévouée, parfois
grossière, mais toujours active, laborieuse et douce aux pauvres
gens. Dans l’ordre poétique, Pierre Dupont a plus d’un point
commun avec ces écoles modernes de peintres auxquelles la cri-
tique a donné des noms qui n’expliquent rien, impressionnistes,
réalistes, etc. Comme eux, il a eu l’honneur insigne de remplacer
des sujets conventionnels, appuyés sur des traditions, par l’étude
sincère et l’amour éclairé de la nature.
Pour peu qu’on se donne la peine de parcourir l’œuvre de
Pierre Dupont, on trouve à chaque page des preuves qui viennent

à l’appui de ce rapprochement. La Mère Jeanne, la FilL du cabaret,
ne sont-elles pas des peintures comme Millet savait en faire?
N’en est-il pas de même du fermier si fier de ses grands bœufs
blancs, tachés de roux, du vigneron qui célèbre la vigne, et de
tant d’autres chefs-d’œuvre d’observation consciencieuse de la
vie des champs ? Lisez la Vigne.
Cette côte à l’abri du vent,
Qui se chauffe au soleil levant,
Comme un vert lézard, c’est ma vigne !
Ne dirait-on pas un solide paysage de Chintreuil ou de Dau-
bigny?Zzz Blonde, errant nuit et jour dans un frêle paysage de
bruyères et de bouleaux, nous donne le spectacle d’une gracieuse
figure de Greuze enveloppée dans un paysage de Corot.
Sur son passage, tout l’admire
Et tout la chante d’une voix.
Brisons la guitare et la lyre,
Ses musiciens sont les bois.
Il faudrait citer tous les chants rustiques de Pierre Dupont, si
l’on voulait montrer combien ils ont de points communs avec les
œuvres les plus méritantes des paysagistes modernes. Nous
verrons tout à l’heure que le poète chansonnier ne s’en est pas
tenu à cet admirable genre de fraîches idylles, et qu’il a su mêler
à ses œuvres pleines de saveur champêtre des chants plus élevés
qui, abordant les grands problèmes politiques et sociaux, touchent
aux plus hautes questions de la philosophie.
Pierre-Antoine Dupont est né le 23 avril 1821, dans le joli
village de Rochetaillée, près de Lyon. Scs parents, modestes
ouvriers, habitaient la ville, et c’est au milieu du bruit des mar-
teaux frappant sur l’enclume et du grincement des limes qu’il
passa son enfance chez son père le forgeron, qui demeurait sur le
quai de l’Hôpital, à Lyon. Peut-être les doux gazouillements des
milliers d’hirondelles qui font leurs nids dans les moulures
sculptées de l’antique monument ne furent-ils pas étrangers à la
vocation poétique qui devait se révéler plus tard chez l’enfant.
La mère de Pierre mourut peu de temps après l’avoir mis au
monde. Le curé de Rochetaillée, qui avait été le parrain du nou-
veau-né, le recueillit et l’entoura de soins paternels. C’est chez ce
vieux prêtre qu’il fit ses premières études et ses premières écoles
buissonnières. L’aspect pittoresque du joli village, les bois touffus
qui l’environnent, les roches abruptes, le chant des oiseaux dans
les arbres, le murmure des ruisseaux sur leur lit de cailloux, for-
maient dans l’âme impressionnable de l’enfant une utile diversion
aux arides études scolaires.
Son parrain, qui le destinait à la carrière ecclésiastique, l’en-
 
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