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Le Journal d'Abou Naddara = Abū Naẓẓāra = The Man with the Glasses = garīdat abī naẓẓāra = The Journal of the Man with the Glasses = Journal Oriental Illustré — Paris, 1905

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Issue 3 (03.1905)
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https://doi.org/10.11588/diglit.56681#0008
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JOURNAL ORIENTAL ILLUSTRÉ

N° 3. — MARS 1905.




Directeur et Rédacteur en chef :
Le Cheikh J. SANÜA ABOD NADDARA
48, rue Richer, PARIS

Abonnements : 1 an. . fr. 10 »
Avec suppléments et
album annuel . . . . fr. 15 »


“L’Abou Naddara’’, “ ÏAttawadod” et l’Almonsef” réunis. — Pour toutes communications et demandes d’abonnements, s’adresser an Directeur du Journal.


UN COUP RATÉ
John Bull (à ses invités). — Que dites-vous de ce temps délicieux?
[1 n’y a que chez nous, dans notre belle Vallée du Nil, qu’on peut
léjeûner en plein air au mois de février. Ciel bleu, brillant soleil et
zéphir embaumé.
Les journalistes. — C’est le printemps en hiver.
John Bull. — Etes-vous contents de votre voyage d'Egypte et du
Soudan ? Des champs fertiles, des jardins fleuris, des villes prospères
et des populations heureuses et robustes.
Le correspondant du « Times ». — Le pays est beau, mais les indi-
gènes ne paraissent pas contents de notre occupation.
Le correspondant du « Standard ». — Je sais assez d’arabe pour
comprendre ce qu’ils disaient à notre passage.
Le correspondant du « Daily News ». — Que disaient-ils ? Je suis
curieux de l’entendre.
«Le Standard ».— « Quand donc le vent furieux du désert balayera-
t-il ces sauterelles rouges qui infestent notre Vallée? » Voilà ce que les
indigènes disaient sur notre passage.
John Bull. — Vous aurez mal compris. Nous sommes très sympa-
thiques aux fils de la Vallée du Nil, et pour vous le prouver, j’ai invité
à déjeûner avec nous un notable égyptien et un émir soudanais qui
parlent bien notre langue.
« Le Times ». — Ail right ! Nous allons donc les interviewer.
« Le Standard ». — Oui; mais sans qu’ils s’en aperçoivent.
«Le Daily News ». — Nous connaîtrons ainsi l’opinion publique.
John Bull (à part). — Je serai si poli et si galant avec l’Egyptien et
le Soudanais qu’ils diront beaucoup de bien des Anglais, mais s’ils en
disent du mal, je donnerai tant à boire à nos journalistes qu’ils ne se
rappelleront plus rien de ce que les indigènes leur auront dit. (Aux
journalistes) Prenez place, Messieurs, c’est midi; mes invités nilotiques
ne tarderont pas à venir. Tiens les voilà! {allant à leur rencontre) Soyez
les bienvenus, nobles Seigneurs !
L’Egyptien. — Nous, nobles Seigneurs? C’est vous qui l’êtes.
Le Soudanais. — Depuis le jour fatal où vous avez envahi notre
pays, nous sommes devenus des esclaves.
John Bull {souriant). — Mais, non; mais, non; vous n’êtes pas nos
esclaves ; vous êtes nos meilleurs amis et je suis fier de vous présenter
à mes chers compatriotes qui aiment votre beau pays et admirent votre
nation.
L’Egyptien (à part au Soudanais). — Ce sont des journalistes qu’il a
invités espérant leur faire entendre l’éloge que nous ferons des Anglais
qui nous exploitent.
Le Soudanais (à part à l’Egyptien). — C’est une belle occasion pour
nous de dire tout ce que nous pensons de nos envahisseurs. Rends
éloquente notre langue, ô Dieu de Mohammed notre Seigneur !
John Bull. — Assayons-nous, Messieurs, et parlons en attendant
qu’on nous apporte les mets exquis et les bons vins que nous allons
savourer ensemble {tous s’asseyent).

John Bull (à l’Egyptien et au Soudanais). — Vous n’avez qu’à vous
louer de nous. Sous vos Khédives, vous n’étiez pas aussi libres, ni aussi
instruits, ni aussi riches que vous l’êtes depuis notre occupation.
L’Egyptien. — Le Khédive Tewfik ne nous opprimait pas ; il nous
instruisait dans les écoles civiles et militaires fondées par le Grand
Mehemet Ali ; il encourageait l’agriculture et le commerce et le pays
prospérait sous son règne. C’est votre Consul général Sir Malet qui l’a
éloigné de nous et de l’armée nationale à la tête de laquelle il se mettait
pour vous combattre.
Le Soudanais. — Et vous êtes aussi la cause des guerres qui ont
ensanglanté toute la Vallée du Nil où plus de quarante mille de nos
frères sont tombés sur les champs de batailles.
« Le Times >. — Et nous avons aussi perdu dans ces guerres plus
de quarante mille de nos frères.
« Le Standard ». — Le présent splendide doit nous faire oublier le
sombre passé.
. « Le Daily News ». — Les âmes de nos héros et des vôtres jouissent
ensemble des joies célestes ; imitons-les et vivons en paix sur la terre.
John Bull. — Et savourons ensemble les mets exquis et les bons
vins qu’on nous sert.
Les journalistes {en chœur). — Oui. Oui (tous mangent et boivent
excepté l’Egyptien et le Soudanais).
John Bull (aux domestiques placés derrière les invités). — Goddem !
Vous dormez, au lieu de chasser les mouches et les guêpes qui nous
ennuient (anx journalistes) Nous voudrions nous débarrasser de ces
insectes gênants.
L’Egyptien. — Et nous voudrions^nous débarrasser des sauterelles
rouges malfaisantes.
John Bull (à part aux journalistes). — C’est nous, les sauterelles
rouges. Ils nous appellent ainsi pour rire.
« Le Times > (à part à John Bull). — Oui; pour rire {ironiquement)
les Egyptiens nous aiment beaucoup.
« Le Standard ». — Les Soudanais nous adorent.
« Le Daily News » {à, part à ses confrères et à John Bull).- Eh bien;
plaisanterie à part ; ils ont raison de nous détester car nous les humilions
en leur disant toujours : « Vous étiez opprimés, ignorants et pauvres,
et c’est grâce à nous que vous êtes aujourd’hui libres, instruits et riches.
John Bull (à part à ses compatriotes). — Non-sense. Vous allez voir
le contraire. {Il offre d’une main un gâteau à l’Egyptien et de l’autre un
verre de champagne au Soudanais en leur disant) Voyons, mes chers
amis ; je vous ai invité avec mes compatriotes à rompre le pain et le
sel de l’amitié; mangez donc et buvez avec nous et soyons frères.
L’Egyptien (repoussant la main de John Bull).— Retirez vos troupes de
la Vallée du Nil et rendez-laà son Souverain national, S. M. I. le Sultan,
et nous vous aimerons comme nous vous aimions avant votre invasion.
Le Soudanais {repoussant l’autre main de John Bull). — Tant qu’il
reste une jaquette rouge sur notre sol sacré, nous vous considérons
nos pires ennemis (ils sortent en laissant John Bull furieux de voir son
coup raté). ' Abov Nabbara.

PARIS. ÎMP. a. LEFEBVRE. 5 * 7, RUF CLAUDE VELLEFAUX,

Tirage justifié : 15.000. — Le Gérant : G. Lsfsbvrb. T. S. V. P.
 
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