LE GRELOT
ni".
ELLE EST BIEN BONNE!
Le comte de Chambord à Don Carlos.
Mon Cousin,
J'aurais quelque chose à vous dire qui vous
intéresse particulièrement. Ne pourriez-vous
m'accorder quelques instants d'entretien?
A vous,
HtNRI.
Don Carlos au comte de Chambord.
Mon Cousin,
Le temps de brûler cinq à six villages, de
piller une vingtaine de caisses et de fusiller
u.ie centaine de républicains et je suis à voua.
Je vous la serre,
Carlos.
Le comte de Chambord à Don Carlos.
Mon Cousin,
Ce que vous venez de m'écrire me tourne
profondément.
Est-il Dieu possible que vous soyez si oc-
cupé?
Ah! le métier de prétendant n'est pas si
commode que çà.
Vous, encore, vous fusillez des républicains,
ce qui fait toujours passer agréablement une
heure ou deux.
Mais moi qui n'ai, pour me consoler, que
les vers de M. de Lorgeril et les discours de
M. de Gavardie à lire!...
Croyez-vous que je m'amuse?
A vous,
Henri.
Don Carlos au comte de Chambord.
Mon Gousin,
Les républicains ont leur affaire et j'ai
trouvé 117 francs dans la caisse du percep-
teur; lesquels 117 francs sont naturellement
passes dans la mienne.
J'ai donc un peu de temps devant moi et
quelques gros sous sur la planche.
Contez-moi donc votre petite machine.
Je vous savoure.
A vous,
Carlos.
Le comte de Chambord à Don Carlos.
Mon Cousin,
Voici la chose.
Tout me porte a croire que je suis ce qu'en
termes vulgaires on appelle nettoyé.
Pourquoi?
Je me le demande.
Enfin, il résulte de tous les rapports que
me font mes féaux, que le peuple français me
considère comme presque aussi vidé que le
dernier des bonapartistes et ne veut pas plus
entendre parler de moi que du roi d'Arau-
canie.
C'est incroyable, n'est-ce pas? mais enfin
cela est.
Que faire donc pour imposer la monarchie
à ces idiots?
Car ils faudra absolument qu'ils en revien-
nent là.
Les d'Orléans sont des blagueurs qui ont
perdu la confiance du public et le duc d'Au-
male pas plus que le comte de Paris a beau se
mettre sur l'affiche. Il ne fait pas monter la
recette d'un sou.
En présence de ce dégommage, — comme
on dit toujours en termes vulgaires—et puis-
que les Français ne peuvent pas sentir les
Bourbons de France, j'ai eu une idée lumi-
neuse !
Ça a bien étonné Villemessant qui a trop
d'esprit pour m'en croire, mais enfin, cette
idée, je l'ai eue et je vous la communique.
J'ai songé aux Bourbons d'Espagne, et je
viens vous proposer tout bêlement ma suc-
cession au trône.
C'est-a-dire que, lorsque je serai allé re-
trouver mes illustres aïeux, je vous cède et lè-
gue tous mes droits.
Bourbon pour Bourbon, le diable n'y per-
dra rien, n'est-ce pas?
Qu'est-ce que tous en dites, hein?
Cordialités,
Henri.
Don Carlos au comte de Chambord.
Mon cousin,
Votre idée est cocasse ; mais elle me plaît
par sa cocasserie même.
J'accepte donc.
Et dès que j'aurai terminé ici, je distribue-
rai mes prospectus daas votre ex-royau-
me, qui certainement accueillera votre com-
binaison avec la plus extraordinaire bienveil-
lance.
Quand ce ne serait que pour son tour ori-
ginal.
Donc , c'est convenu. Je me substitue en
votre lieu et place, et j'attends.
A propos, si vous connaissez un bon pro-
fesseur de français, envoyez-le-moi dune.
J'ai besoin de me perfectionner.
Mille mercis de votre ,
Carlos.
Vous croyez peut-être, chers lecteurs, que
ce que je viens de mettre sous vos yeux n'est
qu'une pure supposition.
Détrompez-vous.
Rien n'est plus sérieux; et vous pouvez en
juger par la dépêche suivante envoyée de Ma-
drid à Paris, le 19 seplen bre : « La Iberia
annonce que le duc de X... , le comte de Ca-
serla et le comte Bari ont tenu avec Don Car-
los un conseil dans lequel il aurait été décidé
que Don Carlos serait l'unique représentant
des quatre branches de la mauon de Bour-
bon, ayant droit éventuel au trône de France.
