L’ART GOTHIQUE.
75
15 mètres, haute de 43, dont les piles de 120 pieds bondissent d’un
élan vers la voûte. Les masses inutiles sont supprimées ; les chapi-
teaux s’allègent; les moulures transversales, profilées, comme à
Reims, jusque sur les colonnes, ne prévalent pas contre l’impétuosité
des lignes verticales et même, au-dessous du triforium, elles se
transforment en une guirlande de feuillage si légère et si souple
qu’elle ne semble point adhérer au mur. Sous la pente roide des
combles des bas côtés, le haut triforium déroule ses sveltes arcades.
Plus nous avançons vers l’abside, plus se resserrent les faisceaux des
lignes montantes, dans une perspective où tout jaillit en solides
fusées. A la croisée du transsept, sur les quatre piliers qui supportaient
jadis le clocher central, la voûte bombe majestueusement en rami-
fiant ses nervures. Le fond de l’abside n’admet, entre ses branches
convergentes, que la transparence des vitraux. Tout est hardi et
précis, rien n’est grêle, déformé, ni même vertigineux dans cette
prodigieuse symphonie de profils dégagés, de saillies nerveuses,
inflexiblement ascendantes. Jamais structure ne fut plus nette et
plus accusée partout. Les culées puissantes des contreforts, la mathé-
matique justesse d’application des arcs-boutants, l’exacte balance de
tous les éléments constitutifs, lechoix raffiné des matériaux expliquent
Ta neutralisation des poussées et l’homogénéité matérielle de l’œuvre.
Quel génie français, sobre et clair, s’est dépensé à bâtir et à décorer
cette église! Aucune nation, sans contredit, n’en possède une de pareille
sublimité. La sculpture y est aussi belle qu’à Reims, mais moins
débordante. Au demeurant, la richesse et le goût de l’ornementation
sont le moindre mérite de la cathédrale d’Amiens et M. Gonse, qui
en fait supérieurement ressortir la perfection totale, a bien raison de
s’écrier : « Au point de vue de l’évolution suprême et décisive du
système d’équilibre, elle est l’œuvre type, — l’œuvre exemplaire. »
Or, de même qu’il sort d’un tronc vigoureux de beaux rameaux
en foule, vingt monuments dignes de mémoire se réclament de la
merveille de Robert de Luzarches et des Cormont. L’auteur de Y Art
gothique en voit, judicieusement, sortir les chœurs de Meaux, de
Troyes, de Tours, de Beauvais, la nouvelle nef de Saint-Denis, les
cathédrales de Clermont, de Limoges, de Narbonne et de Cologne,
les collégiales de Saint-Quentin et de Saint-Ouen de Rouen... Que
sais-je? Je n’insisterai que sur un seul de ces édifices parce que son
histoire implique une leçon : je parle du chœur de Beauvais.
Il est dans la destinée de cette ville qu’on y pousse toujours les
déductions à l’extrême, avec une imprudence sans nom. Au commen-
75
15 mètres, haute de 43, dont les piles de 120 pieds bondissent d’un
élan vers la voûte. Les masses inutiles sont supprimées ; les chapi-
teaux s’allègent; les moulures transversales, profilées, comme à
Reims, jusque sur les colonnes, ne prévalent pas contre l’impétuosité
des lignes verticales et même, au-dessous du triforium, elles se
transforment en une guirlande de feuillage si légère et si souple
qu’elle ne semble point adhérer au mur. Sous la pente roide des
combles des bas côtés, le haut triforium déroule ses sveltes arcades.
Plus nous avançons vers l’abside, plus se resserrent les faisceaux des
lignes montantes, dans une perspective où tout jaillit en solides
fusées. A la croisée du transsept, sur les quatre piliers qui supportaient
jadis le clocher central, la voûte bombe majestueusement en rami-
fiant ses nervures. Le fond de l’abside n’admet, entre ses branches
convergentes, que la transparence des vitraux. Tout est hardi et
précis, rien n’est grêle, déformé, ni même vertigineux dans cette
prodigieuse symphonie de profils dégagés, de saillies nerveuses,
inflexiblement ascendantes. Jamais structure ne fut plus nette et
plus accusée partout. Les culées puissantes des contreforts, la mathé-
matique justesse d’application des arcs-boutants, l’exacte balance de
tous les éléments constitutifs, lechoix raffiné des matériaux expliquent
Ta neutralisation des poussées et l’homogénéité matérielle de l’œuvre.
Quel génie français, sobre et clair, s’est dépensé à bâtir et à décorer
cette église! Aucune nation, sans contredit, n’en possède une de pareille
sublimité. La sculpture y est aussi belle qu’à Reims, mais moins
débordante. Au demeurant, la richesse et le goût de l’ornementation
sont le moindre mérite de la cathédrale d’Amiens et M. Gonse, qui
en fait supérieurement ressortir la perfection totale, a bien raison de
s’écrier : « Au point de vue de l’évolution suprême et décisive du
système d’équilibre, elle est l’œuvre type, — l’œuvre exemplaire. »
Or, de même qu’il sort d’un tronc vigoureux de beaux rameaux
en foule, vingt monuments dignes de mémoire se réclament de la
merveille de Robert de Luzarches et des Cormont. L’auteur de Y Art
gothique en voit, judicieusement, sortir les chœurs de Meaux, de
Troyes, de Tours, de Beauvais, la nouvelle nef de Saint-Denis, les
cathédrales de Clermont, de Limoges, de Narbonne et de Cologne,
les collégiales de Saint-Quentin et de Saint-Ouen de Rouen... Que
sais-je? Je n’insisterai que sur un seul de ces édifices parce que son
histoire implique une leçon : je parle du chœur de Beauvais.
Il est dans la destinée de cette ville qu’on y pousse toujours les
déductions à l’extrême, avec une imprudence sans nom. Au commen-