l’actif de MM. Meilhac et Halévy.— Portez si vous voulez,
en échange, Doit-on le dire? au passif de Labiche et Duru.
Recevez, monsieur, l’assurance de notre considération la
plus distinguée.
A. Chivot et Duru.
COUPS DE SIFFLET
M. X..., qui possède une épouse d’un caractère des
plus extraordinaires et fantasques, disait dernièrement
dans un cercle :
— Mes amis, je vous invite demain chez moi, il y aura
grand spectacle.
— Est-ce que vous donnez un bal ?
— Un bal ! Oh! ma foi, non.
— Un dîner ?
— Encore moins.
— Un concert, alors ?
— Ah bien oui !
— A quoi donc nous invitez-vous ?
— Venez toujours, je vous invite à un combat de
bêtes féroces : on pose dix sangsues à ma femme.
Quelqu’un rencontra un petit enfant de cinq ans,
ayant un carton d’écolier pendu au cou par une ficelle.
Il était si petit, avait l’air si innocent, que l’autre ne put
s’empêcher de l’interpeller :
— Hé ! petit, où vas-tu ainsi ?
— A l’école.
— Sais-tu lire ?
— Non.
— Sais-tu écrire ?
— Non plus.
— Que fais-tu donc à l’école ?
— Eh monsieur, j’attends qu’on .sorte.
Un individu prévenu d’escroquerie est traduit devant
la police correctionnelle :
— On dit, monsieur, que je ne vis que d’expédients;
je proteste contre cette allégation, attendu que je vis de
la vente de mes ouvrages.
Croyez-le, monsieur, je ne suis pas un écrivain ordi-
naire, mes ouvrages ont été traduits trois fois en
anglais, deux fois en allemand.
M. le président. — Et six fois en police correction-
nelle.
Un huissier à son clerc :
— As-tu présenté ma note de frais à M. M...?
— Oui, monsieur.
— Qu’a-t-il répondu ?
— Il m’a dit d’aller au diable.
— Et après, qu’as-tu fait ?
— Ma foi, monsieur, je suis venu vous trouver.
Le pauvre G... se marie le lundi et se pend le mardi
suivant.
On ne pouvait comprendre la cause de ce singulier
suicide.
— Parbleu ! répond Alphonse L..., il a voulu essayer
tous les nœuds.
Entendu à une soirée charmante, où nous avons eu
l’honneur d’être invité :
Une jeune femme à un vieux monsieur :
— Je veux absolument valser avec vous.
— Avec moi, chère enfant, mais c’est impossible, il
y a si longtemps que je n’ai valsé !
— N’importe, je valserai pour deux ; voyons, que
préférez-vous, la valse à deux, ou trois temps ?
— Hélas ! madame, la valse n’a qu’un temps !
On demandait à Lafitte ce que c’est qu’une cocotte.
— C’est une femme à qui la fortune vient en ne dor-
mant pas, répondit notre collaborateur.
Il faut que le directeur du Sifflet soit bien riche !...
Il possède non loin du nouvel Opéra, tout entière, une
des plus belles rues de Paris : la rue A. Lévy.
La nuit est venue.
Bébé se plaint à sa petite mère.
— Où souffres-tu ?... A la tête? demande celle-ci.
— Je ne peux pas le dire, répond l’enfant, je n’y vois
pas clair !
Touroude, la veille de la première représentation du
Lâche, n’était pas sans inquiétude.
Il appelait le ban et l’arrière-ban de ses fidèles. Ses
lettres étaient concises.
Il disait simplement :
« Yenez de bonne heure, en cas de malheur. »
Un nouveau bataillon venait d’arriver au camp. Il
faisait le plus beau temps du monde ; aussi les soldats,
une fois la tente dressée, ne se pressaient pas^ de creuser
ce qu’on appelle la rigole de tente, destinée à préserver
de l’humidité le sol intérieur.
