N° 16,
31 Août 1873.
Quinzième Année.'
JOURNAL DES BEAUX-ARTS
ET DE LA LITTÉRATURE
paraissant déni fois par mois, sons la direction de M. Ad. SIRET, memlre de l'Académie royale de Belgique, memke correspondant de la Commission royale des monuments, memke de
l'Institnt des prorinces de France, de la Société française d'Archéologie, de l'Académie de Reims,
de l'Académie d'Archéologie de Madrid, etc.
pour toute la Belgique, (port compris;. Par an, 9 fr. — Etranger,là St-Nicolas. —Il pourra être rendu compte des ouvrages dont un exemplaire sera adressé à la rédaction-
SOMMAIRE : Belgique. : Le Salon d’Anvers.
— Le dessin à l’école moyenne. — Lettre de
M. vander Kellen. — Le retable d’Oplinter. —
France : Corresp. part. — Allemagne : Corr.
part, de Berlin. — Chronique générale —
Annonces.
érlgtquc.
LE SALON D’ANVERS.
Par le temps d’indifférence et d’ingrati-
tude artistique qui court chez nous, plus
que partout ailleurs, personne ne s’est sans
doute avisé de remarquer que le Salon
offre cette particularité, que les deux fon-
dateurs de l’école belge proprement dite,
c’est-à-dire de cette nouvelle école éclose
avec la rénovation politique de noire natio-
nalité en 1850, Wappers et De Keyser, sont
tous les deux au poste d’honneur. Ce n’est
plus, il est vrai, comme des athlètes vail-
lants briguant la victoire et affirmant la
théorie de leurs principes, ce n’est plus, il
est vrai, avec cette juvénile et fiévreuse ar-
deur qui faisait que l’un et l’autre se tail-
laient à coups de brosse, dans des pièces de
toile, des chefs-d’œuvre tels que la Révolu-
tion de 1850 et la Bataille des éperons d’or,
non ; ces deux maîtres des premiers jours
ne luttent plus mais ils conquièrent encore.
Quelle étude à faire que celle de tout ce
temps parcouru ! Quelle élude et quelle
leçon depuis ce jour où une énergique jeu-
Besse pleine d’illusions et d’avenir mar-
chait sur les pas de ses chefs d’école et où
chacun se croyait un Rubens, un Michel-
Wige, un Raphaël ! 11 nous souvient comine
d’hier de cette vie exubérante et de cette
fraîche aurore qui, pour les uns, s’est conti-
nuée dans une atmosphère idéale et qui
Pour les autres, est descendue dans la chi-
mie de la vie. Mais ce n’est pas ici le mo-
ntent de faire de l’histoire, quelque envie
'De nous en ayons, nous sommes au Salon
d’Anvers, restons-y.
Wappers, l’auteur du Bourgmestre de Ley-
’fr et de Pierre le Grand à Saardam, a ex.
P°sé son portrait, destiné au Musée des
Académiciens d’Anvers. C’est une œuvre
e mérite et même de grand mérite où l’on
trouve assimilés l’élément flamand et la
tournure française. On pourrait dire que
c’est un portrait pensé en flamand et peint
en français ; nous sommes convaincu que
Wappers lui-même sera de cet avis.
Pour notre part, nous ne verrions pas
grand mal à cela, si l’auteur n’avait pas,
plus que tout autre, la responsabilité de
son nom. Enfant d’Anvers, chef pendant un
certain temps de cette académie brillante
d’où sont sorties deux renaissances flaman-
des, il eût dû, nous semble-t-il, doter le
musée de sa ville natale — et beaucoup plus
tôt— d’une œuvre plus flamande, plus virile,
plus en rapport enfin avec cette manière
éclatante à laquelle il devra, et rien qu’à
elle, sa renommée. Wappers, pour nous
comme pour lui, s’est perdu, au point de
vue de sa gloire et de la nôtre, dans cet exil
si long et si injustifiable où sa personnalité
accentuée s’cst effacée au niveau de talents
presque ordinaires. Hélas ! que n’esl-il
resté parmi nous malgré les difficultés de la
vie d’artiste, les mêmes partout du reste et
qu’il eût fini par dominer; il eût, sans au-
cun doute, laissé au sein de celte ville qui
fut son berceau, quelque preuve majes-
tueuse et éternelle delà puissance d’un
tempérament qui s’est atrophié à l’étranger
et dont les preuves ne sont que trop peu
nombreuses. Quand donc les artistes com-
prendront-ils que le soin de leur gloire
demande qu’ils vivent et meurent au sein
de la patrie ? Et pour une exception à
cette vérité, que d’exemples la confirment!
