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GAZETTE DES BEAUX-ARTS
Roger, fut attribué par lui au peintre suédois Roslin et cette attribu-
tion fut acceptée par les historiens et par les catalogues du musée
de Versailles, jusqu’à ce que M. H. Bouchot en eût démontré la faus-
seté par des arguments irréfutables et restitué cette œuvre impor-
tante à Mmc Lebrun.
Dans ce premier essai, cette dame s’était, avant tout, attachée à
plaire à la Reine ; elle y réussit si bien que cette princesse lui resta
fidèle jusqu’à la Révolution et lui lit faire maintes fois son portrait
dans des attitudes différentes. Ce fut ainsi que Mmc Lebrun parvint
à créer ce visage idéal de Marie-Antoinette, cette séduisante figure,
toute de convention, qui est encore aujourd’hui considérée généra-
lement comme étant l'image la plus vraie de cette malheureuse
reine. Dans ce portrait en pied, ainsi que dans ceux qui suivirent,
notamment ceux où Marie-Antoinette est représentée faisant un
bouquet, Mme Lebrun a atténué et parfois môme supprimé les défauts
qui ont été indiqués à plusieurs reprises au cours de cette étude ;
par ce moyen, elle put arriver à donner à la Reine une figure pres-
que régulière et charmante.
Cette flatterie de son pinceau était tellement exagérée que
Mme Lebrun, dans ses Souvenirs, très probablement sans s’en douter,
ht quelques rectifications, d’ailleurs insuffisantes. Après avoir dit
que Marie-Antoinette était grande, admirablement faite, assez grasse,
sans l’être trop, que ses bras étaient superbes, ses mains petites,
parfaites de forme, et ses pieds charmants, elle ajoutait :
« Ses traits n’étaient point réguliers ; elle tenait de sa famille cet ovale
long et étroit, particulier à la nation autrichienne. Elle n’avait point de
grands yeux; leur couleur était presque bleue; son regard était spirituel
et doux, son nez fin et joli, sa bouche pas trop grande, quoique les lèvres
fussent un peu fortes. Mais ce qu’il y avait de plus remarquable dans son
visage, c’était l’éclat de son teint. Je n’en ai jamais vu d’aussi brillant et
brillant est le mot, car sa peau était si transparente qu’elle ne prenait
point d’ombre. Aussi ne pouvais-je en rendre l’effet à mon gré ; les cou-
leurs me manquaient pour peindre cette fraîcheur, ces tons si fins qui
n’appartenaient qu’à cette charmante figure et que je n’ai retrouvés chez
aucune autre femme. 1 »
Le ton de ce morceau indique assez que c’est un éloge enthou-
siaste dont il convient de se défier. Il faut le corriger par les juge-
ments que l’on trouve dans des écrivains contemporains moins
intéressés que Mme Lebrun à vanter la beauté de la souveraine dont
1. Mme Lebrun, Souvenirs, t. I, p. 63.
GAZETTE DES BEAUX-ARTS
Roger, fut attribué par lui au peintre suédois Roslin et cette attribu-
tion fut acceptée par les historiens et par les catalogues du musée
de Versailles, jusqu’à ce que M. H. Bouchot en eût démontré la faus-
seté par des arguments irréfutables et restitué cette œuvre impor-
tante à Mmc Lebrun.
Dans ce premier essai, cette dame s’était, avant tout, attachée à
plaire à la Reine ; elle y réussit si bien que cette princesse lui resta
fidèle jusqu’à la Révolution et lui lit faire maintes fois son portrait
dans des attitudes différentes. Ce fut ainsi que Mmc Lebrun parvint
à créer ce visage idéal de Marie-Antoinette, cette séduisante figure,
toute de convention, qui est encore aujourd’hui considérée généra-
lement comme étant l'image la plus vraie de cette malheureuse
reine. Dans ce portrait en pied, ainsi que dans ceux qui suivirent,
notamment ceux où Marie-Antoinette est représentée faisant un
bouquet, Mme Lebrun a atténué et parfois môme supprimé les défauts
qui ont été indiqués à plusieurs reprises au cours de cette étude ;
par ce moyen, elle put arriver à donner à la Reine une figure pres-
que régulière et charmante.
Cette flatterie de son pinceau était tellement exagérée que
Mme Lebrun, dans ses Souvenirs, très probablement sans s’en douter,
ht quelques rectifications, d’ailleurs insuffisantes. Après avoir dit
que Marie-Antoinette était grande, admirablement faite, assez grasse,
sans l’être trop, que ses bras étaient superbes, ses mains petites,
parfaites de forme, et ses pieds charmants, elle ajoutait :
« Ses traits n’étaient point réguliers ; elle tenait de sa famille cet ovale
long et étroit, particulier à la nation autrichienne. Elle n’avait point de
grands yeux; leur couleur était presque bleue; son regard était spirituel
et doux, son nez fin et joli, sa bouche pas trop grande, quoique les lèvres
fussent un peu fortes. Mais ce qu’il y avait de plus remarquable dans son
visage, c’était l’éclat de son teint. Je n’en ai jamais vu d’aussi brillant et
brillant est le mot, car sa peau était si transparente qu’elle ne prenait
point d’ombre. Aussi ne pouvais-je en rendre l’effet à mon gré ; les cou-
leurs me manquaient pour peindre cette fraîcheur, ces tons si fins qui
n’appartenaient qu’à cette charmante figure et que je n’ai retrouvés chez
aucune autre femme. 1 »
Le ton de ce morceau indique assez que c’est un éloge enthou-
siaste dont il convient de se défier. Il faut le corriger par les juge-
ments que l’on trouve dans des écrivains contemporains moins
intéressés que Mme Lebrun à vanter la beauté de la souveraine dont
1. Mme Lebrun, Souvenirs, t. I, p. 63.