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Journal des beaux-arts et de la littérature — 1.1859

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https://doi.org/10.11588/diglit.17357#0056
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48

JOURlNAL des beaux-arts.

enfants ne comprennent rien à ee qui se
passe, niais elles voient pleurer leurs
parents et par un sublime instinct du
cœur, leurs innocentes caresses tendent
à les rapprocher. Ces malheurs ne sont
plus un mystère pour personne; la li-
quidation est annoncée; nous estimons
que grâce à la vente des meubles et im-
meubles, on parviendra, non seulement
à payer tout le monde, mais encore à
sauver quelques milliers de francs du
naufrage. Votre présence, Monsieur,
serait, je crois, une grande consolation
pour vos parents; je ne doute aucune-
ment qu'au reçu de ma lettre, vous ne
vous mettiez en route pour notre ville.

0.

J'y suis allé dans cette ville où je ne
suis jamais entré avec d'aussi tristes
pensées; j'ai passé un mois avec mes pa-
rents; Dieu! quel vide au dedans et au
dehors; les meubles, les tableaux, les
robes de soie, le salon moderne et le
salon gothique, tout a été vendu. Le
maître et la maî tresse de ta maison, sans
courage, sans la moindre énergie étaient
lorsque je suis arrivé, incapables de rien
diriger, de rien décider. A la prière
de mon pauvre cousin, je me suis joint
à son obligeant ami et nous avons tout
pris sur nous. M. 0. a d'abord exigé que
le ménage, c'est à dire le mari, la fem-
me et les deux enfants vinssent chez lui,
en attendant une décision ultérieure;
moi j'ai commencé par payer et congé-
dier les cinq domestiques de mon cou-
sin, plus ceux du beau-père; j'ai fait
une exception ; il y avait chez ce der-
nier une pauvre fille de cuisine, à qui
l'on n'adressait jamais la parole, que ses
camarades bafouaient à plaisir; cette
fille, jeune et forte, s'était attachée à son
vieux maître; elle seule, montra une vive
douleur lorsque le corps de l'infortuné
fut rapport»'' chez lui; elle demanda
comme une grâce de faire la veillée mor-
tuaire et ses traits altérés me convain-
quirent que sous cette enveloppe vul-
gaire, battait un brave cœur. Je lui
demandai si elle voulait être désormais
l'unique servante du ménage ruiné..; .le
ne donnerais pas pour de précieux tré-
sors le bien que me fit sa réponse. » Oh !
monsieur, me dit-elle, un tel honneur
pour moi ! et je pourrais voir et soigner
tous les jours, ces chères et belles pe-
tites que j'aimais tant à voir venir chez
nous et qui me disaient toujours si gen-
timent: bonjour Catherine. Que le bon
Dieu soit béni, j'ai plus que je n'aurais
jamais osé demander. »

Je m'en allai bien vite pour cacher
une larme qui roulait traîtreusement

sur ma joue : oserai-je l'avouer? C'était
la première que les malheurs de ma
famille m'avaient arrachée.

Je suis tranquille de ce côté — mes
parents seront mieux servis par la seule
et dévouée Catherine que par les cinq
grands seigneurs qui ont insolemment
retourné toutes les pièces d'argent que
je leur ai données, pour voir, peut-être,
s'il ne s'en trouvait pas de fausses.

Aujourd'hui, tout est réglé. Il res-
tera 40,000 fr. qui placés à 5 °/„ don-
neront deux mille livres de rente. Le
cousin, quoique charmant homme, n'a
point fait son droit, et l'heure qu'il pas-
sait chaque jour à se promener dans le
bureau du beau-père, les deux autres
heures qu'il consacrait à se mettre au
courant des nouvelles et des opinions
du jour, ne l'ont pas rendu apte à
grand'chose. Après bien des pourpar-
lers, bien des répugnances, nous avons
décidé d'écrire à la grande maison de
Bordeaux qui lui fournissait ses vins.
Cette maison n'a pas oublié quelle ex-
cellente pratique elle avait eue en mon
cousin; grâce à ce bon souvenir et
aussi peut-être à l'éducation et aux
relations qu'elle connait an solliciteur,
elle a répondu courrier par courier
qu'elle acceptait le cousin pour son re-
présentant en Belgique. Ce qui a décidé
mon parent en sauvant son amour-pro-
pre, c'est l'offre de prendre, dans un an,
un intérêt dans la maison. Voilà le pain
de la famille assuré.