Un vieux briscard de sergent interpelle Lartaillou :
— Que vous ne creusez pas de rigole ?
— Il fait si beau, sergent.
LE SIFFLET
— C’est l’ordre.
— Il ne pleuvra pas !...
Colère du sergent.
— Il pleuvra ! s’écrie-t-il, le commandant en a donné
l’ordre !
Comment voulez-vous, après ça, ne pas creuser la
rigole ?
Toujours spirituel, ce bon père Hyacinthe... du Palais-
Royal.
Un de ses amis le rencontrant :
— Comme tu te courbes, mon cher Hyacinthe, tu
commences à baisser la tête.
— Que veux-tu (en mettant son index sur l’orne-
ment le plus saillant de son physique), ce malheureux
appendice suit les lois de la pesanteur, il emporte tout.
M.X..., très mauvaise paye, jouant au billard, fait
un effet rétrograde admirable qui frise le carambolage.
— Véritablement , dit l’un des joueurs, voilà un
effet qui n’est pas payé (terme du jeu de billard).
— Oh ! répond M. X...,j'en ai bien d’autres\..
Maître Pierre et Gros-Jean sont arrêtés en contempla-
tion devant les deux statues qui décorent l’entrée de l’é-
glise du village.
L’une des statues a les mains ouvertes, et les deux
bras, comme les yeux, levés au ciel.
L’autre est dans une pose absolument contraire; les
deux bras sont également ouverts, mais tendus vers le
sol, et la physionomie a l’air assez piteuse.
— Sais-tu, demande Gros-Jean, ce que disent ces
deux saints de pierre ?
— Ma fine, non.
— C’est pourtant pas difficile à comprendre.
Celle qui a les bras en l’air dit : « Mon Dieu, que no-
tre curé est bête ! » Et l’autre lui répond : « Que veux-
tu que j’y fasse ? »
Je ne voudrais pas être commissaire-priseur, j’aurais
peur d’être obligé d’estimer M. Batbie.
Un évêque fort sujet à la colère se faisait servir à table
par ses enfants de chœur.
L’un d’eux s’acquittait si mal de ses fonctions que mon-
seigneur s’écria :
— Ces diables d’enfants de chœur sont des têtes sans
cervelle !
Le moutard, vexé du compliment, s’en va à la cuisine
où trônait, entouré, de persil, une superbe tête de veau
toute prête à être servie.
Il en enlève prestement la cervelle et la mange, quis il
la replace comme si de rien n’était et la porte au prélat.
Etonnement de celui-ci en trouvant le cerveau vide.
— Per Bacco ! s’écrie-t-il, voilà une tête de veau qui
n’a pas de cervelle !
— Ce n’est pas étonnant, monseigneur, répond l’es-
piègle : ce veau était sans doute un enfant de chœur !
LE PÈRE-S1FFLEUR.
PAS DË CHANCE!- •
Bien que je sois tout ce qu’il y a au monde de plus
célibataire, je me figure très bien ce que doivent être les
premiers quartiers de la lune de miel, quand on a eu le
bonheur d’épouser une femme aimable et jolie. Les doux
épanchements, la solitude à deux, les promenades dans
les bois, les rêves d’amour, les espérances de l’avenir.
On se voit déjà père d’un joli poupon frais et rose, à la
figure séraphique, aux yeux bleus comme ceux de
l’épouse aimée.
Tous ces bonheurs-là, toutes ces ivresses, toutes ces
voluptés, Anatole Piédevau les avait savourés pendant
six mois. U avait bu à longs traits à la coupe de l’amour,
mais il ne tarda pas à y rencontrer la lie.
U avait épousé la plus jolie fille de Noisy-le-Mouillé,
—une superbe brune auxyeux pleins d’une inexprimable
morbidesse, au front bien sculpté, à la lèvre rouge et
friande. Un cou plus blanc que le satin, des épaules
marmoréennes, une poitrine aux contours irréprocha-
bles, des hanches bien accusées, des jambes rondes aux
fines attaches, des pieds imperceptibles, il en faut moins
pour vous rendre amoureux fou, — surtout lorsque celle
qui réunit toutes ces perfections s’appelle Dorothée.