Qu'est-ce que vous pensez de cela?
Et ce n'est pas une dépêche de carton.
Non.
La dépêche existe et a été publiée par les
journaux les plus sérieux.
Elle est bien bonne, hein?
Mais elle offre ceci de consolant qu'après
l'avoir lue et y avoir réfléchi un quart de se-
conde, on en arrive à cette conclusion, que le
seul trône que méritent à présent Henri et
Carlos est un trône percé à Bicêtre, section
des gâteux.
Autant finir comme cela qu'autrement.
Ça ne f at de mal à personne.
NICOLAS FLAMMÈCHE.
UN HOMME BIEN FLATTÉ!
Pour charmer ses loisirs, M. Bazaine fait
comme M. de Chambord :
Il écrit des lettres.
Ce gredin se justifie.
Il est doux'comme un petit Saint-Jean, et
blanc comme un agneau,—s'il faut l'en croire.
Mais ce n'est pas tout de se justifier.
11 fait encore des menaces!
Et des menaces à tout le pays!
Qu'on en juge.
Dans une lettre adressée à M. Bennett, ré-
dacteur du Ntw-York Herald,—lettre que nous
ne pouvons reproduire. — 11 dit en terminant
qu'il ne considère point sa vie militaire comme
terminée, qu'il lui reste des devoirs à remplir,
et qu'il les remplira quand le moment en sera
venu. Et que, sans doute alors, la fortune qui
vient de se montrer si cruelle, lui accordera
ce dernier sourire qu'elle donne souvent aux
vieux soldats.
Comme toupet, c'est jolil
Et l'impudence de ce drôle dépasse vrai-
ment tout ce qu'on pourrait imaginer!
Mais passons sur l'etfronterie de ce lâche
coquin, — et examinons le fond de sa pensée :
Sa vie militaire n'est point finie, dit-il...
Mais quelle nation pourrait songer à l'em-
ployer,— à moins que ce ne soit la Prusse 1
Quel gouvernement voudrait se souiller du
contact de ce traître, — à moins que ce ne
soit l'empire?
Il remplira les devoirs qui lui restent à rem-
plir quand le moment en sera venu/
Quand ce moment viendra-t-il?
Quand le 2 décembre du jeune idiot de
Chislehurst sonnera sans douta?
Et quels pourraient être les devoirs de M.
Bazaine, — si ce n'est de rétablir sur le trône
de son père, le fils de l'homme pour lequel il
a vendu son armée et trahi sa patrie?
Et il espère que la fortune lui sourira? —
sans doute au boulevard Montmartre, sur le
trottoir d'une nouvelle maison Sallandrouze !...
Ah! voilà qui va bien,
Et le gouvernement est gentiment récom-
pensé d'avoir gracié ce scélérat l
Il est vrai qu'il a un peu voulu ce qui ar-
rive.
Et qu'il récolle ce qu'il a semé, — aujour-
d'hui que son ex-prisonnier lui fait d'aussi
impudents pieds -de-nez !.,.
Mais c'est égal, j'aime mieux les pieds-de-
nez du gouvernement que les politesses de
M. Bennett.
La lettre que lui adresse le sieur Bazaine,
se termine par ces mots :
«Recevez, cher monsieur Bennett, avec
tous mes remerciements renouvelés, la nou-
velle assurance de ma considération la plus
distinguée. »
La considération du nommé Bazaine!
Sacre bleu 1
Cher monsieur Bennett, — comme dit votre
correspondant,
Quel col vous devez vous pousser 1
On n'a pas de ces veines-là!
Vrai!
B'e=l trop de bonheur!
L'ENFER DES JOi HYlUSTfcS
Le Choix d'un métier
En l'an 2417 de l'ère chrétienne, le jeune
Polydore-Zacharie-Roch Cigognac, cadet de
Gascogne, arriva à Paris, pour faire fortune...
H sortait de son village et élait ignorant de
toutes choses.
Il commença par visiter les monuments de
la capitale du monde civilisé, — et les trouva
à sa convenance.