De Keyser, toujours debout et vaillant,
DeKeyser qui, nous dit-on, rêve—presque à
l’insu de lui-même!—un pendant à son ma-
gnifique vestibule du Musée, De Kesyer a
exposé un grand portrait de femme d’une
morbidesse exquise. Non, ce n’est pas une
toile peinte à l’emporte-pièce ni avec ces
transports épileptiques de brosse qui peu-
vent avoir leur charme à certains moments
de la vie où la raison et l’imagination sont
sorties de leurs gonds; non, ce n’est ni du
Velasquez, ni du Hais, c’est du de Keyser,
c’est-à-dire, de la grâce, de la rêverie com-
me fond ; de l’élégance et de la correction
comme forme. Cette œuvre est douce, tran-
quille, suave ; une poésie toute féminine
l’inonde, c’est comme une âme qui rayon-
ne là. Il est impossible, pour ceux qui atta-
chent plus de prix à l’impression qu’à l’ex-
pression, de ne pas ressentir devant ce
portrait au maintien calme, noble et doux,
ce frémissement intérieur qui vous prend
devant toute chose pensée.
Le Bantc et les jeunes filles de Florence, du
même, est un sujet contestable comme in-
térêt. La connexité de la sympathie des
jeunes filles avec les sentiments ou l’anxiélé
du Dante, ne se perçoit pas ; elle se devine.
Abstraction faite de la donnée trop minime
peut-être pour une toile de cette importance,
il reste trois jeunes belles filles d’une dé-
sinvolture des plus gracieuses et d’un type
charmant. Deux d’entre elles, surtout sont
de véritables trouvailles et seront, sans au-
cun doute, popularisées par la gravure. La
pensive et mélancolique figure du Dante,
assis sur un banc de pierre et noyé dans
l’ombre, perd un peu de son intérêt par son
effacement même et aussi par le vif attrait
répandu sur les délicieuses créatures qui
viennent de voir sa Béatrix. L’ensemble de
l’œuvre est d’une gamme douce, fondue
dans une teinte d’une lumière ombrée et
transparente ; une élégante harmonie do-
mine cette composition dont le dessin est,
comme toujours, fin, délicat et de la plus
irréprochable correction.
M. Alma Tadema qui a imposé au public
une archéologie parfois fantaisiste et pres-
que toujours de contrebande, est un peintre
habile mais qui n’empoigne pas. Le don de
l’émotion lui manque comme aussi celui de
la composition. Qu’on en juge par son
Claude, salué empereur. Tout ce que l’on
voit de cette composition est un soldat ro-
main, aperçu de dos, saluant le grotesque
époux de Messaline collé tout effaré contre
un mur, derrière un rideau ; à ses pieds
quelques cadavres assez mal entassés; à
gauche, tout contre le bord du cadre, quel-
ques têtes penchées dont les corps sont
rejetés hors du cadre, saluent d’une façon
31 Août 1873.
Quinzième Année.'
JOURNAL DES BEAUX-ARTS
ET DE LA LITTÉRATURE
paraissant déni fois par mois, sons la direction de M. Ad. SIRET, memlre de l'Académie royale de Belgique, memke correspondant de la Commission royale des monuments, memke de
l'Institnt des prorinces de France, de la Société française d'Archéologie, de l'Académie de Reims,
de l'Académie d'Archéologie de Madrid, etc.
pour toute la Belgique, (port compris;. Par an, 9 fr. — Etranger,là St-Nicolas. —Il pourra être rendu compte des ouvrages dont un exemplaire sera adressé à la rédaction-
SOMMAIRE : Belgique. : Le Salon d’Anvers.
— Le dessin à l’école moyenne. — Lettre de
M. vander Kellen. — Le retable d’Oplinter. —
France : Corresp. part. — Allemagne : Corr.
part, de Berlin. — Chronique générale —
Annonces.
érlgtquc.
LE SALON D’ANVERS.
Par le temps d’indifférence et d’ingrati-
tude artistique qui court chez nous, plus
que partout ailleurs, personne ne s’est sans
doute avisé de remarquer que le Salon
offre cette particularité, que les deux fon-
dateurs de l’école belge proprement dite,
c’est-à-dire de cette nouvelle école éclose
avec la rénovation politique de noire natio-
nalité en 1850, Wappers et De Keyser, sont
tous les deux au poste d’honneur. Ce n’est
plus, il est vrai, comme des athlètes vail-
lants briguant la victoire et affirmant la
théorie de leurs principes, ce n’est plus, il
est vrai, avec cette juvénile et fiévreuse ar-
deur qui faisait que l’un et l’autre se tail-
laient à coups de brosse, dans des pièces de
toile, des chefs-d’œuvre tels que la Révolu-
tion de 1850 et la Bataille des éperons d’or,
non ; ces deux maîtres des premiers jours
ne luttent plus mais ils conquièrent encore.
Quelle étude à faire que celle de tout ce
temps parcouru ! Quelle élude et quelle
leçon depuis ce jour où une énergique jeu-
Besse pleine d’illusions et d’avenir mar-
chait sur les pas de ses chefs d’école et où
chacun se croyait un Rubens, un Michel-
Wige, un Raphaël ! 11 nous souvient comine
d’hier de cette vie exubérante et de cette
fraîche aurore qui, pour les uns, s’est conti-
nuée dans une atmosphère idéale et qui
Pour les autres, est descendue dans la chi-
mie de la vie. Mais ce n’est pas ici le mo-
ntent de faire de l’histoire, quelque envie
'De nous en ayons, nous sommes au Salon
d’Anvers, restons-y.
