124
GAZETTE DES BEAUX-ARTS
de la nature ni ceux des hoinmes, n’étaient-ils pas remplis par la
vision d’un Parnasse tel que l’ont rêvé les anciens peintres, où les
injustices d’un jour reçoivent des réparations magnifiques?
L’ironie d’Edgar Degas, ses boutades, ses paradoxes furent des
armes éle'gantes employe'es pour la défense de sa pense'e intime par
un homme bien né, fier, qui, portant dans la conception et l’exer-
cice de son art de hautes ide'es d’honneur, de probité, d’effort,
conscient de ses dons naturels et de sa valeur acquise, *fut surpris,
naïvement surpris, de rencontrer dans sa jeunesse et dans son âge
mûr une si persévérante hostilité. II était modeste, comme un
artiste 'a qui la leçon d’Ingres a enseigné le respect et l’intelligence
des maitres. Pourtant cette modestie ne l’empêchait pas de hausser
les épaules quand, au lendemain de la deuxième exposition des
Impressionnistes, en 1876, illisait dans un des principaux journaux
de Paris, sous une signature en vogue, cette foudroyante apos-
trophe : « ...Essayez donc de faire entendre raison à M. Degas;
dites-Iui qu’il y a en art quelques qualités ayant nom : le dessin, la
eouleur, l’exécution, la volonte'; il vous rira au nez et vous traitera
de réactionnaire *. »
Le tableau ainsi de'signé à Ia réprobation générale, avec quelle
stupeur n’apprenons-nous pas que c’était ce petit chef-d’œuvre de
fine observation et de classique facture qui s’appelle le Bnreau de
coton à la Nouvelle-Orléansl Aujourd’hui, nous admirons que le
peintre déploie une si parfaite aisance, tant de goût et de mesure
pour traiter un sujet inédit, et cette toile, que l’on jugea révolu-
tionnaire, nous la comparons, pour le charme de l’atmosphère, la
vérité de la scène et l’esprit de la touche, à des modèles anciens,
excellents et délicieux, inte'rieurs do Yermeer et de Ghardin.
Mais, alors, personne ne sentait ni ne pensait ainsi, même parmi
les quelques e'crivains, champions attitrés de l’impressionnisme
naissant, qui défendaient Degas, moins à cause de son mérite
propre que pour son adhésion, vraie ou supposée, aux principes de
Ia nouvelle peinture. Degas n’eut la satisfaction d’être compris dans
ce qu’il voulait et faisait nipar le pufalic, ni peut-être par ses cama-
rades et compagnons de lutte.
Même sur un esprit ferme et qui estime à leur juste prix les
faveurs de la foule, de telles expe'riences, quand elles se répètent
sans contrepartie, ne peuvent manquer de retentir profondément.
Albert Wolfî, dans le Figaro; cité par M. P.-A. Lemoisne, Degas (collec-
tion L’Art de notre temps), p. SO.
GAZETTE DES BEAUX-ARTS
de la nature ni ceux des hoinmes, n’étaient-ils pas remplis par la
vision d’un Parnasse tel que l’ont rêvé les anciens peintres, où les
injustices d’un jour reçoivent des réparations magnifiques?
L’ironie d’Edgar Degas, ses boutades, ses paradoxes furent des
armes éle'gantes employe'es pour la défense de sa pense'e intime par
un homme bien né, fier, qui, portant dans la conception et l’exer-
cice de son art de hautes ide'es d’honneur, de probité, d’effort,
conscient de ses dons naturels et de sa valeur acquise, *fut surpris,
naïvement surpris, de rencontrer dans sa jeunesse et dans son âge
mûr une si persévérante hostilité. II était modeste, comme un
artiste 'a qui la leçon d’Ingres a enseigné le respect et l’intelligence
des maitres. Pourtant cette modestie ne l’empêchait pas de hausser
les épaules quand, au lendemain de la deuxième exposition des
Impressionnistes, en 1876, illisait dans un des principaux journaux
de Paris, sous une signature en vogue, cette foudroyante apos-
trophe : « ...Essayez donc de faire entendre raison à M. Degas;
dites-Iui qu’il y a en art quelques qualités ayant nom : le dessin, la
eouleur, l’exécution, la volonte'; il vous rira au nez et vous traitera
de réactionnaire *. »
Le tableau ainsi de'signé à Ia réprobation générale, avec quelle
stupeur n’apprenons-nous pas que c’était ce petit chef-d’œuvre de
fine observation et de classique facture qui s’appelle le Bnreau de
coton à la Nouvelle-Orléansl Aujourd’hui, nous admirons que le
peintre déploie une si parfaite aisance, tant de goût et de mesure
pour traiter un sujet inédit, et cette toile, que l’on jugea révolu-
tionnaire, nous la comparons, pour le charme de l’atmosphère, la
vérité de la scène et l’esprit de la touche, à des modèles anciens,
excellents et délicieux, inte'rieurs do Yermeer et de Ghardin.
Mais, alors, personne ne sentait ni ne pensait ainsi, même parmi
les quelques e'crivains, champions attitrés de l’impressionnisme
naissant, qui défendaient Degas, moins à cause de son mérite
propre que pour son adhésion, vraie ou supposée, aux principes de
Ia nouvelle peinture. Degas n’eut la satisfaction d’être compris dans
ce qu’il voulait et faisait nipar le pufalic, ni peut-être par ses cama-
rades et compagnons de lutte.
Même sur un esprit ferme et qui estime à leur juste prix les
faveurs de la foule, de telles expe'riences, quand elles se répètent
sans contrepartie, ne peuvent manquer de retentir profondément.
Albert Wolfî, dans le Figaro; cité par M. P.-A. Lemoisne, Degas (collec-
tion L’Art de notre temps), p. SO.