Seulement, il s'étonna de voir sur la co-
lonne Vendôme la statue d'un nommé
Louis XVIII; on lui dit qu'il n'y avait rien
d'extraordinaire à cela, puisque c'était sur les
ordres et d'après les plans et combinaisons
de ce grand conquérant, que le général Napo-
léon Buonaparte avait accompli les glorieuses
campagnes d'Italie, d'Egypte, de Prusse et
auties lieux. D'ailleurs, ajouta le gardien,
lisez le révérend père Loriquet, et vous saurez
à quoi vous en tenir.
— Je le lirai, dit Polydore,
Et comme il était très-poli, il salua le gar-
dien, la colonne et Louis XVIII, et il passa à
d'autres exercices.
Il resta donc un nuis environ à Paris, ne
faisant autre chose que de regarder autour de
lui, — ce qui ne lui laissait pas une minute
de répit.
Au bout de ce temps, il lui arriva, ayant
pris médecine, d'être obligé d'entrer quatre
ou cinq fois dans la môme matinée, dans des
établissements à 16 centimes, — et de consta-
ter que la porte de chacune des retraites que
contiennent ces établissements utiles, portait
intérieurement une petite vignette réprésen-
tant un homme jeune encore avec des mous-
taches cirées à la pommade hongroise, et une
auréole autour de la tête, qui fumait sa ciga-
rette, assis sur un affût de canon et jouant
machinalement avec la batterie d'un chas-
sepot.
Au bas de celle vignette, il lut ces mots :
— O grand Saint-Genest!... préserve-nous
de la Révolution, des Gratte-culs, du Phyl-
loxéra, de la Commune et des singuliers effets
delà Foudre!I!
Et il sortit tout rêveur.
Le soir, il demanda à son maître d'hôtel :
— Qu'est-ce que c'est donc que ce grand
Saint-Genest?
Le maître d'hôtel lui répondit :
— Gene.st élait un rédacteur du Figaro...
11 eat mort en odeur de sainteté, après avoir
par distraciion avalé une baïonnette au mess
des officiers du 37" mitrailleurs-à-cheval...
— Une baïonnette! s'écria Polydore... Et
elle entra?...
— Oh! sans difficulté, répondit le maître
d'hôtel... mais quand il s'agit pour elle do
sortir...
— Ah! oui!...
— D'autant plus qu'elle s'était mise en tra-
vers... et alors, vous comprenez?
— Parlaitement.
— C'est pourquoi, reprit le maître d'hôtel,
il a été canonisé le jour où- M. de Villemessant
a été déclaré Vénérable.
— Et c'étaient des journalistes?... demanda
Polydore avec surprise.
— Mais oui, — comme Détroyat!... Ils fu-
rent r iches, considérés, vénérés de tous pen-
dant leur vie, — et ils sont saints après leur
mort.
— Est-ce qu'il y a beaucoup de journalistes
dans Paris?
— Plus un seul, monsieur, plus un seul!
Ces paroles rendirent Polydore tout son-
geur.
— Bigre!... dit-il... voilà un métier qui me
paraît truffé de charmes!... je vais me faire
journaliste aussi, moi!
11 alla chez un imprimeur et lui remit un
manuscrit assez volumineux.
Le lendemain, une nouvelle feuille parais-
sait sous ce titre : le Journal raisonnable.
C'était celui de Polydore.
Au nom de la loi!
Les marchandes des kiosques venaient à
peine de mettre le premier numéro de la
feuille de Polydore à leur étalage, qu'une
nuée de fonctionnaires délégués par la préfec-
ture de police s'élançait en bon ordre sur les
boulevards, et emportait dans des lieux in-
connus tout ce qu'elle pouvait saisir du Jour-
nal raisonnable.
A cette uouvelle, Polydore fut consterné.
11 n'était pas encore remis de cette conster-
nation, lorsqu'un huissier du Palais lui apporta
un papier orné à l'un de ses coins d'une gra-
vure représentant une petite dame habil'ée
d une façon grotesque et tenant à la main des
balances.
devant
journal
C'était une assignation à comparaître
la justice pour avoir fait paraître un j
s-ans autorisation.
— Diable!... se dit Polydore, il faut donc
une autorisation pour travailler... je suis
homme de lettres : je ne puis donc pas exer-
cer mon métier, et giigner ma vie, si on ne
me le permet pas!... Voilà qui est bizarre!
