LART CLASSIQUE
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sujets antiques (Alexandre ou César) ils insèrent sponta-
nément l’allusion actuelle. Le Roi a la grâce d’Adonis et la
force d'Hercule, ou la cuirasse d’un empereur romain, mais
aussi la perruque de Louis XIV ! Ils transposent autant
l'antiquité dans leur époque que celle-ci dans l’antiquité. En
interprétant l’une par l’autre ils les faussent toutes les
deux, mais c’est précisément cette inexactitude qui fait leur
originalité savoureuse. Aussi tout l’art de l’époque est-il
fortement marqué de cette empreinte historique qu’on
appelle un « style ». Même dans l’œuvre la plus docile aux
formes antiques ou romaines il y a le style Louis XIII ou
Louis XIV. Même en dehors des détails de mode et des
accessoires qui datent, un certain port de tête, une gravité
d'expression, une robustesse générale, un rythme tranquille,
lui donnent l’air du temps. Toute personne un peu avertie
de l’histoire du goût français saura « dater » de très loin non
seulement un portrait, mais des personnages fictifs, une
« fable » du temps de Poussin ou de Le Brun. En chaque
période d’une société vivante il y a une commune manière
d'être, de sentir et de voir, à laquelle nul artiste n’échappe.
Ces dévots du permanent et de l’universel surent donc être
aussi des « contemporains», nés chrétiens et français sous
le règne de Louis Quatorzième du nom.
Et puis l’art classique est tout de même plus large que le
Romantisme (sauf Delacroix) ne l'a cru. Son étroitesse est
surtout dans ses tendances. Il est très certain qu’il préfère
l’homme à la Nature, mais il sait aussi, avec Poussin,
Claude Gellée, Van der Meulen, accueillir largement les
choses. Il préfère la correction et la décence des formes
aux violences de l’âme, qui les déséquilibrent ; mais il sait
aussi, chez Le Sueur ou Ph. de Champaigne, faire sourdre
la vie intérieure. L’ « honnête homme » de ce temps ne sait
guère jouir de ses émotions en silence : tout de suite, il les
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sujets antiques (Alexandre ou César) ils insèrent sponta-
nément l’allusion actuelle. Le Roi a la grâce d’Adonis et la
force d'Hercule, ou la cuirasse d’un empereur romain, mais
aussi la perruque de Louis XIV ! Ils transposent autant
l'antiquité dans leur époque que celle-ci dans l’antiquité. En
interprétant l’une par l’autre ils les faussent toutes les
deux, mais c’est précisément cette inexactitude qui fait leur
originalité savoureuse. Aussi tout l’art de l’époque est-il
fortement marqué de cette empreinte historique qu’on
appelle un « style ». Même dans l’œuvre la plus docile aux
formes antiques ou romaines il y a le style Louis XIII ou
Louis XIV. Même en dehors des détails de mode et des
accessoires qui datent, un certain port de tête, une gravité
d'expression, une robustesse générale, un rythme tranquille,
lui donnent l’air du temps. Toute personne un peu avertie
de l’histoire du goût français saura « dater » de très loin non
seulement un portrait, mais des personnages fictifs, une
« fable » du temps de Poussin ou de Le Brun. En chaque
période d’une société vivante il y a une commune manière
d'être, de sentir et de voir, à laquelle nul artiste n’échappe.
Ces dévots du permanent et de l’universel surent donc être
aussi des « contemporains», nés chrétiens et français sous
le règne de Louis Quatorzième du nom.
Et puis l’art classique est tout de même plus large que le
Romantisme (sauf Delacroix) ne l'a cru. Son étroitesse est
surtout dans ses tendances. Il est très certain qu’il préfère
l’homme à la Nature, mais il sait aussi, avec Poussin,
Claude Gellée, Van der Meulen, accueillir largement les
choses. Il préfère la correction et la décence des formes
aux violences de l’âme, qui les déséquilibrent ; mais il sait
aussi, chez Le Sueur ou Ph. de Champaigne, faire sourdre
la vie intérieure. L’ « honnête homme » de ce temps ne sait
guère jouir de ses émotions en silence : tout de suite, il les