Wappers, l’auteur du Bourgmestre de Ley-
’fr et de Pierre le Grand à Saardam, a ex.
P°sé son portrait, destiné au Musée des
Académiciens d’Anvers. C’est une œuvre
e mérite et même de grand mérite où l’on
trouve assimilés l’élément flamand et la
tournure française. On pourrait dire que
c’est un portrait pensé en flamand et peint
en français ; nous sommes convaincu que
Wappers lui-même sera de cet avis.
Pour notre part, nous ne verrions pas
grand mal à cela, si l’auteur n’avait pas,
plus que tout autre, la responsabilité de
son nom. Enfant d’Anvers, chef pendant un
certain temps de cette académie brillante
d’où sont sorties deux renaissances flaman-
des, il eût dû, nous semble-t-il, doter le
musée de sa ville natale — et beaucoup plus
tôt— d’une œuvre plus flamande, plus virile,
plus en rapport enfin avec cette manière
éclatante à laquelle il devra, et rien qu’à
elle, sa renommée. Wappers, pour nous
comme pour lui, s’est perdu, au point de
vue de sa gloire et de la nôtre, dans cet exil
si long et si injustifiable où sa personnalité
accentuée s’cst effacée au niveau de talents
presque ordinaires. Hélas ! que n’esl-il
resté parmi nous malgré les difficultés de la
vie d’artiste, les mêmes partout du reste et
qu’il eût fini par dominer; il eût, sans au-
cun doute, laissé au sein de celte ville qui
fut son berceau, quelque preuve majes-
tueuse et éternelle delà puissance d’un
tempérament qui s’est atrophié à l’étranger
et dont les preuves ne sont que trop peu
nombreuses. Quand donc les artistes com-
prendront-ils que le soin de leur gloire
demande qu’ils vivent et meurent au sein
de la patrie ? Et pour une exception à
cette vérité, que d’exemples la confirment!
De Keyser, toujours debout et vaillant,
DeKeyser qui, nous dit-on, rêve—presque à
l’insu de lui-même!—un pendant à son ma-
gnifique vestibule du Musée, De Kesyer a
exposé un grand portrait de femme d’une
morbidesse exquise. Non, ce n’est pas une
toile peinte à l’emporte-pièce ni avec ces
transports épileptiques de brosse qui peu-
vent avoir leur charme à certains moments
de la vie où la raison et l’imagination sont
sorties de leurs gonds; non, ce n’est ni du
Velasquez, ni du Hais, c’est du de Keyser,
c’est-à-dire, de la grâce, de la rêverie com-
me fond ; de l’élégance et de la correction
comme forme. Cette œuvre est douce, tran-
quille, suave ; une poésie toute féminine
l’inonde, c’est comme une âme qui rayon-
ne là. Il est impossible, pour ceux qui atta-
chent plus de prix à l’impression qu’à l’ex-
pression, de ne pas ressentir devant ce
portrait au maintien calme, noble et doux,
ce frémissement intérieur qui vous prend
devant toute chose pensée.
Le Bantc et les jeunes filles de Florence, du
même, est un sujet contestable comme in-
térêt. La connexité de la sympathie des
jeunes filles avec les sentiments ou l’anxiélé
du Dante, ne se perçoit pas ; elle se devine.
Abstraction faite de la donnée trop minime
peut-être pour une toile de cette importance,
il reste trois jeunes belles filles d’une dé-
sinvolture des plus gracieuses et d’un type
charmant. Deux d’entre elles, surtout sont
de véritables trouvailles et seront, sans au-
cun doute, popularisées par la gravure. La
pensive et mélancolique figure du Dante,
assis sur un banc de pierre et noyé dans
l’ombre, perd un peu de son intérêt par son
effacement même et aussi par le vif attrait
répandu sur les délicieuses créatures qui
viennent de voir sa Béatrix. L’ensemble de
l’œuvre est d’une gamme douce, fondue
dans une teinte d’une lumière ombrée et
transparente ; une élégante harmonie do-
mine cette composition dont le dessin est,
comme toujours, fin, délicat et de la plus
irréprochable correction.
M. Alma Tadema qui a imposé au public
une archéologie parfois fantaisiste et pres-
que toujours de contrebande, est un peintre
habile mais qui n’empoigne pas. Le don de
l’émotion lui manque comme aussi celui de
la composition. Qu’on en juge par son
Claude, salué empereur. Tout ce que l’on
voit de cette composition est un soldat ro-
main, aperçu de dos, saluant le grotesque
époux de Messaline collé tout effaré contre
un mur, derrière un rideau ; à ses pieds
quelques cadavres assez mal entassés; à
gauche, tout contre le bord du cadre, quel-
ques têtes penchées dont les corps sont
rejetés hors du cadre, saluent d’une façon