Mais un soir, — soir fatal ! — un soir que Dorothée
était dans le négligé le plus appétissant, Anatole, vou-
lant lui prendre un baiser, recula d’étonnement et
s’écria :
— Tiens ! qu’as-tu donc là à l’épaule ?
Et il lui montra l’empreinte d’un bouton sur lequel
était écrit : 39e de ligne.
Dorothée lui répondit sans se déconcerter :
— Tu sais bien que, l’autre jour, en sortant du mu-
sée de Cluny, nous avons été bousculés par la foule. —
C’est sans doute quelque militaire qui m’aura pressée
de trop près...
Anatole crut à cette explication et n’en demanda pas
davantage.
Mais le lendemain, ô stupéfaction!... presque à la
même place, il aperçut l’empreinte d’un autre bouton ;
l’ancien vestige avait disparu : le nouveau permettait de
lire parfaitement : 41e cuirassiers.
H ne dit rien ; — il pensa tout simplement que sa
femme avait été, la veille, bousculée à la sortie de...
l’Ambigu.
(Tous savez, si Anatole n’avait pas été si naïf, il n’au-
rait point fait une pareille supposition, — attendu que
jamais personne n’a été bousculé au théâtre de T Am-
bigu.)
Le surlendemain, à la place du bouton de la veille on
lisait : 51° voltigeurs.
Il ne dit encore rien.
Le quatrième jour, il aperçut distinctement ces mots :
Sapeurs pompiers.
Il se tint encore coi.
Le cinquième jour, il vit, toujours à la même place, la
forme d an bouton où était écrit : Train d’artillerie.
Il imita de Gonrard le silence prudent.
Puis, successivement, l’épaule de sa femme porta les
empreintes suivantes :
Gendarmerie départementale ;
Service des douanes ;
Lycée Condorcet ;
Entreprise de s vidanges ;
La maison n'est pas au coin du quai ;
On ne rend pas l’argent ;
Plus de cors aux pieds.
Anatole Piédevau commençait à être assez étonné. Il
se livrait ainsi à mille conjectures, lorsqu’une lettre ano-
nyme, qui lui fat remise en présence de sa femme, lui
dessilla les yeux.
Il la lut en tremblant, les dents serrées, l’œil en feu,
et la tendit à son épouse :
— Tiens, misérable, lis ! dit-il.
Elle lut cette lettre fatale, se précipita aux genoux de
son mari, et, enlaçant le corps d’Anatole dans ses bras
longs et souples, elle lui avoua tout.
La malheureuse l’avait trompé, en moins de quinze
jours :
Avec un sergent du 39e de ligne ;
Avec un marchichef de cuirassiers ;
Avec un caporal de voltigeurs ;
Avec un sapeur pompier ;
Avec un simple artilleur ;
Avec un gendarme ;
Avec un douanier ;
Avec un collégien ;
Avec un vidangeur ;
Avec un employé du Pont-Neuf ;
Avec un commissionnaire des Deux-Magots ;
Et avec un pédicure.
Anatole, en se sentant enlacé par cette femme si cou-
pable mais si belle, eut peur de céder à un mouvement
de faiblesse et d’être obligé de lui pardonner ensuite.
Il se dégagea de ces étreintes qui l’énervaient et s’en-
fuit de la chambre comme un fou.
Il s’en alla le long du quai, désert à cette heure,
en ruminant l’amère pâture de ses infortunes conju-
gales.
Et, dans son cerveau où s’entrechoquaient mille
pensées vengeresses, il lui semblait entendre une voix
qui lui criait :
— La tues-tu ou ne la tues-tu pas ?
— La tues-tu ou ne la tues-tu pas? se disait-il...
