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Journal des beaux-arts et de la littérature — 9.1867

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https://doi.org/10.11588/diglit.18493#0042
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— 54 —

récemment l'occasion de voir, dans l'atelier
d'un artiste dont le nom nous était jusqu'ici
plus connu que les travaux, M. Al. Cluyse-
naar, une page historique de grandes dimen-
sions destinée par son auteur à l'exposition
des Champs-Elysées. Sans témérité, nous
croyons cette œuvre appelée à obtenir à Paris,
et particulièrement dans le monde artistique,
un succès au moins égal à celui qu'elle a ob-
tenu chez nous pendant ses quelques jours
d'exposition.

En écrivant celte phrase, nous ne venons
pas à la légère nous servir d'un terme usé
par les réclames; nous exprimons en conscience
une opinion sortie de l'examen approfondi de
l'œuvre qui nous occupe, et l'on sait qu'il
n'entre pas dans nos habitudes de donner
aux travaux artistiques des proportions que
la vanité de leurs auteurs ne leur prête que
trop souvent.

Au milieu des caprices chaque jour plus
exigeants de la mode, l'habileté et l'ingénio-
sité artistiques ont été si souvent exaltées et
proclamées comme étant le but suprême de
l'art, que, par un mouvement de réaction plus
naturel que logique, l'on a vu opposer à cette
forme séduisante mais conventionnelle, une
forme nouvelle, plus saine peut-être mais
aussi plus brutale, et, tranchons le mot, trop
souvent plus ignorante. Quoi qu'il en soit, les
adhérents d'un spiritualisme conventionnel
et les adeptes d'un réalisme non moins con-
ventionnel, en sont arrivés à si bien se parta-
ger le terrain qu'il n'est plus resté qu'une pla-
ce bien étroite pour les amants de la peinture
indépendante et le nombre de ceux là, le nom-
bre de ceux qui réussissent surtout, est devenu
si petit qu'on les compte. A nos yeux,M.Cluy-
senaar en est.

Après Cornélius, le jeune artiste a osé
aborder, dans les plus vastes proportions, le
colossal épisode de l'Apocalypse où les quatre
cavaliers symboliques de la Yictoire, de la
Guerre, de la Famine et de la Mort s'élevant
à la voix de l'Ange, s'élancent aux quatre
coins de l'horizon pour dévaster Ja terre. Sans
redouter le parallèle que devait inévitablement
évoquer dans l'esprit de tout le monde ce
sujet si difficile à traiter et si grandiosement
interprété déjà, sans même chercher à s'éloi-
gner systématiquement de la composition de
Cornélius, M. Cluyseuaar est entré en plein
dans son sujet qu'il a conçu à sa façon, et
rendu avec un caractère de grandeur et des
qualités personnelles si incontestables, que,
dans le nombreux public d'artistes qui se
pressait dans l'atelier, nous n'avons entendu
prononcer par personne le nom du peintre
allemand.

Ce n'est pas cependant qu'il y ait entre la
fresque de la Friedhofsale de Berlin et l'œuvre

de M. Cluysenaar une absence d'analogie si
absolue dans l'exposition du sujet qu'en
voyant l'une, l'idée de l'autre ne vienne pas
à la pensée. Mais, ce qui les diflërentie, c'est
qu'alors que dans sa composition, Cornélius
a visé avant tout à frapper le spectateur par
une intensité d'expression rarement égalée
dans la peinture , M. Cluysenaar lui, a étudié
et mis en scène le sujet, ayant surtout en vue
ce que le côté pictural devait lui donner de
grandeur et de majesté. Dans l'œuvre de Corné-
lius, chaque figure isolée a son expression,
son caractère nettement accentué, si bien
qu'en voilant la partie supérieure de la compo-
sition, l'on devinerait encore, à première vue,
qu'il se passe quelque chose d'horrible et de
surnaturel. Chez M. Cluysenaar, c'est surtout
l'ensemble qui frappe. La grande allure de
ses cavaliers à l'attitude triomphante, l'ori-
ginalité et la vigueur saisissante de l'exécu-
tion du personnage symbolique de la Mort,
monté, non pas sur un cheval pâle comme le
veut le texte, mais sur un cheval noirqui sem-
ble tomber vraiment du cadre, et qui pro-
jette sur les ligures nues qui se tordent à i'à-
vant-plan son ombre sinistre, tout cela est
effrayant, au moins autant par la masse et l'ex-
pression dérivée de la couleur et du faire,
que par la physionomie du personnage.

