DEGAS
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Ou elles ébranlent la confiance nécessaire au travail, ou elles per-
suadent à l’artiste de se confiner dans la fameuse « tour d’ivoire »
etdene plus chercher d’autre approbation que celle desa conscience.
La vocation et la passion de l’art étaient trop sincères et trop vives
chez Degas pour ne pas le sauver du doute qui stérilise. 11 n’évita
pas îa retraite dédaigneuse qui fut l’attitude de tant d’artistes au
xixe siècle, des meilleurs peut-être et des mieux doués.
On aurait tort, cependant, de se méprendre à la désolation où
s’est écoulée la dernière partie de sa vie. L’affaiblissement de sa
vue lui interdisait la joie qui, chez un artiste, survit à tous les
déboires, à toutes les peines, à toutes les tristesses. Degas subissait
le lot commun de ceux qui atteignent à un grand âge sans avoir
constitué un foyer ni fondé une famille. Ge fut d’ailleurs avec une
parfaite et simple dignite' qu’il accepta cefte triple épreuve de l’âge,
de l’infirmité et de la’ solitude. Si des déceptions répétées le dégoû-
tèrerxt vite de produire ses œuvres en public, si la lecture des jour-
naux confirma son aversion de la critique, si, considérée dans son
ensemble, la gent artiste lui parut aussi me'diocre d’esprit que de
caractère, il n’était pas ne' insociable, ni intraitable, ni atrabilaire.
11 appartenait à une famille riche, cultivée, où le goût des arts
s’était déjà montré Dès son enfance, des voyages avaient déve-
loppë sa curiosité; puis ils avaient ouvert son esprit à la diffe'rence
des mœurs, des types, des habitudes de vie, et cet apprentissage
de la comédie humaine s’était fait sous le plus aimable ciel, en
Italie, et les musées de cette patrie de la lumière et de la beauté
rassemblaient devant ses jeunes regards tous les agréments de la
création et des créatures. On peut croire qu’il débuta dans la vie
avec de vifs espoirs et même une sorte de joyeuse confiance. II a
aimé le monde en homme du monde, comme avant lui Eugène
Delacroix et Puvis de Ghavannes, qui, comme lui, furent, à leurs
heures, des solitaires et ne dédaignèrent pas les plaisirs de la socia-
bilité. Degas a étonné son temps parce qu’il ne répondait pas à ce
que la foule se figure sous le nom d’un artiste novateur et célèbre.
Mais ni Delacroix ni Puvis de Chavannes ne ressemblaient non
1. A titre documentaire, notons que plusieurs œuvres de jeunesse, tableaux
ou dessins, sont signés E. de Gas, entre autres un dessin de 1861 représentant
M. et M“e Valpinçon, flls et belle-flJle d’une dame, amie d’Jngres, qui possédait
la Grande Baigneuse, aujourd’hui au Louvre (P.-A. Lemoisne, Degas, p. 26). Le
tableau exposé au Salon de 1865, Les Malheurs de la ville d'Orléans, ou Scène
de gvcrrc au Moyen âge (Catalogue de la première vente de l’atelier Degas,
6-8 mai 1918, n° 13), porte une signature analogue : Ed. De Gas.
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Ou elles ébranlent la confiance nécessaire au travail, ou elles per-
suadent à l’artiste de se confiner dans la fameuse « tour d’ivoire »
etdene plus chercher d’autre approbation que celle desa conscience.
La vocation et la passion de l’art étaient trop sincères et trop vives
chez Degas pour ne pas le sauver du doute qui stérilise. 11 n’évita
pas îa retraite dédaigneuse qui fut l’attitude de tant d’artistes au
xixe siècle, des meilleurs peut-être et des mieux doués.
On aurait tort, cependant, de se méprendre à la désolation où
s’est écoulée la dernière partie de sa vie. L’affaiblissement de sa
vue lui interdisait la joie qui, chez un artiste, survit à tous les
déboires, à toutes les peines, à toutes les tristesses. Degas subissait
le lot commun de ceux qui atteignent à un grand âge sans avoir
constitué un foyer ni fondé une famille. Ge fut d’ailleurs avec une
parfaite et simple dignite' qu’il accepta cefte triple épreuve de l’âge,
de l’infirmité et de la’ solitude. Si des déceptions répétées le dégoû-
tèrerxt vite de produire ses œuvres en public, si la lecture des jour-
naux confirma son aversion de la critique, si, considérée dans son
ensemble, la gent artiste lui parut aussi me'diocre d’esprit que de
caractère, il n’était pas ne' insociable, ni intraitable, ni atrabilaire.
11 appartenait à une famille riche, cultivée, où le goût des arts
s’était déjà montré Dès son enfance, des voyages avaient déve-
loppë sa curiosité; puis ils avaient ouvert son esprit à la diffe'rence
des mœurs, des types, des habitudes de vie, et cet apprentissage
de la comédie humaine s’était fait sous le plus aimable ciel, en
Italie, et les musées de cette patrie de la lumière et de la beauté
rassemblaient devant ses jeunes regards tous les agréments de la
création et des créatures. On peut croire qu’il débuta dans la vie
avec de vifs espoirs et même une sorte de joyeuse confiance. II a
aimé le monde en homme du monde, comme avant lui Eugène
Delacroix et Puvis de Ghavannes, qui, comme lui, furent, à leurs
heures, des solitaires et ne dédaignèrent pas les plaisirs de la socia-
bilité. Degas a étonné son temps parce qu’il ne répondait pas à ce
que la foule se figure sous le nom d’un artiste novateur et célèbre.
Mais ni Delacroix ni Puvis de Chavannes ne ressemblaient non
1. A titre documentaire, notons que plusieurs œuvres de jeunesse, tableaux
ou dessins, sont signés E. de Gas, entre autres un dessin de 1861 représentant
M. et M“e Valpinçon, flls et belle-flJle d’une dame, amie d’Jngres, qui possédait
la Grande Baigneuse, aujourd’hui au Louvre (P.-A. Lemoisne, Degas, p. 26). Le
tableau exposé au Salon de 1865, Les Malheurs de la ville d'Orléans, ou Scène
de gvcrrc au Moyen âge (Catalogue de la première vente de l’atelier Degas,
6-8 mai 1918, n° 13), porte une signature analogue : Ed. De Gas.