Lui pardonner serait le fait d’un lâche... L’assassiner
serait un supplice trop doux... C’est elle qui a tué mon
bonheur, qui a porté l’infamie dans mon foyer ; c’est à
cause d’elle que je suis semblable au monstre d’Hippo-
lyte :
Mon front large est armé de cornes menaçantes !...
Ah ! j’ai trouvé !... Eurêka !... s’écria-t-il enfin.
Il rentra chez lui, frappa à la porte de Dorothée qui lui
ouvrit en tremblant, et lui dit :
— Madame, demain soir, à huit heures, soyez prête à
sortir avec moi...
Puis il referma la porte et s’alla coucher dans sa
chambre de garçon.
Le lendemain, Dorothée était prête à l’heure ordonnée.
Anatole, abusant des pouvoirs que la loi donne au
mari, eut la cruauté de la conduire aux conférences du
boulevard des Capucines...
Je vous assure que, depuis, Dorothée n’a jamais trompé
son mari. Ils s’aiment comme deux tourtereaux et rou-
coulent du matin au soir et surtout du soir au matin.
Un seul nuage ternit leur félicité :
Le premier-né de Dorothée porte écrit sur le dos : La
mais on n'est pas au coin du quai.
Alphonse Lafitte.
LE CARNAVAL ISRAÉLITE
Il y a environ deux ou trois mille ans, le roi Assuérus,
amoureux d’Esther, accorda à la belle Juive la grâce
de son peuple, persécuté par Amon, un malin pourtant,
mais qui ne se méfiait pas assez de l’influence des jolis
minois sur le sort des nations.
De cette histoire aussi bien agencée qu’un roman de
Gaboriau, il est resté trois choses : un livre qui raconte
les faits, une tragédie de Racine et un bal annuel qui a
lieu, comme par le passé, dans la splendide salle du
Tivoli-Wauxhall, rue de la Douane, 15, près du Châ-
teau d’Eau.
Ce bal est toujours des plus gais et des plus amusants,
d’autant plus qu’il a lieu, presque sans exception, en plein
en échange, Doit-on le dire? au passif de Labiche et Duru.
Recevez, monsieur, l’assurance de notre considération la
plus distinguée.
A. Chivot et Duru.
COUPS DE SIFFLET
M. X..., qui possède une épouse d’un caractère des
plus extraordinaires et fantasques, disait dernièrement
dans un cercle :
— Mes amis, je vous invite demain chez moi, il y aura
grand spectacle.
— Est-ce que vous donnez un bal ?
— Un bal ! Oh! ma foi, non.
— Un dîner ?
— Encore moins.
— Un concert, alors ?
— Ah bien oui !
— A quoi donc nous invitez-vous ?
— Venez toujours, je vous invite à un combat de
bêtes féroces : on pose dix sangsues à ma femme.
Quelqu’un rencontra un petit enfant de cinq ans,
ayant un carton d’écolier pendu au cou par une ficelle.
Il était si petit, avait l’air si innocent, que l’autre ne put
s’empêcher de l’interpeller :
— Hé ! petit, où vas-tu ainsi ?
— A l’école.
— Sais-tu lire ?
— Non.
— Sais-tu écrire ?
— Non plus.
— Que fais-tu donc à l’école ?
— Eh monsieur, j’attends qu’on .sorte.
Un individu prévenu d’escroquerie est traduit devant
la police correctionnelle :
— On dit, monsieur, que je ne vis que d’expédients;
je proteste contre cette allégation, attendu que je vis de
la vente de mes ouvrages.
Croyez-le, monsieur, je ne suis pas un écrivain ordi-
naire, mes ouvrages ont été traduits trois fois en
anglais, deux fois en allemand.
M. le président. — Et six fois en police correction-
nelle.
Un huissier à son clerc :
— As-tu présenté ma note de frais à M. M...?
— Oui, monsieur.
— Qu’a-t-il répondu ?
— Il m’a dit d’aller au diable.
— Et après, qu’as-tu fait ?
