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Le Journal d'Abou Naddara = Abū Naẓẓāra = The Man with the Glasses = garīdat abī naẓẓāra = The Journal of the Man with the Glasses = Journal Oriental Illustré — Paris, 1888

DOI issue:
Issue 5/6 (05.06.1888)
DOI Page / Citation link: 
https://doi.org/10.11588/diglit.56658#0020
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LE NOUVEL EMPRUNT
Sir Edgar Vincent: Voyons, Nubar, voyons, hâtons-nous ! Il ne
s'agit pas de poser de nouveau à la vache égyptienne un bien gros pis
artificiel, puisqu’il ne s’agit que d'un emprunt tout petit. Cent vingt-
cinq millions, qu’est-ce que c’est que cela ? une misère.
Nubar pacha : Je sais bien, je sais bien ! Mais la difficulté est que
je ne trouve pas d’endroit où poser ce nouveau pis. Regardez ! tous
les pis naturels ont été épuisés par Ismaïl ; et les pis artificiels
nécessités par l’emprunt Rothschild, par l’emprunt garanti, etc., etc.,
ont pris tant de place qu’il n’en reste plus sur toute l’espace du
ventre.
Sir Edgar Vincent, riant : Eh bien ! posez-le lui sur le museau
Sir Evelyn Baring : Et. si le museau résiste, posez-le lui sur la
queue. Les gogos d’Europe n’y regarderont pas de si près, allez !

LA BAIGNADE

Voix de la barque renversée : Ohé ! du canot de l’Etat, vous
nous avez heurtés. Vous êtes des maladroits.
Voix du canot de l’Etat : Ohé ! de la barque, c’est vous, au
contraire, qui ne savez pas tenir une rame et qui êtes venus vous jeter
sur nous en véritables étourneaux.
Voix de la barque renversée : Jè m’appelle sir Edgar Vincent !
Voix du canot de l’Etat : Quand vous vous appelleriez le diable,
je maintiens ce que j’ai dit. C’est vous qui avez fait une fausse
manœuvre. Mais a-t’on jamais vu ces goddem qui, par une mer
démontée, s’obstinent malgré tous les avis, à courir leurs sacrées
régates? Vous avez voulu prendre un bain froid de dix minutes,
messieurs les goddem, et bien, prenez-le.
Sir Edgar Vincent: Comment vous appelez-vous, vous qui osez
me parler ainsi ? .
Voix du canot : Je suis le sous-officier Hamouda, qui ne crains
point votre colère, ne craignant que celle d’Allah.


L EXÉCUTION
Sir Edgard Vincent : Eh, eh ! Hamouda, tu vois que ma colère
est plus proche et plus immédiate que celle d’Allah, car c’est elle qui
t’a fait condamner par tes propres officiers constitués, sur ma de-
mande, en conseil de guerre.
Hamouda . Il est vrai, mais c’est toujours bien votre barquA-qui a
heurté mon canot. Mes officiers l'ont reconnu. Donc, c’est vous le
maladroit, Monsieur le canotier. Pour moi, mon seul crime est de m’être
trouvé sur la route d’un de ces hauts et puissants tyrans britanniques

à qui la maladresse et l’injustice sont à la fois permises. C'était écrit.
Sir Edgar Vincent (furieuse) : Frappez, frappez plus fort..!
Abou Naddara (étendant le bras) : Il est écritégalement, Hamouda,
que pas une goutte de ton sang ne restera inféconde. Ce n’est pas sur
ton dos seulement, c’est sur le dos de tous les patriotes égyptiens que
l’on frappe à cette heure. Mais, que voilà bien l’hypocrisie de l'An-
gleterre dans tout son plein! Elle se vante, aux yeux de l’Europe,
d’avoir supprimé le supplice de la courbache en Egypte, et non seu-
lement elle ne l'y a pas supprimé, mais elle y a introduit le supplice
du chat à neuf queues dont elle use et abuse.

Voici la traduction littérale d’une lettre arabe d’un thaleb à Abou
Naddara :
Caire, le 20 mai 1888.
Noble enfant de la patrie,
Ton écrit fraternel vient verser un baume salutaire sur les
plaies de mon cœur.
Oui, vénérable Cheikh, je souffre cruellement de voir notre
chère Vallée du Nil gémir sous le joug infâme de ces diables
rouges qui nous torturent et nous volent.
Nous n’osons plus invoquer la miséricorde et les bénédictions
d’Allah sur nos frères, ni leur dire en les saluant : « Que lu
paix soit avec vous, ô fidèles croyants. »
La paix ne peut exister là où les Anglais régnent, et la miséri-
corde d’Allah et ses bénédictions ne descendent jamais sur la
tête des enfants d’une contrée où flotte le drapeau maudit de la
Grande-Bretagne.
Qui nous arrachera des griffes de nos oppresseurs ?
Qui nous délivrera des morsures de leurs dents éguisées?
Sa Majesté le Commandeur des fidèles ?
Hélas ! non, Abdul Hamid a, pour nous, le cœur plein de
pitié; mais il a des questions plus graves que la nôtre à
défendre, et c’est l’Angleterre qui les fait surgir.
Un grand derviche de Constantinople m’a juré par le Prophète
qu’un Pacha favori lui a dit que lorsqu’on parle de nos misères
au Sultan, il verse des larmes amères.
Mais les larmes hélas! ne brisent pas de jougs. Il faut des

lances et des cimeterres pour chasser les infidèles qui profanen t
notre sol par leur impureté et ruinent le pays par leurs dépré -
dations.
Et ils osent dire, ces bombardeurs iniques de villes in-
nocentes, qu’ils vinrent en Egypte pour y établir l’ordre et en
civiliser les habitants.
L’ordre peut-il naître du gâchis que les fonctionnaires
anglais introduisent habilement dans l’administration d’un
pays conquis, pour l’exploiter à leur profit?
Faut-il te, parler, ô mon frère, de leur vol manifeste au
port d’Alexandrie et dans nos douanes?
Si un Egyptien, ou un Européen résidant parmi nous, avait
commis de tels méfaits, il serait tombé sous le coup du
Code Pénal.
Mais un noble sujet de la vieille Sultane de la Grande-Bre-
tagne est un homme sacré qui dicte la loi aux autres et
l’étrangle si elle ose lui demander compte de ses actions.
Ecoute et juge :
M. Ruth, sous-contrôleur du port d’Alexandrie, et M. Do-
nald ingénieur attaché au même service, durant cinq ans, se
livrèrent sans crainte, à l’aide de fausses feuilles de paye et de
faux mandats, à des fraudes considérables au préjudice de
l’Etat. .
Eh bien, si Spiro Bacchari, contre-maître du Mex, ne les
avait pas dénoncés publiquement, le gouvernement anglo-
égyptien n’aurait jamais ordonné une enquête.
Cette enquête confirma tout ce que le contre-maître avait
 
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