l’apre saveur de la vie
13
« au pain de doleur et à eaue d’angoisse ». La tête de maître
Oudart de Bussy, de l’homme qui avait refusé une place au
Parlement, est, par ordre spécial de Louis XI, exhumée, et
exposée sur le marché de Hesdin, couverte du chaperon
fourré, « selon la mode des conseillers de Parlement ». En
dessous, un petit poème explicatif. Le roi lui-même écrit à
ce sujet de féroces plaisanteries (1).
Plus rares que les processions et les exécutions judiciaires
les sermons des prédicateurs itinérants venaient parfois
secouer le peuple leur éloquence. Nous qui lisons les jour-
naux, nous pouvons à peine nous imaginer l’énorme impres-
sion causée par la parole sur des esprits insatiables et igno-
rants. Le prêcheur populaire, frère Richard, qui assistera
Jeanne d’Arc comme confesseur, prêcha à Paris, en 1429,
pendant dix jours consécutifs. Il commençait le matin à cinq
heures, et terminait entre dix et onze heures, prêchant
surtout dans le cimetière des Innocents, sur les murs duquel
était peinte la célèbre danse macabre, et le dos tourné au
charnier où les crânes étaient entassés à découvert. A la fin
du dixième jour, lorsqu’il annonça que ce jour serait le der-
nier, qu’il n’avait pas licence de prêcher davantage, « les
gens grans et petiz plouroient si piteusement et si fondement,
comme s’ils veissent porter en terre leurs meilleurs amis, et
lui aussi ». Pensant qu’il prêcherait le dimanche suivant à
Saint-Denis, une troupe de six mille personnes, dit le bour-
geois de Paris, sortit de la ville le samedi soir afin de se
procurer une bonne place, et passa la nuit dehors (2).
On interdit à Paris la prédication du Franciscain Antoine
Fradin, à cause de ses invectives contre le mauvais gouver-
nement. Mais ces invectives le rendaient cher aux petites gens.
Ils le gardèrent jour et nuit dans le couvent des Cordeliers ;
les femmes montaient la garde avec leurs munitions de
cendre et de pierres. On se rit de la proclamation qui interdit
(1) Journal d’un bourgeois, p. 670 ; Jean Molinet, Chronique, éd. Buchon.
Coll, de chron. nat., 1827-28, 5 vol., II, p. 23 ; Lettres de Louis XI, éd. Vaesen,
Charavay, de Mandrot (Soc. de l’hist. de France), 1883-1909, 11 vol., 20 avr.
1477, VI, p. 158 ; Chronique scandaleuse, II, p. 47, id. Interpolations, II, p. 364.
(2) JournaLTd’un bourgeois, p. 234-7.
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« au pain de doleur et à eaue d’angoisse ». La tête de maître
Oudart de Bussy, de l’homme qui avait refusé une place au
Parlement, est, par ordre spécial de Louis XI, exhumée, et
exposée sur le marché de Hesdin, couverte du chaperon
fourré, « selon la mode des conseillers de Parlement ». En
dessous, un petit poème explicatif. Le roi lui-même écrit à
ce sujet de féroces plaisanteries (1).
Plus rares que les processions et les exécutions judiciaires
les sermons des prédicateurs itinérants venaient parfois
secouer le peuple leur éloquence. Nous qui lisons les jour-
naux, nous pouvons à peine nous imaginer l’énorme impres-
sion causée par la parole sur des esprits insatiables et igno-
rants. Le prêcheur populaire, frère Richard, qui assistera
Jeanne d’Arc comme confesseur, prêcha à Paris, en 1429,
pendant dix jours consécutifs. Il commençait le matin à cinq
heures, et terminait entre dix et onze heures, prêchant
surtout dans le cimetière des Innocents, sur les murs duquel
était peinte la célèbre danse macabre, et le dos tourné au
charnier où les crânes étaient entassés à découvert. A la fin
du dixième jour, lorsqu’il annonça que ce jour serait le der-
nier, qu’il n’avait pas licence de prêcher davantage, « les
gens grans et petiz plouroient si piteusement et si fondement,
comme s’ils veissent porter en terre leurs meilleurs amis, et
lui aussi ». Pensant qu’il prêcherait le dimanche suivant à
Saint-Denis, une troupe de six mille personnes, dit le bour-
geois de Paris, sortit de la ville le samedi soir afin de se
procurer une bonne place, et passa la nuit dehors (2).
On interdit à Paris la prédication du Franciscain Antoine
Fradin, à cause de ses invectives contre le mauvais gouver-
nement. Mais ces invectives le rendaient cher aux petites gens.
Ils le gardèrent jour et nuit dans le couvent des Cordeliers ;
les femmes montaient la garde avec leurs munitions de
cendre et de pierres. On se rit de la proclamation qui interdit
(1) Journal d’un bourgeois, p. 670 ; Jean Molinet, Chronique, éd. Buchon.
Coll, de chron. nat., 1827-28, 5 vol., II, p. 23 ; Lettres de Louis XI, éd. Vaesen,
Charavay, de Mandrot (Soc. de l’hist. de France), 1883-1909, 11 vol., 20 avr.
1477, VI, p. 158 ; Chronique scandaleuse, II, p. 47, id. Interpolations, II, p. 364.
(2) JournaLTd’un bourgeois, p. 234-7.