— Ma foi, monsieur, je suis venu vous trouver.
Le pauvre G... se marie le lundi et se pend le mardi
suivant.
On ne pouvait comprendre la cause de ce singulier
suicide.
— Parbleu ! répond Alphonse L..., il a voulu essayer
tous les nœuds.
Entendu à une soirée charmante, où nous avons eu
l’honneur d’être invité :
Une jeune femme à un vieux monsieur :
— Je veux absolument valser avec vous.
— Avec moi, chère enfant, mais c’est impossible, il
y a si longtemps que je n’ai valsé !
— N’importe, je valserai pour deux ; voyons, que
préférez-vous, la valse à deux, ou trois temps ?
— Hélas ! madame, la valse n’a qu’un temps !
On demandait à Lafitte ce que c’est qu’une cocotte.
— C’est une femme à qui la fortune vient en ne dor-
mant pas, répondit notre collaborateur.
Il faut que le directeur du Sifflet soit bien riche !...
Il possède non loin du nouvel Opéra, tout entière, une
des plus belles rues de Paris : la rue A. Lévy.
La nuit est venue.
Bébé se plaint à sa petite mère.
— Où souffres-tu ?... A la tête? demande celle-ci.
— Je ne peux pas le dire, répond l’enfant, je n’y vois
pas clair !
Touroude, la veille de la première représentation du
Lâche, n’était pas sans inquiétude.
Il appelait le ban et l’arrière-ban de ses fidèles. Ses
lettres étaient concises.
Il disait simplement :
« Yenez de bonne heure, en cas de malheur. »
Un nouveau bataillon venait d’arriver au camp. Il
faisait le plus beau temps du monde ; aussi les soldats,
une fois la tente dressée, ne se pressaient pas^ de creuser
ce qu’on appelle la rigole de tente, destinée à préserver
de l’humidité le sol intérieur.
Un vieux briscard de sergent interpelle Lartaillou :
— Que vous ne creusez pas de rigole ?
— Il fait si beau, sergent.
LE SIFFLET
— C’est l’ordre.
— Il ne pleuvra pas !...
Colère du sergent.
— Il pleuvra ! s’écrie-t-il, le commandant en a donné
l’ordre !
Comment voulez-vous, après ça, ne pas creuser la
rigole ?
Toujours spirituel, ce bon père Hyacinthe... du Palais-
Royal.
Un de ses amis le rencontrant :
— Comme tu te courbes, mon cher Hyacinthe, tu
commences à baisser la tête.
— Que veux-tu (en mettant son index sur l’orne-
ment le plus saillant de son physique), ce malheureux
appendice suit les lois de la pesanteur, il emporte tout.
M.X..., très mauvaise paye, jouant au billard, fait
un effet rétrograde admirable qui frise le carambolage.
— Véritablement , dit l’un des joueurs, voilà un
effet qui n’est pas payé (terme du jeu de billard).
— Oh ! répond M. X...,j'en ai bien d’autres\..
Maître Pierre et Gros-Jean sont arrêtés en contempla-
tion devant les deux statues qui décorent l’entrée de l’é-
glise du village.
L’une des statues a les mains ouvertes, et les deux
bras, comme les yeux, levés au ciel.
L’autre est dans une pose absolument contraire; les
deux bras sont également ouverts, mais tendus vers le
sol, et la physionomie a l’air assez piteuse.
— Sais-tu, demande Gros-Jean, ce que disent ces
deux saints de pierre ?
— Ma fine, non.
— C’est pourtant pas difficile à comprendre.
Celle qui a les bras en l’air dit : « Mon Dieu, que no-
tre curé est bête ! » Et l’autre lui répond : « Que veux-
tu que j’y fasse ? »
Je ne voudrais pas être commissaire-priseur, j’aurais
peur d’être obligé d’estimer M. Batbie.
Un évêque fort sujet à la colère se faisait servir à table
par ses enfants de chœur.
