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GAZETTE UES BEAUX-ARTS.
combats de chiens contre des ours et des taureaux du Lord-maire
et de ses dîners somptueux, de sa procession annuelle, des lutteurs
et des boxeurs, et d’une foule de petits usages immémoriaux que nos
voisins conservent encore fidèlement. Le pickpocket lui-même, l’artiste
traditionnel, florissait. déjà au xvie siècle et le docteur Thobias
Salander, un ami de nos voyageurs, en fit l’expérience à ses dépens :
dans la foule, on lui subtilisa, sans qu’il ait rien senti, son escarcelle
et les neuf couronnes qu’elle contenait.
Au palais de Greenwich, Hentzner assiste à une audience de la
reine Elisabeth qui parait l’avoir singulièrement frappé; il la raconte
avec un luxe de détails auxquels il ne nous a pas habitués.
I.a salle était garnie de tapisseries précieuses et le sol jonché de foin suivant
la coutume anglaise .... La Reine, précédée d’un cortège magnifique de Barons, de
Comtes, de Chevaliers de la Jarretière, de deux seigneurs portant l’un le sceptre,
l’autre l’épée, et du Grand-Chancelier avec le sceau royal, s’avançait majestueuse-
ment. Elle avait 65 ans, la figure assez longue et ridée, le teint clair, les yeux
petits mais noirs et bienveillants, le nez légèrement busqué, les lèvres serrées, les
dents noires (défaut que les Anglais contractent par l'abus du sucre). Deux perles
admirables pendaient à ses oreilles; la chevelure était rousse, mais fausse. Sur la
tête une petite.couronne d'or; la gorge nue, ce qui dans la noblesse anglaise est
l’attribut de la virginité, car les femmes mariées ont la poitrine couverte. Un col-
lier de pierreries incomparables entourait le cou. Les mains étaient fines, les doigts
assez longs, la taille moyenne, la démarche superbe, la parole douce et gracieuse.
Elle portait une robe de soie blanche, bordée de perles grosses comme une fève,
et un manteau de soie noire mêlée de fils d'argent, avec une très longue queue
soutenue par une de ses dames. Le carcan en forme de chaîne étincelait d'or et de
pierreries. Quand elle passait, du côté où elle tournait les yeux, tous se jetaient à
genoux. Derrière suivaient les dames de la cour, toutes fort belles et vêtues de
blanc. Cinquante gardes-nobles portant des lances dorées faisaient la haie.
Le tableau n’est-il pas excellent et d’une vérité saisissante? Il fait
regretter que l’écrivain n’en ait pas donné d’autres dans le cours de
son voyage. La scène qui suit est encore curieuse :
Pendant que la Reine était à la chapelle, nous avons vu préparer la table
avec le cérémonial d’usage. Un premier seigneur entre dans la salle, le sceptre en
main, suivi d'un autre seigneur tenant une nappe, et tous les deux, après s’èlre
agenouillés trois fois le plus respectueusement du monde, couvrent la table, s'age-
nouillent de nouveau et se retirent. Deux autres apparaissent, l'un portant le 1
1. Quelques années plus tard, Zinzerling mentionne les théâtres de Londres,
les combats de chiens et les combats de coqs : ilieatra comœdorum, in quibus
ursi ettauri cum canibus committuntur, lum in quibus certamina gallorum gallina-
ceorum exhibentur.
GAZETTE UES BEAUX-ARTS.
combats de chiens contre des ours et des taureaux du Lord-maire
et de ses dîners somptueux, de sa procession annuelle, des lutteurs
et des boxeurs, et d’une foule de petits usages immémoriaux que nos
voisins conservent encore fidèlement. Le pickpocket lui-même, l’artiste
traditionnel, florissait. déjà au xvie siècle et le docteur Thobias
Salander, un ami de nos voyageurs, en fit l’expérience à ses dépens :
dans la foule, on lui subtilisa, sans qu’il ait rien senti, son escarcelle
et les neuf couronnes qu’elle contenait.
Au palais de Greenwich, Hentzner assiste à une audience de la
reine Elisabeth qui parait l’avoir singulièrement frappé; il la raconte
avec un luxe de détails auxquels il ne nous a pas habitués.
I.a salle était garnie de tapisseries précieuses et le sol jonché de foin suivant
la coutume anglaise .... La Reine, précédée d’un cortège magnifique de Barons, de
Comtes, de Chevaliers de la Jarretière, de deux seigneurs portant l’un le sceptre,
l’autre l’épée, et du Grand-Chancelier avec le sceau royal, s’avançait majestueuse-
ment. Elle avait 65 ans, la figure assez longue et ridée, le teint clair, les yeux
petits mais noirs et bienveillants, le nez légèrement busqué, les lèvres serrées, les
dents noires (défaut que les Anglais contractent par l'abus du sucre). Deux perles
admirables pendaient à ses oreilles; la chevelure était rousse, mais fausse. Sur la
tête une petite.couronne d'or; la gorge nue, ce qui dans la noblesse anglaise est
l’attribut de la virginité, car les femmes mariées ont la poitrine couverte. Un col-
lier de pierreries incomparables entourait le cou. Les mains étaient fines, les doigts
assez longs, la taille moyenne, la démarche superbe, la parole douce et gracieuse.
Elle portait une robe de soie blanche, bordée de perles grosses comme une fève,
et un manteau de soie noire mêlée de fils d'argent, avec une très longue queue
soutenue par une de ses dames. Le carcan en forme de chaîne étincelait d'or et de
pierreries. Quand elle passait, du côté où elle tournait les yeux, tous se jetaient à
genoux. Derrière suivaient les dames de la cour, toutes fort belles et vêtues de
blanc. Cinquante gardes-nobles portant des lances dorées faisaient la haie.
Le tableau n’est-il pas excellent et d’une vérité saisissante? Il fait
regretter que l’écrivain n’en ait pas donné d’autres dans le cours de
son voyage. La scène qui suit est encore curieuse :
Pendant que la Reine était à la chapelle, nous avons vu préparer la table
avec le cérémonial d’usage. Un premier seigneur entre dans la salle, le sceptre en
main, suivi d'un autre seigneur tenant une nappe, et tous les deux, après s’èlre
agenouillés trois fois le plus respectueusement du monde, couvrent la table, s'age-
nouillent de nouveau et se retirent. Deux autres apparaissent, l'un portant le 1
1. Quelques années plus tard, Zinzerling mentionne les théâtres de Londres,
les combats de chiens et les combats de coqs : ilieatra comœdorum, in quibus
ursi ettauri cum canibus committuntur, lum in quibus certamina gallorum gallina-
ceorum exhibentur.