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GAZETTE DES BEAUX-ARTS
les formes vivantes, une généralisation du Mouvement; non celui
trop spécial du geste, mais celui même indiqué par la science con-
temporaine, comme la cause unique des apparences, couleurs, sons
ou lignes, nés de ses seules vibrations plus ou moins nombreuses.
Ce n’est plus l’âme de l'être, son individualité intime que l’on
cherche à révéler par la disposition des formes. Les désirs de beauté
visent à inscrire sur un corps, ou un groupe de corps le mouvement
de la fatalité. Le dogme de notre néant va prévaloir.
Du moins, au Champ-de-Mars, cette intention prédomine. Les
personnages évoqués portent presque tous au visage la tristesse
de ne se pas concevoir. Ils semblent les signes d’une idée obscure
qui se formule par l’acte de leurs corps, sans se laisser connaître. La
plupart paraissent vides d’eux-mêmes. Ils creusent l’espace de
regards anxieux. Le dieu qui passe en leur vie, et qui la fait, ne dai-
gne pas leur en dire les motifs. Au long des cimaises, le Mouvement
de la Nécessité ondoie sous chaque figure, et reste insaisissable,
malgré les efforts. Certains diluent les formes dans des teintes
claires, plates, citrines, albumineuses, et allient, par cet artifice, les
lignes humaines aux courbes de la nature. Ils restreignent ainsi le
personnage à la valeur du terrain, des plantes, de l’eau, confiés dans
un même rythme de tons.
Malheureusement, l imitation guide les peintres, les meilleurs
mêmes. Toute une école américaine, désireuse de communiquer à l’ob-
servateur sa convoitise du mystique, vulgarise l’idée de M. Whistler
en fondant la création dans une buée noirâtre. A travers cela, les
lignes seules s’accusent et dénoncent les directions, le mouvement.
Si l’habileté technique, acquise maintenant à la majorité dos
peintres, rend commode de traduire, par des dilutions et des ombres,
cette angoisse de l’époque, une lutte immédiate contre l’inertie de la
matière, marbre, glaise, plâtre ou bois, aide mal le sculpteur épris
d’idées pareilles. Il heurte des angles; il atteint vite des limites
frustes; il obtient des contours âpres.
Et voici ce qu’il advient. A combattre la difficulté, le génie
tenace s’exalte mieux. La sagacité s’exerce. Pour signifier l’état
d’âme en quête de la Cause, les pétrisseurs de glaise et les tailleurs
de marbre l’emportent sur les coloristes.
La gloire des Salons de 1896 se décernerait à la sculpture^ si
M. Puvis de Chavannes n’avait pas exposé.
On le nierait difficilement après avoir contemplé les envois de
MM. Rodin, Bartholomé, Gardet, Dampt, Rivière Théodore, pour ce
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les formes vivantes, une généralisation du Mouvement; non celui
trop spécial du geste, mais celui même indiqué par la science con-
temporaine, comme la cause unique des apparences, couleurs, sons
ou lignes, nés de ses seules vibrations plus ou moins nombreuses.
Ce n’est plus l’âme de l'être, son individualité intime que l’on
cherche à révéler par la disposition des formes. Les désirs de beauté
visent à inscrire sur un corps, ou un groupe de corps le mouvement
de la fatalité. Le dogme de notre néant va prévaloir.
Du moins, au Champ-de-Mars, cette intention prédomine. Les
personnages évoqués portent presque tous au visage la tristesse
de ne se pas concevoir. Ils semblent les signes d’une idée obscure
qui se formule par l’acte de leurs corps, sans se laisser connaître. La
plupart paraissent vides d’eux-mêmes. Ils creusent l’espace de
regards anxieux. Le dieu qui passe en leur vie, et qui la fait, ne dai-
gne pas leur en dire les motifs. Au long des cimaises, le Mouvement
de la Nécessité ondoie sous chaque figure, et reste insaisissable,
malgré les efforts. Certains diluent les formes dans des teintes
claires, plates, citrines, albumineuses, et allient, par cet artifice, les
lignes humaines aux courbes de la nature. Ils restreignent ainsi le
personnage à la valeur du terrain, des plantes, de l’eau, confiés dans
un même rythme de tons.
Malheureusement, l imitation guide les peintres, les meilleurs
mêmes. Toute une école américaine, désireuse de communiquer à l’ob-
servateur sa convoitise du mystique, vulgarise l’idée de M. Whistler
en fondant la création dans une buée noirâtre. A travers cela, les
lignes seules s’accusent et dénoncent les directions, le mouvement.
Si l’habileté technique, acquise maintenant à la majorité dos
peintres, rend commode de traduire, par des dilutions et des ombres,
cette angoisse de l’époque, une lutte immédiate contre l’inertie de la
matière, marbre, glaise, plâtre ou bois, aide mal le sculpteur épris
d’idées pareilles. Il heurte des angles; il atteint vite des limites
frustes; il obtient des contours âpres.
Et voici ce qu’il advient. A combattre la difficulté, le génie
tenace s’exalte mieux. La sagacité s’exerce. Pour signifier l’état
d’âme en quête de la Cause, les pétrisseurs de glaise et les tailleurs
de marbre l’emportent sur les coloristes.
La gloire des Salons de 1896 se décernerait à la sculpture^ si
M. Puvis de Chavannes n’avait pas exposé.
On le nierait difficilement après avoir contemplé les envois de
MM. Rodin, Bartholomé, Gardet, Dampt, Rivière Théodore, pour ce