L’un d’eux s’acquittait si mal de ses fonctions que mon-
seigneur s’écria :
— Ces diables d’enfants de chœur sont des têtes sans
cervelle !
Le moutard, vexé du compliment, s’en va à la cuisine
où trônait, entouré, de persil, une superbe tête de veau
toute prête à être servie.
Il en enlève prestement la cervelle et la mange, quis il
la replace comme si de rien n’était et la porte au prélat.
Etonnement de celui-ci en trouvant le cerveau vide.
— Per Bacco ! s’écrie-t-il, voilà une tête de veau qui
n’a pas de cervelle !
— Ce n’est pas étonnant, monseigneur, répond l’es-
piègle : ce veau était sans doute un enfant de chœur !
LE PÈRE-S1FFLEUR.
PAS DË CHANCE!- •
Bien que je sois tout ce qu’il y a au monde de plus
célibataire, je me figure très bien ce que doivent être les
premiers quartiers de la lune de miel, quand on a eu le
bonheur d’épouser une femme aimable et jolie. Les doux
épanchements, la solitude à deux, les promenades dans
les bois, les rêves d’amour, les espérances de l’avenir.
On se voit déjà père d’un joli poupon frais et rose, à la
figure séraphique, aux yeux bleus comme ceux de
l’épouse aimée.
Tous ces bonheurs-là, toutes ces ivresses, toutes ces
voluptés, Anatole Piédevau les avait savourés pendant
six mois. U avait bu à longs traits à la coupe de l’amour,
mais il ne tarda pas à y rencontrer la lie.
U avait épousé la plus jolie fille de Noisy-le-Mouillé,
—une superbe brune auxyeux pleins d’une inexprimable
morbidesse, au front bien sculpté, à la lèvre rouge et
friande. Un cou plus blanc que le satin, des épaules
marmoréennes, une poitrine aux contours irréprocha-
bles, des hanches bien accusées, des jambes rondes aux
fines attaches, des pieds imperceptibles, il en faut moins
pour vous rendre amoureux fou, — surtout lorsque celle
qui réunit toutes ces perfections s’appelle Dorothée.
Mais un soir, — soir fatal ! — un soir que Dorothée
était dans le négligé le plus appétissant, Anatole, vou-
lant lui prendre un baiser, recula d’étonnement et
s’écria :
— Tiens ! qu’as-tu donc là à l’épaule ?
Et il lui montra l’empreinte d’un bouton sur lequel
était écrit : 39e de ligne.
Dorothée lui répondit sans se déconcerter :
— Tu sais bien que, l’autre jour, en sortant du mu-
sée de Cluny, nous avons été bousculés par la foule. —
C’est sans doute quelque militaire qui m’aura pressée
de trop près...
Anatole crut à cette explication et n’en demanda pas
davantage.
Mais le lendemain, ô stupéfaction!... presque à la
même place, il aperçut l’empreinte d’un autre bouton ;
l’ancien vestige avait disparu : le nouveau permettait de
lire parfaitement : 41e cuirassiers.
H ne dit rien ; — il pensa tout simplement que sa
femme avait été, la veille, bousculée à la sortie de...
l’Ambigu.
(Tous savez, si Anatole n’avait pas été si naïf, il n’au-
rait point fait une pareille supposition, — attendu que
jamais personne n’a été bousculé au théâtre de T Am-
bigu.)
Le surlendemain, à la place du bouton de la veille on
lisait : 51° voltigeurs.
Il ne dit encore rien.
Le quatrième jour, il aperçut distinctement ces mots :
Sapeurs pompiers.
Il se tint encore coi.
Le cinquième jour, il vit, toujours à la même place, la
forme d an bouton où était écrit : Train d’artillerie.
Il imita de Gonrard le silence prudent.
Puis, successivement, l’épaule de sa femme porta les
empreintes suivantes :
Gendarmerie départementale ;
Service des douanes ;
Lycée Condorcet ;
Entreprise de s vidanges ;
La maison n'est pas au coin du quai ;
On ne rend pas l’argent ;
Plus de cors aux pieds.
