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L' art: revue hebdomadaire illustrée — 2.1876 (Teil 4)

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Gindriez, Charles: Galeria Victor Emmanuel à Milan
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https://doi.org/10.11588/diglit.16692#0155
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136 L'ART.

complet de ses besoins les plus compliqués, de ses désirs les plus délicats, de ses fantaisies les plus
recherchées ; enfin elle réunit à une distance de quelques mètres, et par un passage couvert, les deux
pôles de la vie moderne : l'église et le théâtre. Si le théâtre est presque un péché, l'absolution est
presque à la porte; impossible de trouver un chemin plus charmant de la faute au pardon. Voilà bien
la piété désossée que notre siècle réclame, celle qui convient à des consciences si friandes et à des
poitrines si délicates! Décidément nos ingénieurs sont bien habiles ; ils ont jeté un pont entre le diable
et le bon Dieu. Toutes ces fines bottines qui, le soir venu, foulent si confortablement les mosaïques de
la galerie, dans le resplendissement du gaz, sous les transparences étoilées de la charpente vitrée, ne
devraient pas tant médire de ce pauvre progrès ; c'est grâce à lui qu'on peut marcher les pieds secs et
sans crainte des averses dans cette triste vallée de larmes, et n'est-ce pas gentil, cette attention d'avoir
épierré la vieille route, et posé quelques réverbères sur le chemin du ciel ?

A la suite de deux concours la compagnie eut le bonheur de trouver dans M. J. Mengoni, archi-
tecte à Bologne, un artiste facile, élégant et mondain qui mit au service de l'œuvre son architecture
accommodante ou internationale. La première pierre fut posée solennellement le 7 mars 1865. L'enfant
lancé à travers les difficultés de la vie, dans les écueils des devis grossissants et des dépenses impré-
vues trouva à point, comme Moïse, des mains royales pour le recevoir sur ce nouveau Nil, non moins
célèbre que l'autre par ses débordements. L'empereur d'Allemagne arrivait à Milan, et la galerie eut
un rôle important, sinon principal, dans les célèbres fêtes. Naturellement M. Mengoni en fut l'ordon-
nateur général. Nuit et jour, à la clarté du soleil et des torches, le jeune dieu environné de nuages de
poussière abattit les ignobles masures qui déshonoraient la place du Dôme. Elle s'offrit à jour fixe,
nettoyée, endimanchée, toute rose des jolis palais que l'architecte avait élevés autour d'elle ; et des
fenêtres du palais royal l'empereur put contempler dans les portes triomphantes de la nouvelle galerie
des arcs qui n'avaient pas été précisément dressés, mais qu'on faisait chanter, en l'honneur des vic-
toires allemandes.

Dieu ! que de monde, de bruit, de musique, de poussière, et surtout que de becs de gaz ! Leur
nombre donne, comme on sait, la mesure juste du bonheur des peuples; mais, hélas! les illuminations
s'éteignent, et les mémoires sont les tristes phénix qui naissent et qui renaissent de leurs cendres.
Dans cette occasion le compteur marqua une trop grande joie, c'est pourquoi la municipalité
manifesta quelque souci. Les souverains qui ne payent pas ces notes, ignorent peut-être ce que coûte
la reconnaissance des peuples ; mais ils sont payés pour savoir ce qu'elle vaut. L'empereur surtout
ne pouvait l'ignorer, lui qui, arrivé par la ligne de Vérone, avait traversé le champ de bataille de
Magenta. Qui sait si l'ombre triste et vengeresse ne l'a pas poursuivi jusqu'à Milan, et voilé d'un doute
mélancolique les brillantes illuminations de ses fêtes ?

L'architecte reçut, au sein même de son œuvre rayonnante et transfigurée par un éclairage
d'apothéose, les compliments royaux et impériaux; et il les méritait bien. Tout le monde n'a pas
le bonheur de M. Mengoni, et ces mains privilégiées qui sèment des mosaïques sous nos pieds, des
glaces sous nos yeux, des statues et des marbres sur nos têtes, et accrochent aux clous des charpentes
le ciel d'Italie pour plafond. Cette architecture est fraîche, appétissante, aimable, insouciante, et elle
rit ; elle est heureuse de sa robe neuve et brillante, et elle rit ; que peut-on exiger de plus ? Si on lui
demandait davantage elle ne comprendrait guère, et rirait encore, comme ces belles filles qui ne com-
prennent pas. J'aurais donc mauvaise grâce à ne pas savoir gré à M. Mengoni du plaisir qu'il m'a si
souvent donné comme promeneur. Pourquoi ne puis-je pas dire avec le Dante : « Nonragionam di lor,
ma guarda e passa? » Mais comme architecte je ne puis admirer sans réserve ces grâces légères qu'il
déploie en s'élançant à la surface d'un art où il glisse trop, sans appuyer.

Dans cette galerie si largement percée aux extrémités et, grâce à la légèreté voulue de la char-
pente en fer, béante en haut de toute largeur, l'œil ne trouve pas le repos qu'il espérait ; c'est une
déception de rêver un abri et un refuge, et de tomber dans une rue vitrée. Nous ne disons pas que
l'œuvre est trop ouverte, elle ne saurait trop l'être en réalité ; mais elle a l'air d'être trop ouverte, et
comme elle est à l'échelle des maisons et des rues voisines, on s'aperçoit à peine qu'on a quitté la voie
publique pour entrer dans un édifice. Nous ne sommes ni des Romains, ni des Grecs, et nous ne con-
cevons nos édifices que fermés. Au lieu de jeter brutalement la charpente enfer comme un vélum sur
 
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