LA SOCIÉTÉ ARTISTIQUE « L'UNION »
On sait combien les artistes ont de peine à se soumettre à
une action commune, et quels sont pour eux les inconvénients
de cette disposition morale. Il leur serait facile, en s'unissant,
d'assurer leur indépendance vis-à-vis des marchands, vis-à-vis
de l'État et même vis-à-vis de l'Académie. Les conséquences de
cette entente pourraient être très-fructueuses pour l'art, car il
est bien manifeste que l'une des causes principales de l'abaisse-
ment auquel il semble condamné depuis assez longtemps est
précisément l'impossibilité où les place cet isolement de suivre
leur voie propre et de travailler d'après leur sentiment particulier.
A l'école il faut suivre les préceptes et les exemples du maître,
et après la sortie, il faut plaire au jury, qui représente encore
l'esprit de l'école.
Une association nombreuse et puissante parerait à ces incon-
vénients en offrant à tous les moyens de se faire connaître du
public, sans passer par les fourches caudines de l'adoption offi-
cielle.
C'est ce qu'a compris un groupe assez considérable d'artistes,
qui viennent de s'associer sous le nom de l'Union.
Cette société, fondée le 18 août 1878, est anonyme et à
capital variable. Elle ne représente aucune école. C'est là un
caractère qu'elle fera bien de maintenir avec la plus extrême
sévérité si elle veut réussir. Il ne s'agit pas ici de prôner une
doctrine ni d'arborer un drapeau, si ce n'est celui de la liberté
la plus absolue. Il ne doit y avoir ni jury ni exclusion. La
variété qui en résultera sera un attrait de plus pour les visiteurs.
Les associés n'oublieront pas, nous l'espérons, que le but unique
de V Union est de protéger les intérêts industriels de ses adhé-
rents, de sauvegarder leur indépendance, en leur offrant le
moyen de tirer de leur travail le meilleur parti possible. C'est
par là seulement qu'elle réussira à les soustraire et à la tutelle
administrative et à l'exploitation des marchands.
Le moyen d'arriver à ce résultat, c'est l'organisation d'expo-
sitions permanentes, quand la société pourra avoir un local à
elle. Le groupe qui vient de fonder l'Union est le même qui
il y a plusieurs mois avait organisé au Gjrand-Hôtel une
exposition qui a fait un certain bruit. Il avait paru se confondre
un peu dans le principe avec les impressionnistes. Mais
dès 1877 cet élément s'en était presque entièrement séparé pour
faire une exposition à part, exposition de doctrine, comme on
se rappelle, et qui n'a rien de commun avec celle dont il s'agit
ici. L'exposition du Grand-Hôtel, en 1877, comptait 185 œuvres
dues à 40 artistes. A l'exposition de la rue de Lancry, on en
compte plus de 250, et le nombre des artistes qui y prennent
part est de 50. Malheureusement le quartier est bien excentrique
et la salle assez mal disposée. L'exposition sera permanente,
quand la société aura un local à elle. En attendant on en fera le
plus souvent possible.
Les commencements ont été modestes ; le fonds social, au
début, était de 1,400 francs, représenté par 28 actions de 50 francs,
souscrites par 19 sociétaires. Les membres du conseil d'adminis-
tration doivent souscrire deux actions. Les sociétaires peuvent
verser leur cotisation par dixièmes, de mois en mois. On admet
des membres honoraires qui doivent comme les sociétaires sous-
crire une action de 50 francs. Ils ne participent pas aux béné-
fices ; dans les assemblées générales, ils n'ont que voix consulta-
tive, excepté quand ils auront été élus membres du conseil
d'administration et de la commission de contrôle, lesquels seront
renouvelés chaque année, sauf réélection. Les actions sont inces-
sibles et insaisissables. L'assemblée générale se réunira tous les
trois mois. Chaque associé n'a qu'une voix et nul ne peut se faire
représenter. Pour le surplus, nous ne pouvons que renvoyer aux
statuts. Pour faire partie de la société il faut adresser une
demande à l'un des membres du conseil d'administration, ou à
M. Meyer, trésorier, 57, rue de Dunkerque.
Au 1e1' juin 1878 le nombre des sociétaires était de 63.
Il ne nous reste plus qu'à adresser nos sincères félicitations
aux promoteurs de cette association et à faire des vœux pour
qu'ils trouvent beaucoup d'adhérents. Le jour où ils pourront
faire construire un bâtiment bien disposé pour des expositions
permanentes de tableaux, au centre de Paris, ce jour-là ils auront
rendu un grand service à l'art. Mais les artistes ont toujours été
tellement rebelles à toute idée de ce genre, que nous avons bien
de la peine à croire au succès. Il faudrait, pour attirer à ces
expositions des visiteurs nombreux, que les peintres connus ne
dédaignassent pas d'y envoyer leurs œuvres, et c'est justement là
ce qu'il est difficile d'obtenir. Une fois connus, ils ont une
clientèle toute faite ; ils vendent directement aux amateurs qui
les recherchent ou ils imposent leurs prix aux marchands qui
exploitent les autres. Il en résulte que le plus souvent ceux qui
y envoient leurs œuvres sont précisément ceux dont le nom
manque d'attraction. C'est un cercle vicieux ; et il n'est pas facile
de voir comment on en sortira, tant qu'un esprit un peu élevé
de solidarité ne remplacera pas les habitudes d'isolement égoïste
qui jusqu'à ce jour semblent prévaloir dans le monde des arts.
Espérons qu'il finira par se trouver quelqu'un pour donner
l'exemple.
Eugène Véron.
Cul-de-lampe composé par Bachelier, gravé par P. P. Choffard.
