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Grand-Carteret, John
Les moeurs et la caricature en France — Paris, 1888

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https://doi.org/10.11588/diglit.9066#0030
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Pour mettre enjeu les passions, un grand mouvement social est toujours
nécessaire ; or, la France d'alors ne fut pas remuée jusque dans ses
entrailles par une de ces secousses qui font époque dans l'histoire. Elle
subit des divisions, des luttes intestines, mais l'élan, la foi en un idéal
inconnu lui firent défaut. Donnez à la Jacquerie le placard, la feuille volante,
elle en fera certainement son profit, parce que toute révolte voit avec rai-
son dans la satire sous forme d'image une puissance redoutable. Preuves :
le xvie siècle en Allemagne, 1648 en Angleterre, 1789 en France. Mais la
réforme calviniste, purement dogmatique, ne pouvait pas mettre en branle
le tocsin populaire. Avec son fond de tristesse, de rigidité outrée, elle
n'avait rien de ce qu'il faut pour empoigner la fibre nationale. Bien plus,
les Cévennes exceptées, elle laissa le peuple indifférent, parce que le peuple
ne vit sous ses apparences de prêche, de controverses, de colloques, que des
factions politiques se disputant le pouvoir. Durant toute cette période, pas
une seule pièce qui se puisse comparer à cette naïve estampe d'outre-
Rhin : Luther et le paysan.

Les huguenots toutefois n'en éprouvèrent pas moins ce besoin de satire,
si profondément ancré dans la nature humaine ; véritable nécessité, du jour
où l'on rompt avec certaines habitudes, où l'on entre en lutte avec certaines
croyances. Seulement, ils avaient à compter avec un pouvoir qui ne pou-
vait permettre qu'on vînt ridiculiser l'Eglise, dont il était, lui, « le fils aîné; »
avec un Parlement, instrument docile, qui enregistrait les volontés royales,
qui allait même jusqu'à rendre des arrêts contre les caricatures.

Les arrêts étaient-ils toujours respectés? Les documents de l'époque nous
apprennent que des pamphlets aux grossières images apparurent jusque
dans la chambre du roi, et l'on ne peut s'en étonner, puisque des grands
seigneurs, des princes du sang même, tenaient parti pour les réformés.
D'autre part, fait caractéristique, ces placards aux vignettes taillées en bois
restaient sans portée.

C'est alors que, cherchant une arme qui fût, à la fois, d'une circulation
plus facile et d'un sens plus pratique, les protestants eurent recours à la
médaille. Epoque étrange où l'on vit circuler d'homme à homme, de main à
main, de poche à poche, toute une monnaie de contrebande, parodie des
pièces officielles, têtes doubles à l'expression grimaçante, profils de papes
accolés à Satan. Cette guerre par le bronze était la bonne ; la preuve, c'est
qu'aux pièces contre Rome, portant cette exergue : Ecclesia perversa tenet
faciem diaboli, les défenseurs de l'Église opposèrent des pièces identiques
où Calvin était traité à'heresiarcus pessimus. Non seulement les protes-
 
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