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Gazette des beaux-arts: la doyenne des revues d'art — 4. Pér. 14.1918

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Nr. 2
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Jamot, Paul: Degas: (1834 - 1917)
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https://doi.org/10.11588/diglit.24916#0140

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GAZETTE DES BEAUX-A RTS

plus à cette fausse et niaise image : pour justifier une réputatiôn de
bizarrerie, ils n’avaient que cette originalité de concilier leur génie
avec le bon ton, le bon goût, la bonne tenue et la discrétion de
l’homme bien éleve'.

Ge n’est pas ici le lieu de rechercher Ies causes et l’origine du
malentendu qui au xixe siècle a divisé l’art et le public, et qui dure
encore. Le fait ne peut être nié. La Révolution et le Romantisme
sont-ils les principaux coupables, comme le veut M. Charles Maur-
ras1? Sans doute les âges antérieurs avaient parfois vu naître sans
les comprendre de belles œuvres, et dans tous les temps de grands
artistes ont souffert d’être me'connus. Mais de tels cas étaient rares
et s’expliquaient le plus souvent par des raisons de caractère ou de
circonstances. L’exception est devenue au xixe siècle la règle. Depuis
plus de cent ans, il y a entre les artistes et la société élégante, for-
tunée, où ils devraient rencontrer appui et sympathie, une sorte de
méfiance et de mauvaise volonté réciproques. La communication ne
s’établit que lentement, difficilement. Que cette lenteur et cette
difficulté soient regrettables pour le public, c’est presque évident.
Qu’elles soient aussi un mal pour l’art, ce n’est guère moins dou-
teux. L’art est un langage, et un langage est fait pour être entendu.
G’est un risque grave, si, proclamant la stupidité du public, il
prend son parti — que dis-je? il s’enorgueillit —- de renoncer au
principal office d’un langage.

Jusqu’en 1870 Degas envoya au Salon, assez régulièrement, des
portraits et des tableaux d’histoire. Mais qui, cinquante ans après,
se souvenait de ces toiles? Qui même les avait vues? Gar elles
n’avaient guère attiré l’attention. Et où sont maintenant la plupart
de ceux qui auraient pu les voir?

La guerre éclate. Degas s’engage. Ge n’est pas le seul trait de sa
vie qui contredise une le'gende trop répandue de scepticisme, de
sécheresse, d’égoïsme. Un désintéressement absolu en matière
d’argent, un souci rigoureux de ce qui peut, même indirectement,
atteindre l’honneur d’un nom, une fidélité discrète et tenace aux
amis de la jeunesse, sont les données véridiques d’un tout autre
portrait moral.

Le capitaine de la batterie où servait le canonnier Degas était
Henri Rouart, polytechnicien, peintre sincère, amateur d’art pas-

1. L'Avenir de Vintelligence, 2e éd., 1917, p. 48 et suiv. L’auteur vise seule-
ment lalittérature, « littérature de cénacle ou de révolution », mais son raison-
nement s’applique aussi bien à l’art.
 
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