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L' art: revue hebdomadaire illustrée — 1.1875 (Teil 2)

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Genevay, Antoine: A. L. Barye, [2]: 1796-1875
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https://doi.org/10.11588/diglit.16675#0433

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394 L'ART.

yeux scrutateurs, le faciès large sans être lourd, le bas du visage plein d'une volonté tenace, le
front haut, et les cheveux clair-semés. Par ses vêtements, par leur ampleur et leur propreté, autant
que par son attitude, il ressemblait à un homme de la Gentrv anglaise. Il ne parlait jamais des œuvres
de ses confrères, rarement des siennes; prenait peu de distractions; son plaisir le plus vif était cer-
tains dîners du vendredi où il se trouvait avec quelques artistes, Français, Chenavard et d'autres
peintres; il ne fréquentait guère les sculpteurs. Lui aussi avait son pied à terre à Barbizon, il était
fort lié avec Millet; de tout son cœur il admirait Corot, qui tous deux le précédèrent dans la tombe.

Officier de la Légion d'honneur, membre de l'Institut, membre du jury de l'Exposition universelle
de Paris et de celle de Londres, nommé par les artistes en première ligne, professeur au Jardin des
plantes, ces honneurs n'avaient point altéré sa simplicité. Marié deux fois, de sa première union
naquirent deux filles qu'il perdit, il les a peintes dans deux aquarelles célèbres; de son second mariage
il laisse huit enfants et une veuve fière du nom qu'elle porte. Après avoir passé des jours longs et
difficiles, il meurt sans fortune, l'argent n'ayant jamais été le but de sa vie. Sa probité était haute et
fière; un de nos fabricants de bronze les plus renommés, son ami, lui demanda, il y a quelques années,
une vaste coupe autour de laquelle devait courir le combat des Centaures et des Lapithes. Cette
œuvre, pour laquelle on ne discutait pas le prix, lui plaisait beaucoup, l'attirait; après de doulou-
reuses hésitations, il refusa de l'entreprendre : « Je n'aurais pas, dit-il, le temps de la terminer, et
ce manque de parole vous causerait un préjudice. » Rien ne put le faire revenir sur une décision que
lui dictait l'honnêteté de son cœur.

Nous étions tourmentés par le désir de savoir s'il s'était éteint avec la conviction de sa valeur,
car rien ne nous semble plus triste que le sort d'un grand artiste expirant sans avoir la conscience de
sa gloire. Une anecdote est venue nous rassurer. 11 était déjà malade de l'affection de cœur qui devait
l'enlever. Mme Barye allait, venait autour du fauteuil sur lequel il se tenait le front courbé; elle
époussetait les bronzes garnissant l'appartement, et autant dans la pensée de distraire son mari que
par toute autre raison : « Mon ami, lui dit-elle, quand tu te porteras bien, tu devrais veiller à ce que
la signature de tes œuvres fût plus lisible. » — Après un instant de silence, relevant un peu sa tête
penchée, il répondit : « Sois tranquille, dans vingt ans on la cherchera à la loupe. » — Barye savait
qu'il était de ceux qui ne meurent point. Sa renommée n'a pas vingt ans à attendre, on le verra au
prix qu'atteindront, si on les met en vente, les deux cent cinquante modèles, les quarante-huit
aquarelles et les soixante-quinze études peintes à l'huile qu'il laisse à ses héritiers.

On lui avait caché la mort de Corot. Il cessa de souffrir le 25 juin à neuf heures du soir.
Des artistes se sont présentés à sa famille pour la prier de permettre que les arts reconnaissants
décorent son tombeau. Une souscription ouverte aujourd'hui, demain serait remplie. Que la veuve et
les orphelins daignent se souvenir que Barye est une de nos gloires, et que la France, elle aussi, a
un pieux devoir à remplir. Qu'ils nous permettent de nous associer à leur douleur, et qu'en attendant
ils autorisent l'exposition des œuvres d'un homme dont le génie a honoré son temps et son pays.

A. Genevay.
 
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