LA. PEINTURE FRANÇAISE A L’EXPOSITION CENTENNALE 4C3
après le manifeste de Courbet, lançait, avec une fureur comique,
son mandement de 1863, où, au nom d’Apollon et des Muses, il
anathématisait à tort et à travers... Delacroix, de son côté, en ren-
trant de voir les Baigneuses (celles qui sont aujourd’hui au musée
de Montpellier), écrivait sur ses carnets : « Quel tableau ! quel
sujet! La vulgarité des formes ne serait rien; c’est la vulgarité et
l’inutilité de la pensée qui est abominable; et même, au milieu de
tout cela, si cette idée, telle quelle, était claire ! »
Courbet a tout à gagner à ce qu’on néglige en lui « le penseur »
pour ne s’occuper que du peintre. Son métier solide et homogène
atteint souvent à la puissance ; il modèle et construit fortement
dans une pâte grasse et ferme qu’il étale largement, avec le couteau
à palette, en bon maçon et grand praticien ; sa vision est directe,
franche et pleine... Et pourtant, à quelques exceptions près, ses
tableaux sont inertes; la vibration de la lumière et de la vie
s’arrête au bord du cadre, comme figée sur la toile ; ce qu’il
exprime le mieux, c’est, dans le paysage, les heures lourdes et, si
l’on peut dire, les sites somnolents. Aussi, comme il a bien compris
et traduit l’accablement des bœufs ruminant et des laboureurs
endormis en plein champ, à l’heure de la Sieste ! Une sorte de torpeur
Hotte encore dans l’atmosphère de ce blond tableau des Cribleuses,
où tant de linesse se mêle à la solidité de la facture... Mais de tout
ce qu'on a réuni ici de son œuvre, le morceau le plus curieux est ce
petit tableau où il s’est peint lui-même, assis, adossé à un rocher,
au bord d’un paysage lumineux, son épagneul noir près de lui, un
album de croquis à ses côtés. C’est presque encore un adolescent ;
un léger duvet ombre à peine ses joues, qu’encadre une épaisse che-
velure romantique et « mérovingienne ». Un sombrero à larges bords
abrite son front orgueilleux ; sa taille est prise dans un veston de
velours noir, dont il s’est plu à montrer la doublure soyeuse, d’un ton
délicat de rose fanée, près du pantalon clair à raies vertes. C’est
encore presque la tenue d’un combattant de la première à’Hernani ;
Théophile Gautier l’eût approuvée. Et, à cette heure, en effet, il fait,
c’est lui qui le dit, des tableaux qu’il intitule : L'Homme délivré de
l'amour par la mort, ou bien La Nuit du Walpurgis, « tableau allégo-
rique résumant tout le Faust de Gœthe » -— tout simplement! — sur
lequel, plus tard, il peignit Les Lutteurs. Avec quelle complaisance
et quel orgueil, naïf et madré à la fois, il s’est mis en scène! Son
maître, le davidien Flageoulot, lui a dit : « Tu seras le roi de la
couleur. » Et le voilà prêt à régner. Il trône au premier plan ; la
XXIV.
3* PÉRIODE.
après le manifeste de Courbet, lançait, avec une fureur comique,
son mandement de 1863, où, au nom d’Apollon et des Muses, il
anathématisait à tort et à travers... Delacroix, de son côté, en ren-
trant de voir les Baigneuses (celles qui sont aujourd’hui au musée
de Montpellier), écrivait sur ses carnets : « Quel tableau ! quel
sujet! La vulgarité des formes ne serait rien; c’est la vulgarité et
l’inutilité de la pensée qui est abominable; et même, au milieu de
tout cela, si cette idée, telle quelle, était claire ! »
Courbet a tout à gagner à ce qu’on néglige en lui « le penseur »
pour ne s’occuper que du peintre. Son métier solide et homogène
atteint souvent à la puissance ; il modèle et construit fortement
dans une pâte grasse et ferme qu’il étale largement, avec le couteau
à palette, en bon maçon et grand praticien ; sa vision est directe,
franche et pleine... Et pourtant, à quelques exceptions près, ses
tableaux sont inertes; la vibration de la lumière et de la vie
s’arrête au bord du cadre, comme figée sur la toile ; ce qu’il
exprime le mieux, c’est, dans le paysage, les heures lourdes et, si
l’on peut dire, les sites somnolents. Aussi, comme il a bien compris
et traduit l’accablement des bœufs ruminant et des laboureurs
endormis en plein champ, à l’heure de la Sieste ! Une sorte de torpeur
Hotte encore dans l’atmosphère de ce blond tableau des Cribleuses,
où tant de linesse se mêle à la solidité de la facture... Mais de tout
ce qu'on a réuni ici de son œuvre, le morceau le plus curieux est ce
petit tableau où il s’est peint lui-même, assis, adossé à un rocher,
au bord d’un paysage lumineux, son épagneul noir près de lui, un
album de croquis à ses côtés. C’est presque encore un adolescent ;
un léger duvet ombre à peine ses joues, qu’encadre une épaisse che-
velure romantique et « mérovingienne ». Un sombrero à larges bords
abrite son front orgueilleux ; sa taille est prise dans un veston de
velours noir, dont il s’est plu à montrer la doublure soyeuse, d’un ton
délicat de rose fanée, près du pantalon clair à raies vertes. C’est
encore presque la tenue d’un combattant de la première à’Hernani ;
Théophile Gautier l’eût approuvée. Et, à cette heure, en effet, il fait,
c’est lui qui le dit, des tableaux qu’il intitule : L'Homme délivré de
l'amour par la mort, ou bien La Nuit du Walpurgis, « tableau allégo-
rique résumant tout le Faust de Gœthe » -— tout simplement! — sur
lequel, plus tard, il peignit Les Lutteurs. Avec quelle complaisance
et quel orgueil, naïf et madré à la fois, il s’est mis en scène! Son
maître, le davidien Flageoulot, lui a dit : « Tu seras le roi de la
couleur. » Et le voilà prêt à régner. Il trône au premier plan ; la
XXIV.
3* PÉRIODE.