Tout bizarre que cela fût, Polydore le jour
de son procès, se vit condamner à la confis-
cation de tous les numéros saisis et à une
amende considérable.
— Bigre, dit-il... en voilà de l'agrément!...
Enfin, je vais demander l'autorisation!
Il la demanda donc, et par extraordinaire
l'obtint.
Voilà <iui va bien !
Le second numéro du Journal raisonnable
parut peu de jours après.
Se conformant au titre qu'il avait pris, Po-
lydore tâchait de ne tomber ni dans le pam-
phlet, ni dans le panégyrique, — et de rendre
à chacun ce qui lui était dû.
11 ne disait point Amen! à tout ce que faisait
le gouvernement, — mais il ne demandait pas
non plus qu'on en fit monter les membres sur
l'échafaud.
Il donnait des nouvelles de la ville et de la
campagne,—la cote de la Bourse, — le prix
des bestiaux, — et quelques annonces du doc-
teur Charles-Albert.
Ce qui ne l'empêcha pas de trouver le soir
chez sa concierge un second papier timbré.
Arrivé devant ses juges, il fut obligé de re-
connaître qu'il avait bien obtenu l'autorisation
de faire un journal, niais qu'il n'en avait point
profité pour verser ès-mains de l'administra-
tion un cautionnement de 50,000 francs.
— Mais je les verserait... s'écria-t il.
— Nous vous tenons compte de cette bonne
intention, dit le président... C'est pourquoi
nous vous condamnons à l'amende et à 1*
prison.
— Mais quel mal ai-je fait?... demande en-
core Polydore.
— Aucun, c'est vrai, —mais jugez un peu
si vous l'aviez fait !...
— Cap dé Diou! grommela Polydore... Je
la trouve roide!
Cependant, il se rendit au ministère de l'in-
térieur pour verser son cautionnement.
Pendant que le caissier comptait son ar-
gent, Polydore se promenait de long en large
en attendant son reç i.
Tout à coup, il aperçut une pancarte qui
portait ce titre :
Avis aux directeurs de journal'*
politiques.
11 s'approcha,— et voici ce qu'il lut :
Article premier.—Il est défendu aux direc-
teurs de journaux politiques de permettre a
leurs rédacteurs de traiter les questions d'ad-
ministration intérieure qui pourraient soule-
ver pour le gouvernement des difficultés, soi1
dans le pays, soit à l'étranger.
Art. 2. — 11 leur est interdit de parler de
la religion, des prêtres, des associations pieu-
ses et généralement de tout ce qui se rattaché
au culte. Ça, c'est sacré.
Art. 3. —II leur est interdit de s'occupef
de commerce, de la Banque, de la marc»e
des affaires, de l'importation et de l'exporta'
tion, du change, du crédit et de tout ce qul
s'y rapporte,— car ça ne les regarde pas.
Art. 4.— Il leur est interdit de troubler leS
esprits en revendiquant la liberté de réunion»
d'association, de la presse ou de coalition, on
n'importe quelle autre liberté,— attendu que
cela donnerait à penser que la Dation en est
privée.
Art. S. — Il leur est interdit d'examinerla
conduite publique ou privée des ministres et
de leurs subordonnés, des fonctionnairesi t!e
quelque ordre que ce soit, des commissaires
de police, de leurs agents, des gendarmes»
des gardes champêtres et des sapeurs-pom-
piers,— ainsi que de n'importe quelle per-
sonne se rapprochant de près ou de loin auX
différentes catégories de salariés de l'Etat qui
viennent d'être énumérées.
Art. 6. — I! leur est interdit de parler de
l'armée, des maréchaux, des caporaux et de*
bonnes d'enfant.
Art. 7. — Il leur est interdit de parler des
ambassadeurs, des attachés d'ambassade et
du corps rie ballet.
Art. 8. —11 leur est interdit de parler de
la marine.
Art. 9.—Il leur est interdit de parler de
la magistrature.
Art. 10. —Il leur est interdit de parler po*
litique.
Art. 11. —A part les réserves faites dans
les articles précédents, il leur est loisible de
parler de tout ce qu'ils veulent.
Simples réflexions.
— Non d'un petit bonhomme!... se dit Po-
lydore après avoir pris connaissance de cet
ni".
