294 L'ART.
dant. La facture, élégante et précise, joint à ces mérites celui d'une franchise qui* jure un peu
avec ce qu'il y a de conventionnel, d'imité dans le parti pris général de l'œuvre. Espérons pour
M. Courtois qu'il saurait à l'occasion n'imiter personne et traduire directement la réalité présente.
Ce qui n'empêche que nous ne préférions mille fois les pastiches comme le portrait de Mmc de
Rochetaillée, aux soi-disant réalités que le même artiste expose sous le nom de Tais.
M. Dagnan-Bouveret a fait tout au rebours un portrait réaliste et un tableau de fantaisie. Le
portrait de M. de Rochetaillée est d'un réalisme presque brutal, tandis que l'enterrement de
Manon Lescaut, par Desgrieux, est d'une recherche, d'un détail, d'une mièvrerie qui touchent à
l'affectation. C'est de la manière.
M. Édouard Dubufe est aussi un Homo duplex, en peinture. On se rappelle les beaux por-
traits signés de lui, qui figuraient aux Salons de 1876 et 1877. M- Ed. Dubufe, après avoir fait
si longtemps des portraits à la mode et rivalisé avec MM. Cabanel et Pérignon, avait voulu
prouver qu'il saurait, quand il le voudrait, faire, lui aussi, des portraits artistiques., et il l'a
prouvé magistralement. Cette année il est revenu à ses premiers péchés. Il n'a pas voulu cepen-
dant nous infliger ce désagrément sans compensation. Au portrait de M"c R. il a ajouté comme
correctif celui de M. Alf. Arago. Mais le correctif n'est pas suffisant. On retrouve dans cette
toile quelques-unes des qualités qui avaient si vivement réjoui les amis de l'art robuste et vivant ;
mais elles ne s'y retrouvent pas toutes. La physionomie est froide, ennuyée, sans esprit, le
fond avance; la facture même n'a pas la largeur, et la décision habituelles. Nous comptons
sur une revanche pour l'année prochaine.
L'exposition de M. Paul Dubois ne vaut pas non plus celles des années dernières. Son portrait
de jeune fille est charmant de naturel, de fraîcheur et de distinction; le modelé est toujours mer-
veilleusement réussi, mais il n'est plus aussi franc, aussi spontané, aussi savoureux. Pourquoi ces
tons noirs, qui facilitent le modelé, mais qui alourdissent les ombres et sentent le procédé ? En
revanche M. Désiré Dubois nous donne un Portrait de M. Emile Breton, qui vaut beaucoup
mieux que ce qu'il a fait jusqu'à présent. C'est une peinture ferme et sincère, un peu fatiguée et
salie dans les ombres, mais sans exclure un réel mérite de franchise dans l'exécution
M. Capdevielle est très-heureusement doué. Ce jeune artiste qui, il y a quelques années à
peine, était tailleur, non pas « d'ymaiges » mais simplement de pierres, est en passe aujourd'hui
de devenir un véritable peintre. Il a à un degré remarquable l'instinct de la forme et celui de la
couleur. Ses deux portraits du Général K. et de Mme Potel, le premier surtout, ont déjà une soli-
dité de facture et une individualité d'aspect qui témoignent de la sincérité et de la force de
l'impression. Rien de factice ni d'apprêté ; un sentiment du relief qui se manifeste par l'exactitude
et la finesse du modelé plus trouvé que cherché. Il donne aux chairs leur couleur vraie et
vivante, et fait entrevoir l'expression morale. Il lui manque peu de chose pour avoir le maniement
complet de son instrument. Quand il l'aura acquis, saura-t-il le mettre aU service d'un sentiment
élevé, d'un art vraiment digne de l'attention des hommes qui croient que, si l'artiste a par
nature une manière toute particulière de concevoir et de rendre les idées, ce n'est nullement une
raison pour qu'il méprise l'intelligence et dédaigne la pensée? Il serait téméraire de l'affirmer,
mais à dire vrai, nous l'espérons.
Eugène Véron.
