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GAZETTE DES BEAUX-ARTS
alors duc de Bordeaux et à peine âgé de dix ans, s’y était essayé,
sous la conduite de son professeur, M. d’Hardiviller, en un dessin
appliqué d’enfant, qu’on imprimait triomphalement à Saint-Cloud
« sur sa presse ». Avec les amateurs vont se glisser bientôt les pro-
ducteurs sans talent, les fabricants de toute marchandise ayant
cours. C’est le beau temps des macédoines, ce genre artificiel et
faux, né d’un caprice et figé par la mode. Même chez les meilleurs
apparaissent çà et là des germes de mort : ce n’est plus la fraîche
et vive spontanéité des débuts, si riche en découvertes ; on raffine,
on perfectionne, on enjolive des choses déjà trouvées ; souvent ainsi
on les tue. Le paysage, la marine, sont à peine nés, brillants,
savoureux, pittoresques, sous la main d’un Paul Huet ou d’un
Eugène Isabey; et déjà, chez ce dernier, le procédé commence, que
guette Lcpoitevin, qui deviendra la règle. Cicéri est au bout, avec
ses cours de paysage et scs trucs dont il donne la recette. Le portrait,
si délicieusement créé par Devéria, aboutit aux œuvres léchées et
froides d’un Grévedon, d’un Julien, d’un Léon Noël, aussi insuppor-
tables dans leur égalité uniforme et poncive que le plus ennuyeux
burin. La seule poussée vraiment neuve, originale et forte, le seul
apport nouveau, c’est la caricature sociale ou politique, qui prend
alors une importance extraordinaire et entre résolument dans les
voies où elle est toujours en partie restée. Il est à peine besoin de
rappeler la place considérable qu’occupe dans l’histoire du genre
Charles Philipon, moqueur acharné, homme d’esprit né pour battre
en brèche les gouvernements el flageller les travers de son temps,
fondateur de la Caricature, du Charivari et de tant d’autres journaux
satiriques, dont l'activité incessante soutint, groupa, forma autour
de lui toute une armée de combattants. Après les hommages tant de
fois rendus, contentons-nous do saluer au passage les noms des
principaux: Traviès, escorté de son éternel Monsieur Mayeux ;
Grandvillc, entortillé, alambiqué, précieux, exploitant toute sa vie
son fameux succès des animaux travestis, et, dans la lutte contre
Louis-Philippe, distillant savamment des méchancetés compliquées
ou du venin de conserve ; Auguste Bouquet, franc, mâle, emportant le
morceau, excellent d’ailleurs dans le portrait ; des irréguliers comme
Decamps, qui mordait violemment, quand il abandonnait pour un
jour ses petites compositions colorées et brillantes, turqueries, chiens
ou scènes de chasse; par-dessus tout, Daumier, l’artiste inimitable,
dont le crayon s’enfonce, s’écrase, sculpte et modèle ses personnages,
terrible, fougueux, emporté, admirable surtout comme caricaturiste
GAZETTE DES BEAUX-ARTS
alors duc de Bordeaux et à peine âgé de dix ans, s’y était essayé,
sous la conduite de son professeur, M. d’Hardiviller, en un dessin
appliqué d’enfant, qu’on imprimait triomphalement à Saint-Cloud
« sur sa presse ». Avec les amateurs vont se glisser bientôt les pro-
ducteurs sans talent, les fabricants de toute marchandise ayant
cours. C’est le beau temps des macédoines, ce genre artificiel et
faux, né d’un caprice et figé par la mode. Même chez les meilleurs
apparaissent çà et là des germes de mort : ce n’est plus la fraîche
et vive spontanéité des débuts, si riche en découvertes ; on raffine,
on perfectionne, on enjolive des choses déjà trouvées ; souvent ainsi
on les tue. Le paysage, la marine, sont à peine nés, brillants,
savoureux, pittoresques, sous la main d’un Paul Huet ou d’un
Eugène Isabey; et déjà, chez ce dernier, le procédé commence, que
guette Lcpoitevin, qui deviendra la règle. Cicéri est au bout, avec
ses cours de paysage et scs trucs dont il donne la recette. Le portrait,
si délicieusement créé par Devéria, aboutit aux œuvres léchées et
froides d’un Grévedon, d’un Julien, d’un Léon Noël, aussi insuppor-
tables dans leur égalité uniforme et poncive que le plus ennuyeux
burin. La seule poussée vraiment neuve, originale et forte, le seul
apport nouveau, c’est la caricature sociale ou politique, qui prend
alors une importance extraordinaire et entre résolument dans les
voies où elle est toujours en partie restée. Il est à peine besoin de
rappeler la place considérable qu’occupe dans l’histoire du genre
Charles Philipon, moqueur acharné, homme d’esprit né pour battre
en brèche les gouvernements el flageller les travers de son temps,
fondateur de la Caricature, du Charivari et de tant d’autres journaux
satiriques, dont l'activité incessante soutint, groupa, forma autour
de lui toute une armée de combattants. Après les hommages tant de
fois rendus, contentons-nous do saluer au passage les noms des
principaux: Traviès, escorté de son éternel Monsieur Mayeux ;
Grandvillc, entortillé, alambiqué, précieux, exploitant toute sa vie
son fameux succès des animaux travestis, et, dans la lutte contre
Louis-Philippe, distillant savamment des méchancetés compliquées
ou du venin de conserve ; Auguste Bouquet, franc, mâle, emportant le
morceau, excellent d’ailleurs dans le portrait ; des irréguliers comme
Decamps, qui mordait violemment, quand il abandonnait pour un
jour ses petites compositions colorées et brillantes, turqueries, chiens
ou scènes de chasse; par-dessus tout, Daumier, l’artiste inimitable,
dont le crayon s’enfonce, s’écrase, sculpte et modèle ses personnages,
terrible, fougueux, emporté, admirable surtout comme caricaturiste