ELLE EST BIEN BONNE!
Le comte de Chambord à Don Carlos.
Mon Cousin,
J'aurais quelque chose à vous dire qui vous
intéresse particulièrement. Ne pourriez-vous
m'accorder quelques instants d'entretien?
A vous,
HtNRI.
Don Carlos au comte de Chambord.
Mon Cousin,
Le temps de brûler cinq à six villages, de
piller une vingtaine de caisses et de fusiller
u.ie centaine de républicains et je suis à voua.
Je vous la serre,
Carlos.
Le comte de Chambord à Don Carlos.
Mon Cousin,
Ce que vous venez de m'écrire me tourne
profondément.
Est-il Dieu possible que vous soyez si oc-
cupé?
Ah! le métier de prétendant n'est pas si
commode que çà.
Vous, encore, vous fusillez des républicains,
ce qui fait toujours passer agréablement une
heure ou deux.
Mais moi qui n'ai, pour me consoler, que
les vers de M. de Lorgeril et les discours de
M. de Gavardie à lire!...
Croyez-vous que je m'amuse?
A vous,
Henri.
Don Carlos au comte de Chambord.
Mon Gousin,
Les républicains ont leur affaire et j'ai
trouvé 117 francs dans la caisse du percep-
teur; lesquels 117 francs sont naturellement
passes dans la mienne.
J'ai donc un peu de temps devant moi et
quelques gros sous sur la planche.
Contez-moi donc votre petite machine.
Je vous savoure.
A vous,
Carlos.
Le comte de Chambord à Don Carlos.
Mon Cousin,
Voici la chose.
Tout me porte a croire que je suis ce qu'en
termes vulgaires on appelle nettoyé.
Pourquoi?
Je me le demande.
Enfin, il résulte de tous les rapports que
me font mes féaux, que le peuple français me
considère comme presque aussi vidé que le
dernier des bonapartistes et ne veut pas plus
entendre parler de moi que du roi d'Arau-
canie.
C'est incroyable, n'est-ce pas? mais enfin
cela est.
Que faire donc pour imposer la monarchie
à ces idiots?
Car ils faudra absolument qu'ils en revien-
nent là.
Les d'Orléans sont des blagueurs qui ont
perdu la confiance du public et le duc d'Au-
male pas plus que le comte de Paris a beau se
mettre sur l'affiche. Il ne fait pas monter la
recette d'un sou.
En présence de ce dégommage, — comme
on dit toujours en termes vulgaires—et puis-
que les Français ne peuvent pas sentir les
Bourbons de France, j'ai eu une idée lumi-
neuse !
Ça a bien étonné Villemessant qui a trop
d'esprit pour m'en croire, mais enfin, cette
idée, je l'ai eue et je vous la communique.
J'ai songé aux Bourbons d'Espagne, et je
viens vous proposer tout bêlement ma suc-
cession au trône.
C'est-a-dire que, lorsque je serai allé re-
trouver mes illustres aïeux, je vous cède et lè-
gue tous mes droits.
Bourbon pour Bourbon, le diable n'y per-
dra rien, n'est-ce pas?
Qu'est-ce que tous en dites, hein?
Cordialités,
Henri.
Don Carlos au comte de Chambord.
Mon cousin,
Votre idée est cocasse ; mais elle me plaît
par sa cocasserie même.
J'accepte donc.
Et dès que j'aurai terminé ici, je distribue-
rai mes prospectus daas votre ex-royau-
me, qui certainement accueillera votre com-
binaison avec la plus extraordinaire bienveil-
lance.
Quand ce ne serait que pour son tour ori-
ginal.
Donc , c'est convenu. Je me substitue en
votre lieu et place, et j'attends.
A propos, si vous connaissez un bon pro-
fesseur de français, envoyez-le-moi dune.
J'ai besoin de me perfectionner.
Mille mercis de votre ,
Carlos.
Vous croyez peut-être, chers lecteurs, que
ce que je viens de mettre sous vos yeux n'est
qu'une pure supposition.
Détrompez-vous.
Rien n'est plus sérieux; et vous pouvez en
juger par la dépêche suivante envoyée de Ma-
drid à Paris, le 19 seplen bre : « La Iberia
annonce que le duc de X... , le comte de Ca-
serla et le comte Bari ont tenu avec Don Car-
los un conseil dans lequel il aurait été décidé
que Don Carlos serait l'unique représentant
des quatre branches de la mauon de Bour-
bon, ayant droit éventuel au trône de France.
