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GAZETTE DES BEAUX-ARTS
après un séjour prolongé dans leur atmosphère habituelle, bien des
tableaux qui nous séduisent par un charme étranger, une saveur
très exotique, nous paraîtraient tout aussi académiques et conven-
tionnels, usés et rebattus, que nombre de sujets scolaires de notre
pays qui nous donnent la nausée, à nous autres, et qui, cependant,
jouissent de l’autre côté de la Manche, et pour des raisons identiques,
de faveurs que nous ne nous expliquons pas. Cet accent étranger,
tout nouveau pour nous, leur donne un attrait incontestable.
Mais encore est-il qu’ils l’ont vraiment, cet accent étranger, et
que si, individuellement, nous devons en tenir compte avec quel-
que défiance dans nos jugements, il est, pour cette école, la preuve
de l’existence d’un robuste tempérament local, de qualités parti-
culières de race, phénomène assez rare pour que nous puissions le
constater, à chaque manifestation décennale, avec la même satis-
faction.
Ce qui distingue cette section, en dehors de certaines habitudes
de technique — coupe spéciale du tableau affectant généralement des
partis pris accusés en hauteur ou en largeur, mise en toile du sujet
un peu différente, sans parler des tonalités chaudes et rousses qui,
depuis Reynolds, colorent uniformément toutes les productions
indigènes, — c’est la prédominance de l’imagination qui déborde
jusque dans l’observation, une tendance à un idéalisme souvent un
peu facile et qui se laisse aller parfois jusqu’à des abus, jointe à un
sentiment très pénétré de la vie, de la physionomie humaine et des
spectacles de la nature. Cela donne un aspect très subjectif à cet
art, où le réalisme, s’il se rencontre, a toujours un caractère
expressif.
Ce réalisme, à la fois aigu et poétique, fut, à ses débuts, la marque
distinctive du mouvement préraphaélite. Nous ne trouvons plus
guère, aujourd’hui, de contemporains de ce petit groupe actif dont
1 influence s’est fait sentir si tard chez nous, et même à la suite de la
littérature et de l’industrie mobilière d’Outre-Manche. Voici bien
Burne-Jones, mais dans sa dernière manière, plus académique, plus
sage, bien éloignée, hélas ! de ses premiers ouvrages si émouvants,
dont on a pu admirer quelques nobles échantillons au Pavillon
britannique ; le voici, avec son dessin long et brisé, les plis cassés
de ses draperies, l’apauvrissement du ton et l’affaiblissement du
caractère. Et, néanmoins, le Rêve de Lancelot et le Conte de la
prieure, celui-ci un peu plus ancien, moins sec et plus coloré, nous
retiennent, malgré nous, par un incontestable sentiment de profonde
GAZETTE DES BEAUX-ARTS
après un séjour prolongé dans leur atmosphère habituelle, bien des
tableaux qui nous séduisent par un charme étranger, une saveur
très exotique, nous paraîtraient tout aussi académiques et conven-
tionnels, usés et rebattus, que nombre de sujets scolaires de notre
pays qui nous donnent la nausée, à nous autres, et qui, cependant,
jouissent de l’autre côté de la Manche, et pour des raisons identiques,
de faveurs que nous ne nous expliquons pas. Cet accent étranger,
tout nouveau pour nous, leur donne un attrait incontestable.
Mais encore est-il qu’ils l’ont vraiment, cet accent étranger, et
que si, individuellement, nous devons en tenir compte avec quel-
que défiance dans nos jugements, il est, pour cette école, la preuve
de l’existence d’un robuste tempérament local, de qualités parti-
culières de race, phénomène assez rare pour que nous puissions le
constater, à chaque manifestation décennale, avec la même satis-
faction.
Ce qui distingue cette section, en dehors de certaines habitudes
de technique — coupe spéciale du tableau affectant généralement des
partis pris accusés en hauteur ou en largeur, mise en toile du sujet
un peu différente, sans parler des tonalités chaudes et rousses qui,
depuis Reynolds, colorent uniformément toutes les productions
indigènes, — c’est la prédominance de l’imagination qui déborde
jusque dans l’observation, une tendance à un idéalisme souvent un
peu facile et qui se laisse aller parfois jusqu’à des abus, jointe à un
sentiment très pénétré de la vie, de la physionomie humaine et des
spectacles de la nature. Cela donne un aspect très subjectif à cet
art, où le réalisme, s’il se rencontre, a toujours un caractère
expressif.
Ce réalisme, à la fois aigu et poétique, fut, à ses débuts, la marque
distinctive du mouvement préraphaélite. Nous ne trouvons plus
guère, aujourd’hui, de contemporains de ce petit groupe actif dont
1 influence s’est fait sentir si tard chez nous, et même à la suite de la
littérature et de l’industrie mobilière d’Outre-Manche. Voici bien
Burne-Jones, mais dans sa dernière manière, plus académique, plus
sage, bien éloignée, hélas ! de ses premiers ouvrages si émouvants,
dont on a pu admirer quelques nobles échantillons au Pavillon
britannique ; le voici, avec son dessin long et brisé, les plis cassés
de ses draperies, l’apauvrissement du ton et l’affaiblissement du
caractère. Et, néanmoins, le Rêve de Lancelot et le Conte de la
prieure, celui-ci un peu plus ancien, moins sec et plus coloré, nous
retiennent, malgré nous, par un incontestable sentiment de profonde