Ils ont quitté la ville où ils ont occupé
le premier rang et où il serait par trop
dur de vivre si différemment.

Nous leur avons trouvé aux environs
de Namur, au village de Malonne, dans
une délicieuse situation, un cottage qui
leur coûte ISO fr. de loyer par an.

La maison est suffisamment grande;
le jardin fournit tous les légumes et les
fruits dont le ménage a besoin.

J'ai confiance dans l'avenir; le salut
viendra de nia cousine; à sa morne stu-
peur a succédé une activité sans bruit,
niais constante, et sous laquelle on de-
vine une énergique détermination. Elle
s'occupe de ses enfants, elle joint leurs
petites mains pour les heures de prière
et leur dicte des paroles qui m'ont été
jusqu'au cœur. Catherine fait des mer-
veilles et ne s'aperçoit guère qu'elle
est seule pour toute la besogne. Mais ce
qui fait peine et joie tout ensemble, c'est
le bonheur des enfants.

Elles sont métamorphosées, leurs pe-
tits cris joyeux retentissent à chaque
heure du jour ; elles bondissent sur la
pelouse verte qui s'étend jusqu'au ruis-
seau voisin, elles grimpent comme des
chèvres sur les belles collines qui envi-

ronnent la maisonnette; elles embras-
sent leur mère toute la journée et s'élan-
cent dans les bras de leur père quand il
revient d'une tournée: en voit qu'elles se
paient d'un arriéré de caresses; cela ira,
cela ira très bien. La maison est simple-
ment, mais coquettement meublée; elle
n'a point la froide austérité qui rendait
celle de mon grand-père un peu triste,
elle est encore bien plus éloignée des
énervantes recherches de ce luxe qui a
été si fatal à ses habitants. Les parquets
sont cirés, les fenêtres garnies de stores
et de rideaux blancs; le soleil entre à
Ilots à travers des vitres d'une dimension
honnête. — H y a une chambre qu'on
appelle le bureau; elle renferme une bi-
bliothèque peu nombreuse, mais bien
composée, composée surtout en vue de
jeunes éducations à faire; c'est ma
cousine qui l'a choisie dans l'immense
quantité de livres de toute espèce que
son mari avait accumulés depuis plu-
sieurs années, elle veut élever elle-mê-
me ses filles, cela se devine. Elle a
voulu conserver aussi un petit nom-
bre de jolis tableaux, quelques excel-
lentes gravures, son piano, ses mu-
siques classiques : « Tout cela sera
utile un jour, me dit-elle, comme si
elle eût cru devoir s'excuser; et puis
il ne faut pas que notre intérieur soit
trop liiste; mon mari n'aimerait pas
à y revenir. » Enfin, dans leur chambre
à coucher qui est aussi celle des enfants,
la pendule rococo et les groupes de
Saxe sont remplacés par un héritage
de famille, le vieux crucifix de notre
grand-père... Pnisse-t-il bénir le ména-
ge ('prouvé; puisse-t-il lui apprendre
qu'entre la vie austère, complètement
dépourvue de jouissances idéales que
menaient nos grands parents et cette
existence bruyante, oisive, inutile, fol-
lement luxueuse, trop commune de nos
jours, il en est une autre, aussi pure
que la première, mille fois plus heu-
reuse que la,seconde....

Celte vie que l'épreuve envoyée par
Dieu vient de mettre à leur portée,
consiste à ne pas repousser pour des
plaisirs vides et faux ce doux bonheur
de la famille que rien ne remplace, à
rechercher, pour fortifier l'âme, ce que
les arts ont de sublime et de divin , ce
que la nature a d'attraits inépuisables;
enfin, à ne jamais oublier la loi sainte
du travail que le plus grand comme le
plus infime ne saurait méconnaître sans
offenser mortellement celui qui la lui
a imposée.

EMILE CARS.

Fin.

ITP. DE J. ED0M.
 
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