Qu'est-ce que vous pensez de cela?
Et ce n'est pas une dépêche de carton.
Non.
La dépêche existe et a été publiée par les
journaux les plus sérieux.
Elle est bien bonne, hein?
Mais elle offre ceci de consolant qu'après
l'avoir lue et y avoir réfléchi un quart de se-
conde, on en arrive à cette conclusion, que le
seul trône que méritent à présent Henri et
Carlos est un trône percé à Bicêtre, section
des gâteux.
Autant finir comme cela qu'autrement.
Ça ne f at de mal à personne.
NICOLAS FLAMMÈCHE.
UN HOMME BIEN FLATTÉ!
Pour charmer ses loisirs, M. Bazaine fait
comme M. de Chambord :
Il écrit des lettres.
Ce gredin se justifie.
Il est doux'comme un petit Saint-Jean, et
blanc comme un agneau,—s'il faut l'en croire.
Mais ce n'est pas tout de se justifier.
11 fait encore des menaces!
Et des menaces à tout le pays!
Qu'on en juge.
Dans une lettre adressée à M. Bennett, ré-
dacteur du Ntw-York Herald,—lettre que nous
ne pouvons reproduire. — 11 dit en terminant
qu'il ne considère point sa vie militaire comme
terminée, qu'il lui reste des devoirs à remplir,
et qu'il les remplira quand le moment en sera
venu. Et que, sans doute alors, la fortune qui
vient de se montrer si cruelle, lui accordera
ce dernier sourire qu'elle donne souvent aux
vieux soldats.
Comme toupet, c'est jolil
Et l'impudence de ce drôle dépasse vrai-
ment tout ce qu'on pourrait imaginer!
Mais passons sur l'etfronterie de ce lâche
coquin, — et examinons le fond de sa pensée :
Sa vie militaire n'est point finie, dit-il...
Mais quelle nation pourrait songer à l'em-
ployer,— à moins que ce ne soit la Prusse 1
Quel gouvernement voudrait se souiller du
contact de ce traître, — à moins que ce ne
soit l'empire?
Il remplira les devoirs qui lui restent à rem-
plir quand le moment en sera venu/
Quand ce moment viendra-t-il?
Quand le 2 décembre du jeune idiot de
Chislehurst sonnera sans douta?
Et quels pourraient être les devoirs de M.
Bazaine, — si ce n'est de rétablir sur le trône
de son père, le fils de l'homme pour lequel il
a vendu son armée et trahi sa patrie?
Et il espère que la fortune lui sourira? —
sans doute au boulevard Montmartre, sur le
trottoir d'une nouvelle maison Sallandrouze !...
Ah! voilà qui va bien,
Et le gouvernement est gentiment récom-
pensé d'avoir gracié ce scélérat l
Il est vrai qu'il a un peu voulu ce qui ar-
rive.
Et qu'il récolle ce qu'il a semé, — aujour-
d'hui que son ex-prisonnier lui fait d'aussi
impudents pieds -de-nez !.,.
Mais c'est égal, j'aime mieux les pieds-de-
nez du gouvernement que les politesses de
M. Bennett.
La lettre que lui adresse le sieur Bazaine,
se termine par ces mots :
«Recevez, cher monsieur Bennett, avec
tous mes remerciements renouvelés, la nou-
velle assurance de ma considération la plus
distinguée. »
La considération du nommé Bazaine!
Sacre bleu 1
Cher monsieur Bennett, — comme dit votre
correspondant,
Quel col vous devez vous pousser 1
On n'a pas de ces veines-là!
Vrai!
B'e=l trop de bonheur!
L'ENFER DES JOi HYlUSTfcS
Le Choix d'un métier
En l'an 2417 de l'ère chrétienne, le jeune
Polydore-Zacharie-Roch Cigognac, cadet de
Gascogne, arriva à Paris, pour faire fortune...
H sortait de son village et élait ignorant de
toutes choses.
Il commença par visiter les monuments de
la capitale du monde civilisé, — et les trouva
à sa convenance.
