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GAZETTE DES BEAUX-ARTS
qui réclame du passé un conseil. Et le passé insulte. Il ne promet
que l’injure de sa dérision, puisque la douleur elle-même, devenue
coutumière à force d'être soufferte, n’apporte plus l’espérance de la
voir cesser, la bonne attente de l’accalmie.
En aucune œuvre, peut-être, l’idée de ruine n’apparut aussi
complète. Il faut admirer que l’artiste parvienne à produire ce regard
avec du vide, et lui donne une immensité d’expression par la science
d’attirer, vers de l’ombre, les paupières honteuses la couvrant à demi,
les flaccidités de la face résignée, les saillies des pommettes, la pierre
du genou qu’unit à la pierre du front le poing décharné, centre où
s’amasse et se recroqueville la pulpe vide de ce corps cherchant d’ins-
tinct sa chaleur.
Il n’est pas jusqu’à l’apparence du bois saure qui ne concoure à
réaliser l’impression de détresse. Au long de cette échine, il évoque
les teintes des momies, et mieux, la matière identique dans laquelle
les évocateurs du moyen âge sculptaient la danse macabre des
cloîtres précédant les charniers.
Le parallèle s’impose entre cette vision de la Mort qu’eurent les
ancêtres, moqueuse, jouant une mauvais farce à l’homme, une farce,
et cette apparition présente de la Misère. Ni la noblesse du devoir
accompli dont se glorifie le groupe des Bourgeois de Calais, ni la
satisfaction de se savoir une vertu ignorée, n’atténuent la contem-
plation du malheur. Et voilà bien autre chose que les gambades du
squelette violoneux conduisant la mariée, l’empereur et le juge au
suprême enfouissemenl.
Ce regard de la Misère, nous le retrouverons différencié, mais
semblable de nature, aux yeux de bien dos portraits. L’humanité
vieillie a perdu même le sens de s’enorgueillir de sa souffrance. Les
martyrs chrétiens périrent dans la joie d’une gloire. La surprise de
la mort égayait les barbares. Le temps actuel se dissout en se con-
templant méprisé de soi.
M. Desbois présente une autre terreur : le groupe en bronze de
la Mort. Malgré sa détresse, l’homme n’accueille point l’endormeuse
qu’il appela. Déjà l’agonisant ressemble au fantôme incliné. Son
ventre se fripe. Entre l’être surgi du tombeau et lui qui va s’y cou-
cher, la différence va finir. Le souffle émané de la Mort corrompt
précipitamment celui qui tente de fuir. Par sa présence uniquement,
elle le réduit à tomber.
Le dessein de réunir en une même salle l’œuvre d’un artiste
provoque, le plus souvent, un résultat heureux. Pour M. Desbois,
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qui réclame du passé un conseil. Et le passé insulte. Il ne promet
que l’injure de sa dérision, puisque la douleur elle-même, devenue
coutumière à force d'être soufferte, n’apporte plus l’espérance de la
voir cesser, la bonne attente de l’accalmie.
En aucune œuvre, peut-être, l’idée de ruine n’apparut aussi
complète. Il faut admirer que l’artiste parvienne à produire ce regard
avec du vide, et lui donne une immensité d’expression par la science
d’attirer, vers de l’ombre, les paupières honteuses la couvrant à demi,
les flaccidités de la face résignée, les saillies des pommettes, la pierre
du genou qu’unit à la pierre du front le poing décharné, centre où
s’amasse et se recroqueville la pulpe vide de ce corps cherchant d’ins-
tinct sa chaleur.
Il n’est pas jusqu’à l’apparence du bois saure qui ne concoure à
réaliser l’impression de détresse. Au long de cette échine, il évoque
les teintes des momies, et mieux, la matière identique dans laquelle
les évocateurs du moyen âge sculptaient la danse macabre des
cloîtres précédant les charniers.
Le parallèle s’impose entre cette vision de la Mort qu’eurent les
ancêtres, moqueuse, jouant une mauvais farce à l’homme, une farce,
et cette apparition présente de la Misère. Ni la noblesse du devoir
accompli dont se glorifie le groupe des Bourgeois de Calais, ni la
satisfaction de se savoir une vertu ignorée, n’atténuent la contem-
plation du malheur. Et voilà bien autre chose que les gambades du
squelette violoneux conduisant la mariée, l’empereur et le juge au
suprême enfouissemenl.
Ce regard de la Misère, nous le retrouverons différencié, mais
semblable de nature, aux yeux de bien dos portraits. L’humanité
vieillie a perdu même le sens de s’enorgueillir de sa souffrance. Les
martyrs chrétiens périrent dans la joie d’une gloire. La surprise de
la mort égayait les barbares. Le temps actuel se dissout en se con-
templant méprisé de soi.
M. Desbois présente une autre terreur : le groupe en bronze de
la Mort. Malgré sa détresse, l’homme n’accueille point l’endormeuse
qu’il appela. Déjà l’agonisant ressemble au fantôme incliné. Son
ventre se fripe. Entre l’être surgi du tombeau et lui qui va s’y cou-
cher, la différence va finir. Le souffle émané de la Mort corrompt
précipitamment celui qui tente de fuir. Par sa présence uniquement,
elle le réduit à tomber.
Le dessein de réunir en une même salle l’œuvre d’un artiste
provoque, le plus souvent, un résultat heureux. Pour M. Desbois,