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GAZETTE DES BEAUX-ARTS
fantastiques, de monstres purement imaginaires. Ces lettres sont
particulièrement abondantes dans un psautier d’Amiens, datant du
ix° siècle. Aux motifs empruntés à la faune spéciale chère à ces
artistes, le scribe a ajouté des têtes humaines grossièrement dessi-
nées, des guerriers, des personnages ecclésiastiques ; le tout est fort
curieux et témoigne d’une vive imagination. Mais aux figures
d’hommes et d’animaux les moines anglo-saxons ont joint parfois
des images d’un caractère tout différent; ce sont des dessins géomé-
triques avec alternances de teintes; les lignes, tracées au compas,
tantôt droites, tantôt circulaires, se croisent, s’enchevêtrent, sans
jamais se confondre et l’ensemble constitue un dessin géométrique
bien équilibré, et dont toutes les parties se répondent rigoureuse-
ment. C’est un peu un jeu d’enfant, mais merveilleusement exécuté
et dénotant chez les scribes une surprenante dextérité. Au même
genre se rattachent les belles initiales ornées qui pullulent dans
les manuscrits luxueux du ixe siècle. Certaines pages de ces volumes
sont tout entières occupées par de grandes lettres capitales ou
onciales, admirablement peintes, et à l’intérieur desquelles se déve-
loppent, en replis innombrables, des bandelettes de couleurs
variées : or, pourpre, jaune ou rouge. On peut indiquer comme
particulièrement remarquables quelques pages de l’évangéliaire
offert à Ebbon, archevêque de Reims, et du sacramentaire d’Autun,
produit de l’école de Marmoutier, au milieu du ixe siècle. Tout cela
révèle à la fois un goût parfait et une habileté étonnante.
Les deux arts s’associent dès lors et apparaissent côte à côte
dans les mêmes volumes. Qu’on examine, par exemple, les deux
manuscrits que nous venons de citer. L’évangéliaire dit d’Ebbon
appartient à la bibliothèque d’Epernay; offert à ce prélat vers
l’an 830, il a appartenu ensuite à l’abbaye d’Hautvillers. En tête de
chaque Évangile, le calligraphe a réservé une page à des lettres
à entrelacs; au début du volume, sont les canons disposés sous des
arcades à l’antique, flanquées de petites figures, d’animaux, de
scènes familières ou de chasse, copiées vraisemblablement sur d’an-
ciens modèles ; enfin, à chaque livre, une grande peinture repré-
sentant un des Evangélistes. Ce sont des personnages à l’antique,
vêtus de robes à larges plis, occupés à écrire l'histoire de Jésus : ces
figures sont d’un beau style; le dessin en est satisfaisant, les couleurs
en sont brillantes, les ombres sont indiquées avec soin; en un mot,
sans faire tort à l’artiste, on peut croire qu’il a eu sous les yeux un
modèle plus ancien qu’il a supérieurement reproduit. Ce beau ma-
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fantastiques, de monstres purement imaginaires. Ces lettres sont
particulièrement abondantes dans un psautier d’Amiens, datant du
ix° siècle. Aux motifs empruntés à la faune spéciale chère à ces
artistes, le scribe a ajouté des têtes humaines grossièrement dessi-
nées, des guerriers, des personnages ecclésiastiques ; le tout est fort
curieux et témoigne d’une vive imagination. Mais aux figures
d’hommes et d’animaux les moines anglo-saxons ont joint parfois
des images d’un caractère tout différent; ce sont des dessins géomé-
triques avec alternances de teintes; les lignes, tracées au compas,
tantôt droites, tantôt circulaires, se croisent, s’enchevêtrent, sans
jamais se confondre et l’ensemble constitue un dessin géométrique
bien équilibré, et dont toutes les parties se répondent rigoureuse-
ment. C’est un peu un jeu d’enfant, mais merveilleusement exécuté
et dénotant chez les scribes une surprenante dextérité. Au même
genre se rattachent les belles initiales ornées qui pullulent dans
les manuscrits luxueux du ixe siècle. Certaines pages de ces volumes
sont tout entières occupées par de grandes lettres capitales ou
onciales, admirablement peintes, et à l’intérieur desquelles se déve-
loppent, en replis innombrables, des bandelettes de couleurs
variées : or, pourpre, jaune ou rouge. On peut indiquer comme
particulièrement remarquables quelques pages de l’évangéliaire
offert à Ebbon, archevêque de Reims, et du sacramentaire d’Autun,
produit de l’école de Marmoutier, au milieu du ixe siècle. Tout cela
révèle à la fois un goût parfait et une habileté étonnante.
Les deux arts s’associent dès lors et apparaissent côte à côte
dans les mêmes volumes. Qu’on examine, par exemple, les deux
manuscrits que nous venons de citer. L’évangéliaire dit d’Ebbon
appartient à la bibliothèque d’Epernay; offert à ce prélat vers
l’an 830, il a appartenu ensuite à l’abbaye d’Hautvillers. En tête de
chaque Évangile, le calligraphe a réservé une page à des lettres
à entrelacs; au début du volume, sont les canons disposés sous des
arcades à l’antique, flanquées de petites figures, d’animaux, de
scènes familières ou de chasse, copiées vraisemblablement sur d’an-
ciens modèles ; enfin, à chaque livre, une grande peinture repré-
sentant un des Evangélistes. Ce sont des personnages à l’antique,
vêtus de robes à larges plis, occupés à écrire l'histoire de Jésus : ces
figures sont d’un beau style; le dessin en est satisfaisant, les couleurs
en sont brillantes, les ombres sont indiquées avec soin; en un mot,
sans faire tort à l’artiste, on peut croire qu’il a eu sous les yeux un
modèle plus ancien qu’il a supérieurement reproduit. Ce beau ma-