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GAZETTE DES BEAUX-ARTS
de Padoue et Nicolas de Bari, avec ses six panneaux contenant les
épisodes les plus connus de la vie dos deux saints, le grand triptyque
de Sainte Anne sur un trône, avec la Vierge et l’Enfant Jésus, et,
sur les volets, les deux mêmes saints, par Gérard David, ont été
achetés à Palma (île de Mayorque). L’Espagne, où les importations
flamandes furent si considérables au xve siècle, est devenue la der-
nière réserve qui puisse encore faire espérer aux chercheurs patients
et aux riches amateurs des trouvailles heureuses de ce genre. Une
Sainte Engracia, assise sur un trône, qui décorait autrefois le greffe
du tribunal civil de Barcelone, nous montre une fois de plus avec
quelle conviction ardente les peintres espagnols s’assimilaient alors
le style et la couleur flamandes, comme ils allaient bientôt s’assi-
miler le style et la couleur italiennes. Une peinture antérieure, du
maître anonyme dit de Mérode ou de Flémalle, longtemps confondu
avec Rogier van der Weyden, bien qu’il en diffère assez nettement
par l’âpreté plus dure et plus sèche de sa manière, nous reporte à
une période moins éclectique. C’est une Vierge maigre, d’un type
assez peu séduisant, avec un nez long et pincé, des yeux minces, trop
rapprochés, un ovale, très long aussi, de visage pâle, assise dans son
intérieur. Une sorte de corbeille ronde, en joncs tressés avec une
extrême minutie, suspendue à la muraille, derrière sa tète, lui
forme une auréole, comme ces disques de métal, d’étoffe ou de van-
nerie, dont les dévots entourent encore la tête de la Vierge ou des
saints dans les églises d’Espagne et d’Italie. De la main droite, elle
presse son sein complètement sorti de la robe, devant les lèvres de
l’Enfant qui gambille, sec et anguleux, comme tous scs petits compa-
triotes. Le dessin est âpre, mais d'une résolution et d’une saveur
remarquables. Les nus sont modelés dans une matière blanche et
dure, avec une insistance scrupuleuse et une recherche des saillies
qui marquent, chez l’artiste convaincu, autant de conscience per-
sistante que d’expérience déjà acquise. On ne saurait être plus
ignorant de ce qui peut se passer hors des Flandres ou de l’Allemagne.
Dans le premier quart du xvie siècle, à l’époque même où Gérard
David conservait encore, presque intactes, toutes les traditions de
l’école brugeoise, la Renaissance italienne avait déjà pénétré, par
des infiltrations lentes et d’abord presque insensibles, dans les
Flandres françaises. Les deux triptyques de la cathédrale d’Arras
(au Petit Palais) qu’on peut attribuer à Jean Bellegambe, de Douai,
né vers 1470, mort après 1334, sont très instructifs à cet égard. Tous
deux, avant la Révolution, occupaient encore, dans la célèbre abbaye
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de Padoue et Nicolas de Bari, avec ses six panneaux contenant les
épisodes les plus connus de la vie dos deux saints, le grand triptyque
de Sainte Anne sur un trône, avec la Vierge et l’Enfant Jésus, et,
sur les volets, les deux mêmes saints, par Gérard David, ont été
achetés à Palma (île de Mayorque). L’Espagne, où les importations
flamandes furent si considérables au xve siècle, est devenue la der-
nière réserve qui puisse encore faire espérer aux chercheurs patients
et aux riches amateurs des trouvailles heureuses de ce genre. Une
Sainte Engracia, assise sur un trône, qui décorait autrefois le greffe
du tribunal civil de Barcelone, nous montre une fois de plus avec
quelle conviction ardente les peintres espagnols s’assimilaient alors
le style et la couleur flamandes, comme ils allaient bientôt s’assi-
miler le style et la couleur italiennes. Une peinture antérieure, du
maître anonyme dit de Mérode ou de Flémalle, longtemps confondu
avec Rogier van der Weyden, bien qu’il en diffère assez nettement
par l’âpreté plus dure et plus sèche de sa manière, nous reporte à
une période moins éclectique. C’est une Vierge maigre, d’un type
assez peu séduisant, avec un nez long et pincé, des yeux minces, trop
rapprochés, un ovale, très long aussi, de visage pâle, assise dans son
intérieur. Une sorte de corbeille ronde, en joncs tressés avec une
extrême minutie, suspendue à la muraille, derrière sa tète, lui
forme une auréole, comme ces disques de métal, d’étoffe ou de van-
nerie, dont les dévots entourent encore la tête de la Vierge ou des
saints dans les églises d’Espagne et d’Italie. De la main droite, elle
presse son sein complètement sorti de la robe, devant les lèvres de
l’Enfant qui gambille, sec et anguleux, comme tous scs petits compa-
triotes. Le dessin est âpre, mais d'une résolution et d’une saveur
remarquables. Les nus sont modelés dans une matière blanche et
dure, avec une insistance scrupuleuse et une recherche des saillies
qui marquent, chez l’artiste convaincu, autant de conscience per-
sistante que d’expérience déjà acquise. On ne saurait être plus
ignorant de ce qui peut se passer hors des Flandres ou de l’Allemagne.
Dans le premier quart du xvie siècle, à l’époque même où Gérard
David conservait encore, presque intactes, toutes les traditions de
l’école brugeoise, la Renaissance italienne avait déjà pénétré, par
des infiltrations lentes et d’abord presque insensibles, dans les
Flandres françaises. Les deux triptyques de la cathédrale d’Arras
(au Petit Palais) qu’on peut attribuer à Jean Bellegambe, de Douai,
né vers 1470, mort après 1334, sont très instructifs à cet égard. Tous
deux, avant la Révolution, occupaient encore, dans la célèbre abbaye