Anatole Piédevau commençait à être assez étonné. Il
se livrait ainsi à mille conjectures, lorsqu’une lettre ano-
nyme, qui lui fat remise en présence de sa femme, lui
dessilla les yeux.
Il la lut en tremblant, les dents serrées, l’œil en feu,
et la tendit à son épouse :
— Tiens, misérable, lis ! dit-il.
Elle lut cette lettre fatale, se précipita aux genoux de
son mari, et, enlaçant le corps d’Anatole dans ses bras
longs et souples, elle lui avoua tout.
La malheureuse l’avait trompé, en moins de quinze
jours :
Avec un sergent du 39e de ligne ;
Avec un marchichef de cuirassiers ;
Avec un caporal de voltigeurs ;
Avec un sapeur pompier ;
Avec un simple artilleur ;
Avec un gendarme ;
Avec un douanier ;
Avec un collégien ;
Avec un vidangeur ;
Avec un employé du Pont-Neuf ;
Avec un commissionnaire des Deux-Magots ;
Et avec un pédicure.
Anatole, en se sentant enlacé par cette femme si cou-
pable mais si belle, eut peur de céder à un mouvement
de faiblesse et d’être obligé de lui pardonner ensuite.
Il se dégagea de ces étreintes qui l’énervaient et s’en-
fuit de la chambre comme un fou.
Il s’en alla le long du quai, désert à cette heure,
en ruminant l’amère pâture de ses infortunes conju-
gales.
Et, dans son cerveau où s’entrechoquaient mille
pensées vengeresses, il lui semblait entendre une voix
qui lui criait :
— La tues-tu ou ne la tues-tu pas ?
— La tues-tu ou ne la tues-tu pas? se disait-il...
Lui pardonner serait le fait d’un lâche... L’assassiner
serait un supplice trop doux... C’est elle qui a tué mon
bonheur, qui a porté l’infamie dans mon foyer ; c’est à
cause d’elle que je suis semblable au monstre d’Hippo-
lyte :
Mon front large est armé de cornes menaçantes !...
Ah ! j’ai trouvé !... Eurêka !... s’écria-t-il enfin.
Il rentra chez lui, frappa à la porte de Dorothée qui lui
ouvrit en tremblant, et lui dit :
— Madame, demain soir, à huit heures, soyez prête à
sortir avec moi...
Puis il referma la porte et s’alla coucher dans sa
chambre de garçon.
Le lendemain, Dorothée était prête à l’heure ordonnée.
Anatole, abusant des pouvoirs que la loi donne au
mari, eut la cruauté de la conduire aux conférences du
boulevard des Capucines...
Je vous assure que, depuis, Dorothée n’a jamais trompé
son mari. Ils s’aiment comme deux tourtereaux et rou-
coulent du matin au soir et surtout du soir au matin.
Un seul nuage ternit leur félicité :
Le premier-né de Dorothée porte écrit sur le dos : La
mais on n'est pas au coin du quai.
Alphonse Lafitte.
LE CARNAVAL ISRAÉLITE
Il y a environ deux ou trois mille ans, le roi Assuérus,
amoureux d’Esther, accorda à la belle Juive la grâce
de son peuple, persécuté par Amon, un malin pourtant,
mais qui ne se méfiait pas assez de l’influence des jolis
minois sur le sort des nations.
De cette histoire aussi bien agencée qu’un roman de
Gaboriau, il est resté trois choses : un livre qui raconte
les faits, une tragédie de Racine et un bal annuel qui a
lieu, comme par le passé, dans la splendide salle du
Tivoli-Wauxhall, rue de la Douane, 15, près du Châ-
teau d’Eau.
Ce bal est toujours des plus gais et des plus amusants,
d’autant plus qu’il a lieu, presque sans exception, en plein