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Gazette des beaux-arts: la doyenne des revues d'art — 2.Pér. 17.1878

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Nr. 1
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Timbal, Charles: Antonio de Bazzi: Surnommé le Sodoma
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https://doi.org/10.11588/diglit.22837#0025
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ANTONIO DE BAZZI DIT LE SODOMA.

19

parler de Sienne. — Entre toutes ces filles italiennes du moyen âge,
nulle n'a plus obstinément tenu à conserver son visage d'autrefois,
nulle n'a mieux défendu ses rides et son histoire. Rien qu'à passer sous
ces portes aux fortes herses, rien qu'à errer dans ces costarelles aux
détours favorables à l'embuscade, rien qu'à voir se dresser au milieu
des places et des rues ces hautes guérites d'où l'œil du guetteur plon-
geait dans l'ombre des carrefours, on comprend quelle fut la vie de ces
rudes habitants qui, pendant trois siècles, tour à tour patriotes admi-
rables ou révolutionnaires sans raison, semblaient avoir trouvé dans le
métier de combattant le seul but de l'existence.

Les hommes de notre âge s'arrangeraient mal, il est vrai, de cette
vie tourmentée, et, cependant, ô fascination des noms que l'écho du
passé nous envoie, parce que de ces ruelles, de ces forteresses sortaient
des guerriers qui s'appelaient Tolomei, Piccolommi, Salimbeni, quoique
sous leurs pourpoints de velours et sous leur cuirasse damasquinée ils
fussent presque tous d'abominables coquins, parce que les vers des
poètes les ont chantés, parce que le pinceau des artistes les a vêtus,
nous leur pardonnons, nous qui n'avons plus à souffrir de leur tyran-
nie, nous qui n'entendons plus les cris des victimes, et il ne nous
déplaît pas de retrouver intacts et formidables ces antres de pierre d'où
s'élançaient sur le pauvre populaire, qui savait du reste les attendre, les
tenants de ces féroces aristocrates.

Et puis, d'ailleurs, n'y a-t-il pas dans ces récits, à grand fracas
d'armes, plus de cliquetis d'épées que de sang répandu, plus de vantar-
dise que de vraie vaillance? En aucun temps, les historiens d'Italie ne se
gardèrentde hâbler. Se peut-il que ces innombrables sanctuaires de la
prière, ces madones et ces saints dont les images s'étalent encore partout
à Sienne, jusque sur les palais les plus sinistres; se peut-il que ce luxe
de piété payé par les offrandes enthousiastes de chaque citoyen ne don-
nent pas un démenti à ces légendes belliqueusement fanfaronnes? En
tout cas, il y avait temps pour tout, mais jamais les Siennois, soucieux
de l'honneur de leur ville, n'oublièrent de respecter les monuments
qu'élevaient, au gré de leur fortune, les vainqueurs et les vaincus. Cette
vertu de civisme, ils l'avaient aux siècles batailleurs et ils l'ont léguée
à leurs pacifiques descendants. Aujourd'hui encore Sienne est la ville
d'Italie où l'on rencontre le moins de ruines. Le chemin de fer lui-même
s'est contenté d'effleurer ses murailles, il n'a pas osé les franchir. Amants
des jours d'autan; rêveurs qu'un vieux marbre enthousiasme, qu'un
panneau d'or vermoulu émeut, c'est à Sienne qu'il ferait bon mener
votre innocente vie !
 
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