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Gazette des beaux-arts: la doyenne des revues d'art — 2.Pér. 31.1885

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Nr. 5
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Michel, André: Le salon de 1885, 1
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https://doi.org/10.11588/diglit.24592#0420
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402

GAZETTE DES BEAUX-ARTS.

et qu’un ânier peut être plus intéressant qiTApollon gardant les
troupeaux d’Admète, surtout si l’ânier est peint par J.-F. Millet
et Apollon par M. Bouguereau. Nous demandons seulement la
permission de faire observer que nous risquons de tomber dans une
superstition étroite de la modernité, dans je ne sais quelle orthodoxie
retournée dont les dangers me paraissent très grands. Nous sommes
en train d’attribuer au sujet d’un tableau une vertu propre, très
exagérée.

Ce qui nous intéresse, après tout, dans une œuvre d’art, c’est
beaucoup moins en somme l’objet imité que la façon dont l’artiste
en a tiré parti, l’a vu, senti et exprimé. S’il en était autrement, de
grandes glaces plaquées contre les murs nous dispenseraient d’ouvrir
des Salons annuels; on y verrait la vraie vie, en mouvement et en
changements incessants! Si le secret de l’émotion, pour un tableau ou
une statue, résidait dans l’exactitude de l’imitation et dans la préci-
sion du « document » qu’ils apportent, rien ne serait plus beau
qu’une photographie ou qu’un moulage sur nature. Il n’en est rien
pourtant. Tout artiste véritable transforme, sans même s’en douter,
ce qu’il s’est proposé de représenter; si réaliste qu’il se pique d’ètre,
il nous le rend transfiguré et, en prenant le mot au sens littéral,
idéalisé, c’est-à-dire modifié par Vidée qu’il s’en est spontanément et
nécessairement formée. C’est, même cette spontanéité et cette vivacité
de l’impression, accompagnées et suivies du besoin et du pouvoir de
la traduire, qui constituent la nature propre de l’artiste. Il donne sa
mesure par la puissance de sa sympathie. — C’est ainsi que Boileau,
plus réaliste qu’on ne croit, ne pensait pas si bien dire en écrivant
ces vers, d’ailleurs détestables :

Il n'est point de serpent, point de monstre odieux,

Qui par l’art imité ne puisse plaire aux yeux,

et que le mot de Pascal reste profondément vrai : « Quelle vanité que la
peinture qui attire l’admiration par la ressemblance des choses dont
on n’admire pas les originaux 1 ! » Nous y cherchons, en effet, — que
nous le sachions ou non, —■ beaucoup moins la ressemblance de ces
choses, que la ressemblance de l’artiste qui les a peintes; nous voulons
trouver dans un paysage « la nature, plus l’homme qui en est ému ».
Placez vingt peintres devant un potiron, et vous aurez, en peinture,
vingt potirons différents. Que sera-ce, si vous mettez ces mêmes
peintres devant une figure humaine, en présence de la nature vivante?

i. Édition Havet, t. I, p. 105.
 
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