Seulement, il s'étonna de voir sur la co-
lonne Vendôme la statue d'un nommé
Louis XVIII; on lui dit qu'il n'y avait rien
d'extraordinaire à cela, puisque c'était sur les
ordres et d'après les plans et combinaisons
de ce grand conquérant, que le général Napo-
léon Buonaparte avait accompli les glorieuses
campagnes d'Italie, d'Egypte, de Prusse et
auties lieux. D'ailleurs, ajouta le gardien,
lisez le révérend père Loriquet, et vous saurez
à quoi vous en tenir.
— Je le lirai, dit Polydore,
Et comme il était très-poli, il salua le gar-
dien, la colonne et Louis XVIII, et il passa à
d'autres exercices.
Il resta donc un nuis environ à Paris, ne
faisant autre chose que de regarder autour de
lui, — ce qui ne lui laissait pas une minute
de répit.
Au bout de ce temps, il lui arriva, ayant
pris médecine, d'être obligé d'entrer quatre
ou cinq fois dans la môme matinée, dans des
établissements à 16 centimes, — et de consta-
ter que la porte de chacune des retraites que
contiennent ces établissements utiles, portait
intérieurement une petite vignette réprésen-
tant un homme jeune encore avec des mous-
taches cirées à la pommade hongroise, et une
auréole autour de la tête, qui fumait sa ciga-
rette, assis sur un affût de canon et jouant
machinalement avec la batterie d'un chas-
sepot.
Au bas de celle vignette, il lut ces mots :
— O grand Saint-Genest!... préserve-nous
de la Révolution, des Gratte-culs, du Phyl-
loxéra, de la Commune et des singuliers effets
delà Foudre!I!
Et il sortit tout rêveur.
Le soir, il demanda à son maître d'hôtel :
— Qu'est-ce que c'est donc que ce grand
Saint-Genest?
Le maître d'hôtel lui répondit :
— Gene.st élait un rédacteur du Figaro...
11 eat mort en odeur de sainteté, après avoir
par distraciion avalé une baïonnette au mess
des officiers du 37" mitrailleurs-à-cheval...
— Une baïonnette! s'écria Polydore... Et
elle entra?...
— Oh! sans difficulté, répondit le maître
d'hôtel... mais quand il s'agit pour elle do
sortir...
— Ah! oui!...
— D'autant plus qu'elle s'était mise en tra-
vers... et alors, vous comprenez?
— Parlaitement.
— C'est pourquoi, reprit le maître d'hôtel,
il a été canonisé le jour où- M. de Villemessant
a été déclaré Vénérable.
— Et c'étaient des journalistes?... demanda
Polydore avec surprise.
— Mais oui, — comme Détroyat!... Ils fu-
rent r iches, considérés, vénérés de tous pen-
dant leur vie, — et ils sont saints après leur
mort.
— Est-ce qu'il y a beaucoup de journalistes
dans Paris?
— Plus un seul, monsieur, plus un seul!
Ces paroles rendirent Polydore tout son-
geur.
— Bigre!... dit-il... voilà un métier qui me
paraît truffé de charmes!... je vais me faire
journaliste aussi, moi!
11 alla chez un imprimeur et lui remit un
manuscrit assez volumineux.
Le lendemain, une nouvelle feuille parais-
sait sous ce titre : le Journal raisonnable.
C'était celui de Polydore.
Au nom de la loi!
Les marchandes des kiosques venaient à
peine de mettre le premier numéro de la
feuille de Polydore à leur étalage, qu'une
nuée de fonctionnaires délégués par la préfec-
ture de police s'élançait en bon ordre sur les
boulevards, et emportait dans des lieux in-
connus tout ce qu'elle pouvait saisir du Jour-
nal raisonnable.
A cette uouvelle, Polydore fut consterné.
11 n'était pas encore remis de cette conster-
nation, lorsqu'un huissier du Palais lui apporta
un papier orné à l'un de ses coins d'une gra-
vure représentant une petite dame habil'ée
d une façon grotesque et tenant à la main des
balances.
devant
journal
C'était une assignation à comparaître
la justice pour avoir fait paraître un j
s-ans autorisation.
— Diable!... se dit Polydore, il faut donc
une autorisation pour travailler... je suis
homme de lettres : je ne puis donc pas exer-
cer mon métier, et giigner ma vie, si on ne
me le permet pas!... Voilà qui est bizarre!
