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GAZETTE DES BEAUX-ARTS
Je me suis plu à rechercher les causes de ce succès et à étudier
les sentiments de la foule qui se pressait autour de nos collections,
et dans laquelle dominait d’ailleurs l’élément français. Certes, l’em-
pressement du public est naturel et n’a pas besoin d’être expliqué
quand il s’agit, par exemple, d’admirer les incomparables galeries
du Petit Palais, où c’est l’histoire glorieuse de l’art français qui est
retracée. Mais il n’en va pas de même pour un pavillon étranger ;
les causes sont moins visibles ; et il est curieux d’examiner quel
intérêt fut assez vif pour conduire les visiteurs en foule au pavillon
de la Hongrie.
Il faut tenir compte d’abord d’une raison très générale, qui
est l’amour de l’art, inné chez les Français. La vue que présente
le pavillon a captivé le public dès le premier coup d’œil et avant
même que les détails eussent pu être regardés de près. En outre,
la bonne volonté et le dévouement des exposants, qui ont consenti
à se séparer pour un an de leurs plus précieux trésors de famille, a
excité la sympathie générale, d’autant plus qu'on a vu là tout natu-
rellement une preuve de confiance et d’empressement à l’égard de la
nation hospitalière qui devenait pour un temps dépositaire de ces
riches collections. Enfin, et surtout, ce qui a décidé du succès, c’est
le spectacle surprenant des monuments artistiques d’une civilisation
très originale, dont on devinait tout l’intérêt, sans la bien connaître.
Les œuvres d’art, dans notre pays, ont eu de bonne heure un carac-
tère propre, explicable à la fois par nos institutions nationales, par
les tendances intellectuelles des différentes époques, et par les fortes
qualités particulières à notre race. Ce caractère, on le retrouve tou-
jours à travers les siècles ; on peut le discerner aujourd'hui encore,
bien que notre génération ait subi l’influence de la civilisation
cosmopolite. Tout en marchant dans la voie commune, frayée par
des nations plus avancées, le Hongrois aimait et demandait autre
chose que l’étranger ; il modifiait à son gré les formes inventées
par d’autres et ajoutait à tout ce qu’il touchait sa marque person-
nelle. C’est ainsi que les œuvres artistiques ou les objets usuels
sortis de la Hongrie se rattachent par leurs traits généraux à Fart
occidental dont ils sont contemporains, et portent cependant les
signes distinctifs d’un art indigène. Ces signes distinctifs ont tou-
jours été remarqués parles étrangers, car ils étaient nouveaux pour
eux et contrastaient avec les beautés, habituelles à leurs regards,
empruntées aux arts occidentaux. Sans doute, on n’est jamais allé
jusqu’à parler d’un art hongrois, les étrangers ayant encore moins
GAZETTE DES BEAUX-ARTS
Je me suis plu à rechercher les causes de ce succès et à étudier
les sentiments de la foule qui se pressait autour de nos collections,
et dans laquelle dominait d’ailleurs l’élément français. Certes, l’em-
pressement du public est naturel et n’a pas besoin d’être expliqué
quand il s’agit, par exemple, d’admirer les incomparables galeries
du Petit Palais, où c’est l’histoire glorieuse de l’art français qui est
retracée. Mais il n’en va pas de même pour un pavillon étranger ;
les causes sont moins visibles ; et il est curieux d’examiner quel
intérêt fut assez vif pour conduire les visiteurs en foule au pavillon
de la Hongrie.
Il faut tenir compte d’abord d’une raison très générale, qui
est l’amour de l’art, inné chez les Français. La vue que présente
le pavillon a captivé le public dès le premier coup d’œil et avant
même que les détails eussent pu être regardés de près. En outre,
la bonne volonté et le dévouement des exposants, qui ont consenti
à se séparer pour un an de leurs plus précieux trésors de famille, a
excité la sympathie générale, d’autant plus qu'on a vu là tout natu-
rellement une preuve de confiance et d’empressement à l’égard de la
nation hospitalière qui devenait pour un temps dépositaire de ces
riches collections. Enfin, et surtout, ce qui a décidé du succès, c’est
le spectacle surprenant des monuments artistiques d’une civilisation
très originale, dont on devinait tout l’intérêt, sans la bien connaître.
Les œuvres d’art, dans notre pays, ont eu de bonne heure un carac-
tère propre, explicable à la fois par nos institutions nationales, par
les tendances intellectuelles des différentes époques, et par les fortes
qualités particulières à notre race. Ce caractère, on le retrouve tou-
jours à travers les siècles ; on peut le discerner aujourd'hui encore,
bien que notre génération ait subi l’influence de la civilisation
cosmopolite. Tout en marchant dans la voie commune, frayée par
des nations plus avancées, le Hongrois aimait et demandait autre
chose que l’étranger ; il modifiait à son gré les formes inventées
par d’autres et ajoutait à tout ce qu’il touchait sa marque person-
nelle. C’est ainsi que les œuvres artistiques ou les objets usuels
sortis de la Hongrie se rattachent par leurs traits généraux à Fart
occidental dont ils sont contemporains, et portent cependant les
signes distinctifs d’un art indigène. Ces signes distinctifs ont tou-
jours été remarqués parles étrangers, car ils étaient nouveaux pour
eux et contrastaient avec les beautés, habituelles à leurs regards,
empruntées aux arts occidentaux. Sans doute, on n’est jamais allé
jusqu’à parler d’un art hongrois, les étrangers ayant encore moins