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GAZETTE DES BEAUX-ARTS
sentent au passant l’innocence de leur marbre. Des mers invisibles
inquiètent maint pêcheur de plâtre. Ici et là, le patriote surgit, fusil
au poing/ en fronçant un sourcil de bronze. Pour défendre contre
d’imaginaires uhlaris le sol envahi, certaines dames ont déboutonné
leur corsage et tentent d’épouvanter avec les contours de leurs gorges.
Le Christ tombe, pour la dix-millionième fois, sous une croix de
pierre grise. Des ligueurs oxydés se précipitent en horde, évidem-
ment, vers le trou d’un souffleur, prêts à entonner le chœur de troi-
sième acte. Les gloires posthumes se hissent le long des stèles, en
hâte d’attacher le rameau d’or à la redingote correcte d’illustres
défunts décorés par avance de rosettes officielles. Couchées, à genoux,
debout, à plat vcnlre, seules ou accompagnées, les femmes nues
s’ankylosent dans des postures sans vertu.
C’est une armée, la monotonie d’une armée où le soldat de
chaque régiment a revêtu, comme un uniforme, le sourire réglemen-
taire, le geste de tradition, la grimace prescrite par le rapport, dans on
ne sait quel magasin d’habillement et de déshabillement. Ln vain des
ordonnateurs mêlèrent-ils les nymphes aux héros, les couples d’amours
aux ensembles patriotiques, avec un peu de feuillage entre les
pâleurs. On rétablit d’instinct l’alignement rompu. On remet chaque
unité à sa place dans le rang, et une sinistre uniformité de statues à
l'exercice sur un champ de manœuvre occupe les yeux.
Le malheur fut que chacun des artistes espéra, en dressant sur
le piédestal l’effigie patinée d’un modèle, atteindre sûrement la
splendeur de la Victoire de Samothrace. Dédaigneux de chercher en
leur extase la source de beauté, ils maçonnèrent, selon les règles de
l’école, un idéal forain. Ou, sous le prétexte de saisir la réalité vivante,
ils recoururent à des moulages pris sur le corps inerte de doulou-
reuses à quelques francs la pose.
Certes, ces statues, militairement exécutées, le furent sans
fautes. Et cela n’étonne point. De génération en génération, le talent
se transmet à plus d'âmes. Beaucoup de ces œuvres, banales pour
raffinement nouveau de notre goût, eussent, il y a vingt ans, conquis
une approbation facile. Le rare d’hier devient le commun d’aujour-
d’hui. Tel qui, naguère, eût inventé, fabrique à présent; et cela, par
le même effort. Ces nudités pareront favorablement les jardins des
villas, mais comme le jet d’eau les agrémente, le jet d’eau, le quin-
conce, le perron ou le banc-parasol.
L’étude de la douleur, ici encore, a mis en valeur les plus notables
tentatives. On ne passe point devant le Contagieux maudit, de M, Le-
GAZETTE DES BEAUX-ARTS
sentent au passant l’innocence de leur marbre. Des mers invisibles
inquiètent maint pêcheur de plâtre. Ici et là, le patriote surgit, fusil
au poing/ en fronçant un sourcil de bronze. Pour défendre contre
d’imaginaires uhlaris le sol envahi, certaines dames ont déboutonné
leur corsage et tentent d’épouvanter avec les contours de leurs gorges.
Le Christ tombe, pour la dix-millionième fois, sous une croix de
pierre grise. Des ligueurs oxydés se précipitent en horde, évidem-
ment, vers le trou d’un souffleur, prêts à entonner le chœur de troi-
sième acte. Les gloires posthumes se hissent le long des stèles, en
hâte d’attacher le rameau d’or à la redingote correcte d’illustres
défunts décorés par avance de rosettes officielles. Couchées, à genoux,
debout, à plat vcnlre, seules ou accompagnées, les femmes nues
s’ankylosent dans des postures sans vertu.
C’est une armée, la monotonie d’une armée où le soldat de
chaque régiment a revêtu, comme un uniforme, le sourire réglemen-
taire, le geste de tradition, la grimace prescrite par le rapport, dans on
ne sait quel magasin d’habillement et de déshabillement. Ln vain des
ordonnateurs mêlèrent-ils les nymphes aux héros, les couples d’amours
aux ensembles patriotiques, avec un peu de feuillage entre les
pâleurs. On rétablit d’instinct l’alignement rompu. On remet chaque
unité à sa place dans le rang, et une sinistre uniformité de statues à
l'exercice sur un champ de manœuvre occupe les yeux.
Le malheur fut que chacun des artistes espéra, en dressant sur
le piédestal l’effigie patinée d’un modèle, atteindre sûrement la
splendeur de la Victoire de Samothrace. Dédaigneux de chercher en
leur extase la source de beauté, ils maçonnèrent, selon les règles de
l’école, un idéal forain. Ou, sous le prétexte de saisir la réalité vivante,
ils recoururent à des moulages pris sur le corps inerte de doulou-
reuses à quelques francs la pose.
Certes, ces statues, militairement exécutées, le furent sans
fautes. Et cela n’étonne point. De génération en génération, le talent
se transmet à plus d'âmes. Beaucoup de ces œuvres, banales pour
raffinement nouveau de notre goût, eussent, il y a vingt ans, conquis
une approbation facile. Le rare d’hier devient le commun d’aujour-
d’hui. Tel qui, naguère, eût inventé, fabrique à présent; et cela, par
le même effort. Ces nudités pareront favorablement les jardins des
villas, mais comme le jet d’eau les agrémente, le jet d’eau, le quin-
conce, le perron ou le banc-parasol.
L’étude de la douleur, ici encore, a mis en valeur les plus notables
tentatives. On ne passe point devant le Contagieux maudit, de M, Le-