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GAZETTE DES BEAUX-ARTS
vers cette perfection que permet la grande science des beaux-arts :
être devant une œuvre sans rien voir qu'elle seule, sans plus songer
à prendre des notes sur son impression, sentir comme un simple et
pouvoir, parce que le sentiment vient d’une intelligence puissante
et affinée, le rendre ensuite dans toute la beauté sentie.
Pourquoi la Renaissance s’est enracinée en Italie et comment
elle est devenue l’un des plus puissants éléments de l'unité dans cet
amas de cités sans lien véritable, on no saurait mieux le comprendre
qu’en suivant, à travers toutes les régions de la Péninsule, le pro-
grès, ou, si l’on aime mieux, l'évolution des beaux-arts. L’infatigable
érudition de M. Eugène Müntz est ici le plus sûr des guides, et c’est
une de ses idées les plus heureuses que cette succession de chapitres
consacrés aux diverses provinces, je serais presque tenté de dire
aux diverses peuplades, réunies sous le nom d’Italie. On voit com-
bien, dans les époques primitives, l’individualité locale était puis-
sante, et l’on surprend, à chaque effort nouveau vers un commun
idéal, un mouvement vers l’unité et l’effacement d’un caractère ori-
ginal, pour compenser. C’est la Renaissance qui a donné à l’Italie la
pleine conscience d’elle-même, au point de vue intellectuel; et les
cités italiennes, l’art italien ont payé ce bienfait en abdiquant leur
vertu propre; Puniformité dans le goût, la monotonie des méthodes,
étaient au bout de ce chemin vers un état plus cohérent.
Les fondements mêmes de l’organisation primitive, au sortir du
moyen âge, semblaient préparer les Etats de l’Italie à recevoir ou à
ranimer plus facilement la culture antique. Dans quel milieu social
les fédérations antiques pouvaient-elles mieux se comprendre? Et,
durant cette période initiale de la Renaissance, l’individu se trouvait
contraint d’accumuler ce trésor de forces qu’il dépensera, qu’il
gaspillera dans les deux époques suivantes ; enfermé dans un
champ d’action très restreint, l’homme, le citoyen, artisan de l’art
ou des lettres, se replie sur lui-même, son énergie intime aug-
mente, et en même temps l’expansion en est contenue par ses pairs,
qui l’entourent et qui le jugent. Il y a des lois, des sanctions et
des règles. Ensuite arrivent les années, d’abord fécondes, puis con-
fuses, du dérèglement, des luttes qui bouleversent l’ordre moral et
l’ordre social de fond en comble; l’incertitude est dans toute cette
société qui se désagrège. Alors, l’individu compte seul, et il ne doit
compter aussi que sur lui-même ou sur d’autres individus puissants
et résolus. Le fruit naturel d’une telle situation, c’est le mécénat ; et
GAZETTE DES BEAUX-ARTS
vers cette perfection que permet la grande science des beaux-arts :
être devant une œuvre sans rien voir qu'elle seule, sans plus songer
à prendre des notes sur son impression, sentir comme un simple et
pouvoir, parce que le sentiment vient d’une intelligence puissante
et affinée, le rendre ensuite dans toute la beauté sentie.
Pourquoi la Renaissance s’est enracinée en Italie et comment
elle est devenue l’un des plus puissants éléments de l'unité dans cet
amas de cités sans lien véritable, on no saurait mieux le comprendre
qu’en suivant, à travers toutes les régions de la Péninsule, le pro-
grès, ou, si l’on aime mieux, l'évolution des beaux-arts. L’infatigable
érudition de M. Eugène Müntz est ici le plus sûr des guides, et c’est
une de ses idées les plus heureuses que cette succession de chapitres
consacrés aux diverses provinces, je serais presque tenté de dire
aux diverses peuplades, réunies sous le nom d’Italie. On voit com-
bien, dans les époques primitives, l’individualité locale était puis-
sante, et l’on surprend, à chaque effort nouveau vers un commun
idéal, un mouvement vers l’unité et l’effacement d’un caractère ori-
ginal, pour compenser. C’est la Renaissance qui a donné à l’Italie la
pleine conscience d’elle-même, au point de vue intellectuel; et les
cités italiennes, l’art italien ont payé ce bienfait en abdiquant leur
vertu propre; Puniformité dans le goût, la monotonie des méthodes,
étaient au bout de ce chemin vers un état plus cohérent.
Les fondements mêmes de l’organisation primitive, au sortir du
moyen âge, semblaient préparer les Etats de l’Italie à recevoir ou à
ranimer plus facilement la culture antique. Dans quel milieu social
les fédérations antiques pouvaient-elles mieux se comprendre? Et,
durant cette période initiale de la Renaissance, l’individu se trouvait
contraint d’accumuler ce trésor de forces qu’il dépensera, qu’il
gaspillera dans les deux époques suivantes ; enfermé dans un
champ d’action très restreint, l’homme, le citoyen, artisan de l’art
ou des lettres, se replie sur lui-même, son énergie intime aug-
mente, et en même temps l’expansion en est contenue par ses pairs,
qui l’entourent et qui le jugent. Il y a des lois, des sanctions et
des règles. Ensuite arrivent les années, d’abord fécondes, puis con-
fuses, du dérèglement, des luttes qui bouleversent l’ordre moral et
l’ordre social de fond en comble; l’incertitude est dans toute cette
société qui se désagrège. Alors, l’individu compte seul, et il ne doit
compter aussi que sur lui-même ou sur d’autres individus puissants
et résolus. Le fruit naturel d’une telle situation, c’est le mécénat ; et