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GAZETTE DES BEAUX-ARTS
Tour trouve grâce devant lui, au détriment de Perronneau, dont il
déclare les pastels « crus, durs et rembrunis », et dont les portraits
à l'huile ont aussi « un caractère de rudesse qui doit l’exclure à
jamais de peindre les Grâces, mais le rend très propre à tracer les
rides de la vieillesse, la peau tannée d'une paysanne ou la morgue
d’un Turcaret ».
Quant à Diderot, dont les sévérités n’étaient connues que de la
clientèle royale et princière de Grimm, son verdict n’est pas moins
injuste que celui des années précédentes ; il range dédaigneusement
Perronneau « parmi les pauvres diables qui ne valent pas ensemble
une ligne d’écriture », et déclare que, s’il a « semblé autrefois vouloir
être quelque chose, il a bien changé d'avis, comme il paraît, par trois
ou quatre pastels faibles de couleur, fades et sans effet ».
Perronneau n’avait même pas attendu la fin du Salon pour
reprendre ses pérégrinations. Ecoutons-le plutôt conter à Desfriches1 2
ses ennuis et ses déboires.
Monsieuk et cher amy,
J’ai esté pour avoir l’honneur de vous voire plusieurs fois à Thotelle
de Bourgogne-; l’on ma dit que Ion ne vous avait pas veii; MUo Bénier
m'enseigna où vous logiez; ji fut et vous estiez parti. Madame est bien
bonne d'avoir eu égard aux instances que je luy ai fait au sujet du portrait
de mademoiselle, et vous, monsieur, de lavoir apporté; il a esté encore
mieux placé que les premiers jours. M. Chardin m’a dit qu’il vous le ren-
voirait. Je vous fait bien mes remerciements à se sujet. J’ai esté bien
mortifiez de ne vous avoir point embrassé à Paris, ou je suis arrivé très
bien portant, malgré les fatigues d’un assé Ion voiage; mais comme
MmB Perronneau croiait que jallais en Espagne, elle avait quitté le logement
de Paris, et a esté demeuré au Pelit-Charonne. Cela ma beaucoup fatigué
de venir à Paris souvent à pied, ne trouvant pas toujours des fiacres aux
barrières du faubourg Saint-Antoine; enfin, je suis tombé mallade d’une
inflamation dans la gorge, dans les temps que vous estiez à Paris. Je n’ay
1. Cette lettre et les trois suivantes ont été publiées pour la première fois
par M. Jules Dumesnil, au tome II de son Histoire des plus célèbres amateurs fran-
çais (1858), mais M. Reiset ne paraît pas en avoir eu connaissance, car il n'en
parle pas et semble n'en avoir rien tiré. Les copies remises à M. Dumesnil étaient
fort défectueuses. Le texte que je donne avait été scrupuleusement révisé sur
les originaux par M. Eudoxe Marcille.
2. Le Journal de Wille qui mentionne divers séjours de Desfriches à Paris,
n’indique pas celui-ci ; l’un des plus longs qu'il y fit, lors du mariage du Dauphin
et de l’archiduchesse d’Autriche, se prolongea de mai à septembre 1770.
GAZETTE DES BEAUX-ARTS
Tour trouve grâce devant lui, au détriment de Perronneau, dont il
déclare les pastels « crus, durs et rembrunis », et dont les portraits
à l'huile ont aussi « un caractère de rudesse qui doit l’exclure à
jamais de peindre les Grâces, mais le rend très propre à tracer les
rides de la vieillesse, la peau tannée d'une paysanne ou la morgue
d’un Turcaret ».
Quant à Diderot, dont les sévérités n’étaient connues que de la
clientèle royale et princière de Grimm, son verdict n’est pas moins
injuste que celui des années précédentes ; il range dédaigneusement
Perronneau « parmi les pauvres diables qui ne valent pas ensemble
une ligne d’écriture », et déclare que, s’il a « semblé autrefois vouloir
être quelque chose, il a bien changé d'avis, comme il paraît, par trois
ou quatre pastels faibles de couleur, fades et sans effet ».
Perronneau n’avait même pas attendu la fin du Salon pour
reprendre ses pérégrinations. Ecoutons-le plutôt conter à Desfriches1 2
ses ennuis et ses déboires.
Monsieuk et cher amy,
J’ai esté pour avoir l’honneur de vous voire plusieurs fois à Thotelle
de Bourgogne-; l’on ma dit que Ion ne vous avait pas veii; MUo Bénier
m'enseigna où vous logiez; ji fut et vous estiez parti. Madame est bien
bonne d'avoir eu égard aux instances que je luy ai fait au sujet du portrait
de mademoiselle, et vous, monsieur, de lavoir apporté; il a esté encore
mieux placé que les premiers jours. M. Chardin m’a dit qu’il vous le ren-
voirait. Je vous fait bien mes remerciements à se sujet. J’ai esté bien
mortifiez de ne vous avoir point embrassé à Paris, ou je suis arrivé très
bien portant, malgré les fatigues d’un assé Ion voiage; mais comme
MmB Perronneau croiait que jallais en Espagne, elle avait quitté le logement
de Paris, et a esté demeuré au Pelit-Charonne. Cela ma beaucoup fatigué
de venir à Paris souvent à pied, ne trouvant pas toujours des fiacres aux
barrières du faubourg Saint-Antoine; enfin, je suis tombé mallade d’une
inflamation dans la gorge, dans les temps que vous estiez à Paris. Je n’ay
1. Cette lettre et les trois suivantes ont été publiées pour la première fois
par M. Jules Dumesnil, au tome II de son Histoire des plus célèbres amateurs fran-
çais (1858), mais M. Reiset ne paraît pas en avoir eu connaissance, car il n'en
parle pas et semble n'en avoir rien tiré. Les copies remises à M. Dumesnil étaient
fort défectueuses. Le texte que je donne avait été scrupuleusement révisé sur
les originaux par M. Eudoxe Marcille.
2. Le Journal de Wille qui mentionne divers séjours de Desfriches à Paris,
n’indique pas celui-ci ; l’un des plus longs qu'il y fit, lors du mariage du Dauphin
et de l’archiduchesse d’Autriche, se prolongea de mai à septembre 1770.