On sait combien les artistes ont de peine à se soumettre à
une action commune, et quels sont pour eux les inconvénients
de cette disposition morale. Il leur serait facile, en s'unissant,
d'assurer leur indépendance vis-à-vis des marchands, vis-à-vis
de l'État et même vis-à-vis de l'Académie. Les conséquences de
cette entente pourraient être très-fructueuses pour l'art, car il
est bien manifeste que l'une des causes principales de l'abaisse-
ment auquel il semble condamné depuis assez longtemps est
précisément l'impossibilité où les place cet isolement de suivre
leur voie propre et de travailler d'après leur sentiment particulier.
A l'école il faut suivre les préceptes et les exemples du maître,
et après la sortie, il faut plaire au jury, qui représente encore
l'esprit de l'école.
Une association nombreuse et puissante parerait à ces incon-
vénients en offrant à tous les moyens de se faire connaître du
public, sans passer par les fourches caudines de l'adoption offi-
cielle.
C'est ce qu'a compris un groupe assez considérable d'artistes,
qui viennent de s'associer sous le nom de l'Union.
Cette société, fondée le 18 août 1878, est anonyme et à
capital variable. Elle ne représente aucune école. C'est là un
caractère qu'elle fera bien de maintenir avec la plus extrême
sévérité si elle veut réussir. Il ne s'agit pas ici de prôner une
doctrine ni d'arborer un drapeau, si ce n'est celui de la liberté
la plus absolue. Il ne doit y avoir ni jury ni exclusion. La
variété qui en résultera sera un attrait de plus pour les visiteurs.
Les associés n'oublieront pas, nous l'espérons, que le but unique
de V Union est de protéger les intérêts industriels de ses adhé-
rents, de sauvegarder leur indépendance, en leur offrant le
moyen de tirer de leur travail le meilleur parti possible. C'est
par là seulement qu'elle réussira à les soustraire et à la tutelle
administrative et à l'exploitation des marchands.
Le moyen d'arriver à ce résultat, c'est l'organisation d'expo-
sitions permanentes, quand la société pourra avoir un local à
elle. Le groupe qui vient de fonder l'Union est le même qui
il y a plusieurs mois avait organisé au Gjrand-Hôtel une
exposition qui a fait un certain bruit. Il avait paru se confondre
un peu dans le principe avec les impressionnistes. Mais
dès 1877 cet élément s'en était presque entièrement séparé pour
faire une exposition à part, exposition de doctrine, comme on
se rappelle, et qui n'a rien de commun avec celle dont il s'agit
ici. L'exposition du Grand-Hôtel, en 1877, comptait 185 œuvres
dues à 40 artistes. A l'exposition de la rue de Lancry, on en
compte plus de 250, et le nombre des artistes qui y prennent
part est de 50. Malheureusement le quartier est bien excentrique
et la salle assez mal disposée. L'exposition sera permanente,
quand la société aura un local à elle. En attendant on en fera le
plus souvent possible.
Les commencements ont été modestes ; le fonds social, au
début, était de 1,400 francs, représenté par 28 actions de 50 francs,
souscrites par 19 sociétaires. Les membres du conseil d'adminis-
tration doivent souscrire deux actions. Les sociétaires peuvent
verser leur cotisation par dixièmes, de mois en mois. On admet
des membres honoraires qui doivent comme les sociétaires sous-
crire une action de 50 francs. Ils ne participent pas aux béné-
fices ; dans les assemblées générales, ils n'ont que voix consulta-
tive, excepté quand ils auront été élus membres du conseil
d'administration et de la commission de contrôle, lesquels seront
renouvelés chaque année, sauf réélection. Les actions sont inces-
sibles et insaisissables. L'assemblée générale se réunira tous les
trois mois. Chaque associé n'a qu'une voix et nul ne peut se faire
représenter. Pour le surplus, nous ne pouvons que renvoyer aux
statuts. Pour faire partie de la société il faut adresser une
demande à l'un des membres du conseil d'administration, ou à
M. Meyer, trésorier, 57, rue de Dunkerque.
Au 1e1' juin 1878 le nombre des sociétaires était de 63.
Il ne nous reste plus qu'à adresser nos sincères félicitations
aux promoteurs de cette association et à faire des vœux pour
qu'ils trouvent beaucoup d'adhérents. Le jour où ils pourront
faire construire un bâtiment bien disposé pour des expositions
permanentes de tableaux, au centre de Paris, ce jour-là ils auront
rendu un grand service à l'art. Mais les artistes ont toujours été
tellement rebelles à toute idée de ce genre, que nous avons bien
de la peine à croire au succès. Il faudrait, pour attirer à ces
expositions des visiteurs nombreux, que les peintres connus ne
dédaignassent pas d'y envoyer leurs œuvres, et c'est justement là
ce qu'il est difficile d'obtenir. Une fois connus, ils ont une
clientèle toute faite ; ils vendent directement aux amateurs qui
les recherchent ou ils imposent leurs prix aux marchands qui
exploitent les autres. Il en résulte que le plus souvent ceux qui
y envoient leurs œuvres sont précisément ceux dont le nom
manque d'attraction. C'est un cercle vicieux ; et il n'est pas facile
de voir comment on en sortira, tant qu'un esprit un peu élevé
de solidarité ne remplacera pas les habitudes d'isolement égoïste
qui jusqu'à ce jour semblent prévaloir dans le monde des arts.
Espérons qu'il finira par se trouver quelqu'un pour donner
l'exemple.
Eugène Véron.
Cul-de-lampe composé par Bachelier, gravé par P. P. Choffard.