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L' Exposition de Paris (1900) (Band 3) — Paris, 1900

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https://doi.org/10.11588/diglit.1810#0009
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ENCYCLOPÉDIE DU SIÈCLE.

FIGURES QUI PASSENT

M. ALFRED PICARD

M. Alfred Picard est un exemple achevé des
caprices et des apparentes contradictions de la
nature.

Nul mortel ne ressembla moins à son phy-
sique. Il a la taille et les bras et les jambes et le
nez de don Quichotte, sa moustache héroïque et
attristée, son torse osseux, et, comme lui, un
certain aspect désolé répandu dans sa personne.
Mais sous ce crâne étrangement bossue, pas un
hanneton ne bourdonne. L'ingénieux hidalgo
Alfred Picard est doué d'une raison merveilleu-
sement lucide ; tout désordre est exclu des cases
de son cerveau que meublent des connaissances
précises; l'équilibre et l'harmonie régnent entre
elles. Cet homme a toujours eu du guùt pour les
choses graves. Il est mathématicien, ingénieur,
économiste, administrateur, juriste; il a con-
struit des ponts, exploré des mines, et dressé des
statistiques; il a dirigé les discussions du Conseil
d'État, régenté les chemins de fer; —■ et, finale-
ment, il organise une Exposition universelle.

Un tel bagage ne va pas sans imposer quelque
respect aux profanes. M. le Commissaire Général
les confirme d'abord dans ce sentiment. Sa cour-
loisie est empreinte de réserve. Il parle avec
aisance et limpidité, d'une voix nette et presque
sans timbre. Il use de mots très simples pour
exprimer des idées très claires.

Son extrême correction, sa science impertur-
bable vous intimident. Cependant, observez-le,

et vous serez frappé de l'expression de ses yeux,
tour .'i tour pleins d'énergie, d'ironie discrète et
de bonté. En lui, tout est contraste. Je vous dis
qu'il y a des heures où ce savant est très gai —

Et sa tête de Lorrain est dure comme le roc
des montagnes. Quand il a pris une résolution,
après l'avoir méditée, il s'y tient obstinément.
Il oppose une résistance inflexible aux influences
qui la voudraient ébranler. Sa vie se résume en
trois mots : labeur, patience, régularité. Elle
pourrait être offerte en modèle aux enfants sages.

Il entre à l'Ecole polytechnique ; il en sort
brillamment, il passe par l'École des ponts et
chaussées. Il est expédié à Metz, dans son pays.
Il voisine, avant 1870, avec les officiers prus-
siens, et se convainc de la supériorité de leurs
vertus militaires: il en éprouve une inquiétude
qu'il communique à ses jeunes camarades, lieu-
tenants et capitaines d'artillerie. Mais ceux-ci ne
partagent point ces appréhensions, que l'événe-
ment — trop tôt, hélas! —justifie.... La guerre
éclate. M. Alfred Picard, enfermé dans la cita-
delle, y endure les souffrances du siège. Il
s'efforce au moins de se dérober aux consé-
quences de la capitulation. Il redoute la capti-
vité à Mayence ou à Coblentz, et, d'autre part, il
lui répugne de s'engager par serment à ne plus
porter les armes contre l'ennemi. Il rêve de
reconquérir sa liberté. Mais par quel expédient?
Celui dont il s'avise est fort original. Comme il
traîne mélancoliquement son sabre sur le pavé
de Metz, il aperçoit, dans la glace à demi brisée

La Porte monumentale. — La frise des ouvriers (Fragment).

d'un magasin, une figure blême et lugubre, tor-
turée par trois mois de disette et de décourage-
ment.

« J'ai la mine d'un moribond », songe-t-il.
Il court chez un major de ses amis :
« Vous allez déclarer que je suis tuberculeux
au dernier degré et qu'il y a urgence à m'envoyer
mourir dans ma famille ».

Ainsi fut fait. Le major consentit à charger sa
conscience d'un pieux mensonge; la débilité
d'Alfred Picard le rendait si vraisemblable, que
les médecins allemands n'en eurent aucun soup-
çon. Le faux poitrinaire défila sous leurs yeux
apitoyés; il gagna la Suisse, rejoignit par un
détour les troupes de la Loire, et s'y engagea
jusqu'à la fin des hostilités.

La paix conclue, Alfred Picard avait hâte de
rallier sa bonne ville de Metz. Comme la circu-
lation des trains n'était pas rétablie, il partit, sa
valise sur l'épaule, et franchit d'une traite les
80 kilomètres qui séparent Paris de Meaux. Ce
n'était vraiment pas mal pour un valétudinaire !
Heureux les maigres! ils ont des âmes romaines
et des jarrels de facteurs ruraux. Étonnez-vous
si le royaume terrestre leur appartient!

Dès lors, M. Alfred Picard poursuit norma-
lement sa carrière; il brûle les étapes. Il occupe
en province des postes éminents; on lui confie
une direction technique au ministère des travaux
publics. A l'issue de l'Exposition de 1889, il
assume la charge de liquider cette entreprise.
En moins de deux années, l'opération s'achève
sans bruit, sans secousse, par l'impulsion d'une
acliviié continue et réfléchie.

Un matin de l'été
1892, le ministre, >
M. Jules Roche,
lui transmet la ré-
solution du Con-
seil. L'Allemagne
a la velléité de pré-
parer pour 1900
une Exposilion : la
France prendra les
devants et retiendra
cette date.

— Il est dix heu-
res. Pouvez-vous
nous présenter à
deux heures un pre-
mier projet?

Cejour-là, M. Al-
fred Picard oublia
de d éj e u n e r. A
l'heure dite, il ap-
portait son papier
au président du
Conseil. Le lende-
main, le décret pa-
raissait à {'Officiel.
Et, de la sorte, fut
arrêtée, clans un
élan d'ardeur pa-
triotique, la colos-
sale manifestation
qui devait être l'a-
pothéose indus-
trielle et commer-
ciale du siècle.
M. Picard achevait
d'apurer les comp-
tes de 1889, et voilà
qu'il lui fallait ou-
vrir d'autres comp-
tes, infiniment plus
vastes et compli-
qués. Enfin, il avait
à recueillir une par-
tie de la succession
d'Alphand, de qui
l'autorité et l'expé-
rience lui seraient
éternellement op-
 
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