{La fin prochainement.)
dant. La facture, élégante et précise, joint à ces mérites celui d'une franchise qui* jure un peu
avec ce qu'il y a de conventionnel, d'imité dans le parti pris général de l'œuvre. Espérons pour
M. Courtois qu'il saurait à l'occasion n'imiter personne et traduire directement la réalité présente.
Ce qui n'empêche que nous ne préférions mille fois les pastiches comme le portrait de Mmc de
Rochetaillée, aux soi-disant réalités que le même artiste expose sous le nom de Tais.
M. Dagnan-Bouveret a fait tout au rebours un portrait réaliste et un tableau de fantaisie. Le
portrait de M. de Rochetaillée est d'un réalisme presque brutal, tandis que l'enterrement de
Manon Lescaut, par Desgrieux, est d'une recherche, d'un détail, d'une mièvrerie qui touchent à
l'affectation. C'est de la manière.
M. Édouard Dubufe est aussi un Homo duplex, en peinture. On se rappelle les beaux por-
traits signés de lui, qui figuraient aux Salons de 1876 et 1877. M- Ed. Dubufe, après avoir fait
si longtemps des portraits à la mode et rivalisé avec MM. Cabanel et Pérignon, avait voulu
prouver qu'il saurait, quand il le voudrait, faire, lui aussi, des portraits artistiques., et il l'a
prouvé magistralement. Cette année il est revenu à ses premiers péchés. Il n'a pas voulu cepen-
dant nous infliger ce désagrément sans compensation. Au portrait de M"c R. il a ajouté comme
correctif celui de M. Alf. Arago. Mais le correctif n'est pas suffisant. On retrouve dans cette
toile quelques-unes des qualités qui avaient si vivement réjoui les amis de l'art robuste et vivant ;
mais elles ne s'y retrouvent pas toutes. La physionomie est froide, ennuyée, sans esprit, le
fond avance; la facture même n'a pas la largeur, et la décision habituelles. Nous comptons
sur une revanche pour l'année prochaine.
L'exposition de M. Paul Dubois ne vaut pas non plus celles des années dernières. Son portrait
de jeune fille est charmant de naturel, de fraîcheur et de distinction; le modelé est toujours mer-
veilleusement réussi, mais il n'est plus aussi franc, aussi spontané, aussi savoureux. Pourquoi ces
tons noirs, qui facilitent le modelé, mais qui alourdissent les ombres et sentent le procédé ? En
revanche M. Désiré Dubois nous donne un Portrait de M. Emile Breton, qui vaut beaucoup
mieux que ce qu'il a fait jusqu'à présent. C'est une peinture ferme et sincère, un peu fatiguée et
salie dans les ombres, mais sans exclure un réel mérite de franchise dans l'exécution
M. Capdevielle est très-heureusement doué. Ce jeune artiste qui, il y a quelques années à
peine, était tailleur, non pas « d'ymaiges » mais simplement de pierres, est en passe aujourd'hui
de devenir un véritable peintre. Il a à un degré remarquable l'instinct de la forme et celui de la
couleur. Ses deux portraits du Général K. et de Mme Potel, le premier surtout, ont déjà une soli-
dité de facture et une individualité d'aspect qui témoignent de la sincérité et de la force de
l'impression. Rien de factice ni d'apprêté ; un sentiment du relief qui se manifeste par l'exactitude
et la finesse du modelé plus trouvé que cherché. Il donne aux chairs leur couleur vraie et
vivante, et fait entrevoir l'expression morale. Il lui manque peu de chose pour avoir le maniement
complet de son instrument. Quand il l'aura acquis, saura-t-il le mettre aU service d'un sentiment
élevé, d'un art vraiment digne de l'attention des hommes qui croient que, si l'artiste a par
nature une manière toute particulière de concevoir et de rendre les idées, ce n'est nullement une
raison pour qu'il méprise l'intelligence et dédaigne la pensée? Il serait téméraire de l'affirmer,
mais à dire vrai, nous l'espérons.
Eugène Véron.
{La fin prochainement.)