Tout bizarre que cela fût, Polydore le jour
de son procès, se vit condamner à la confis-
cation de tous les numéros saisis et à une
amende considérable.
— Bigre, dit-il... en voilà de l'agrément!...
Enfin, je vais demander l'autorisation!
Il la demanda donc, et par extraordinaire
l'obtint.
Voilà <iui va bien !
Le second numéro du Journal raisonnable
parut peu de jours après.
Se conformant au titre qu'il avait pris, Po-
lydore tâchait de ne tomber ni dans le pam-
phlet, ni dans le panégyrique, — et de rendre
à chacun ce qui lui était dû.
11 ne disait point Amen! à tout ce que faisait
le gouvernement, — mais il ne demandait pas
non plus qu'on en fit monter les membres sur
l'échafaud.
Il donnait des nouvelles de la ville et de la
campagne,—la cote de la Bourse, — le prix
des bestiaux, — et quelques annonces du doc-
teur Charles-Albert.
Ce qui ne l'empêcha pas de trouver le soir
chez sa concierge un second papier timbré.
Arrivé devant ses juges, il fut obligé de re-
connaître qu'il avait bien obtenu l'autorisation
de faire un journal, niais qu'il n'en avait point
profité pour verser ès-mains de l'administra-
tion un cautionnement de 50,000 francs.
— Mais je les verserait... s'écria-t il.
— Nous vous tenons compte de cette bonne
intention, dit le président... C'est pourquoi
nous vous condamnons à l'amende et à 1*
prison.
— Mais quel mal ai-je fait?... demande en-
core Polydore.
— Aucun, c'est vrai, —mais jugez un peu
si vous l'aviez fait !...
— Cap dé Diou! grommela Polydore... Je
la trouve roide!
Cependant, il se rendit au ministère de l'in-
térieur pour verser son cautionnement.
Pendant que le caissier comptait son ar-
gent, Polydore se promenait de long en large
en attendant son reç i.
Tout à coup, il aperçut une pancarte qui
portait ce titre :
Avis aux directeurs de journal'*
politiques.
11 s'approcha,— et voici ce qu'il lut :
Article premier.—Il est défendu aux direc-
teurs de journaux politiques de permettre a
leurs rédacteurs de traiter les questions d'ad-
ministration intérieure qui pourraient soule-
ver pour le gouvernement des difficultés, soi1
dans le pays, soit à l'étranger.
Art. 2. — 11 leur est interdit de parler de
la religion, des prêtres, des associations pieu-
ses et généralement de tout ce qui se rattaché
au culte. Ça, c'est sacré.
Art. 3. —II leur est interdit de s'occupef
de commerce, de la Banque, de la marc»e
des affaires, de l'importation et de l'exporta'
tion, du change, du crédit et de tout ce qul
s'y rapporte,— car ça ne les regarde pas.
Art. 4.— Il leur est interdit de troubler leS
esprits en revendiquant la liberté de réunion»
d'association, de la presse ou de coalition, on
n'importe quelle autre liberté,— attendu que
cela donnerait à penser que la Dation en est
privée.
Art. S. — Il leur est interdit d'examinerla
conduite publique ou privée des ministres et
de leurs subordonnés, des fonctionnairesi t!e
quelque ordre que ce soit, des commissaires
de police, de leurs agents, des gendarmes»
des gardes champêtres et des sapeurs-pom-
piers,— ainsi que de n'importe quelle per-
sonne se rapprochant de près ou de loin auX
différentes catégories de salariés de l'Etat qui
viennent d'être énumérées.
Art. 6. — I! leur est interdit de parler de
l'armée, des maréchaux, des caporaux et de*
bonnes d'enfant.
Art. 7. — Il leur est interdit de parler des
ambassadeurs, des attachés d'ambassade et
du corps rie ballet.
Art. 8. —11 leur est interdit de parler de
la marine.
Art. 9.—Il leur est interdit de parler de
la magistrature.
Art. 10. —Il leur est interdit de parler po*
litique.
Art. 11. —A part les réserves faites dans
les articles précédents, il leur est loisible de
parler de tout ce qu'ils veulent.
Simples réflexions.
— Non d'un petit bonhomme!... se dit Po-
lydore après avoir pris connaissance de cet