Des œuvres comme celle-ci se décrivent ma-
laisément. Elle est portée en quelque sorte d'un
jet sur la toile et l'œil ne s'arrête de préférence
sur aucune partie, tout concourant à l'action
générale; celle-ci se développe et se déroule
avec un mouvement fiévreux et spontané qui est
précisément le côté remarquable de l'œuvre.

C'est sur le haut de la toile que l'artiste a
voulu d'abord attirer l'attention. Là éclatent
comme une fanfare les tons brillants et ses ca-
valiers sortis comme d'un nuage qui crève,
apparaissent à nos yeux vigoureusement dé-
tachés sur un fond de lumière. L'unité et
l'ensemble de ce groupe contribue puissam-
ment au succès de l'œuvre. A la fois riche
et sobre de tons, cette partie de la toile est
du plus grand effet. Le cavalier qui person-
nifie la Victoire, le buste dressé sur son che-
val roux, brandit des deux mains sa grande
épée; à droite et se dirigeantvers l'horizon, la
Famine, sur un cheval noir, part à fond de
train, agitant sa balance, tandis qu'à gauche
le cheval blanc de la Guerre s'élance avec une
fière allure emportant son terrible fardeau.
La Mort se détache à son tour de ce groupe
et tombe en ricanant sur l'humanité, levant
des deux bras, comme un fléau, sa faux meur-
trière. Ce personnage qui rappelle les squelet-
tes charnus des danses des morts, sert, en
quelque sorte, de trait-d'union aux deux par-
ties de la composition.

Dans la déroule du bas de la toile, il n'y a

plus d'épisode distinct; c'est un vaste tohu-
bohu, parfaitement raisonné cependant et où,
comme dit le poète :

Tout s'allonge, se tord, s'embrasse et se déchire
Comme les damnés de l'Enfer.

Vers la droite, dans une écîaircie qui per-
met un moment à l'œil de se reposer, est
étendue une ligure, — la plus grandiose in-
contestablement du tableau — le cadavre
d'une femme enveloppé de draperies aux cou-
leurs sombres, et vu entièrement en raccour-
ci. Ce coin de droite est, à notre avis, la partie
réussie de l'œuvre. Il y a là encore un homme
qui fuit, vu par le dos, et qui est sous tous les
rapports un excellent morceau de peinture.

On ne saurait sans doute, à la lecture de
cet article, se faire une idée de l'œuvre de M.
Cluysenaar, mais en vérité les tableaux de
ce genre ne peuvent se décrire de point en
point. Du reste, nous l'avons dit déjà, le succès
de l'œuvre gît dans l'importance de l'ensemble.
Très-savante au fond, très-bien comprise et
très-nerveusement rendue, elle a conservé
toute la fraîcheur de l'esquisse. Ceux qui sa-
vent voir, ont compris d'emblée ce qu'il y avait
là de travail, de force, de volonté et de pro-
messes. Elait-ce peu de chose, en effet, que
d'arriver à la hauteur d'un pareil sujet en
coudoyant les deux écueils de l'exagération
delà force et du sentimentalisme sans échouer
ni d'un côté ni de l'autre? de réunir en un
tout des actions distinctes et de conserver,
dans ce désordre apparent, l'ordre et l'unité?
et puis les difficultés extrêmes de l'exécution,
l'expression et la vie, et surtout la couleur
en harmonie avec le sujet, enfin la parfaite
convenance du tout?

Cependant, disons-le, ébloui mais non
aveuglé, nous avons trouvé bien des points
à reprendre dans l'œuvre de M. Cluysenaar.
Nous eussions voulu que menant si loin son
travail, il l'eût mené plus avant encore. Qu'a-
près être si bien entré dans le côté expres-
sif et vivace du sujet, il eût accentué davan-
tage certaines parties ; nous eussions voulu
dans son cheval blanc plus de force et plus
de nerf, nous eussions voulu, enfin, plus d'ac-
centdans certains détails del'avant-plan.L'on
dirait que pressé de finir, l'artiste a dû passer
légèrement sur quelques parties, et, en suppo-
sant même que cela fût, nous ne lui pardon-
nons pas volontiers. Des œuvres comme cel-
le-ci, ont une importance trop grande pour
pouvoir être abandonnées avant d'avoir at-
teint un entier et extrême achèvement, indis-
pensable à leur complète expression, alors
surtout qu'elles sont produites par un homme
dont le savoir ne peut être mis en doute.

Cette restriction faite, il ne nous reste qu'à
féliciter l'artiste qui assez exempt des préoc-
cupations de la mode et assez indifférent aux
 
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