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L'ART.
Cartouche composé par John Watkins.
La mort vient de frapper deux artistes belges, un
musicien qui avait depuis longtemps renoncé à la lutte,
Théodore Hauman, et un peintre relativement jeune en-
core, Modeste Carmer.
Théodore Hauman a eu son heure de vogue, non
pas seulement locale, mais européenne. Il était de la race
des virtuoses voyageurs. Émule et disciple du célèbre de
Bériot, on peut dire qu'il a joué du violon dans toutes les
capitales du monde civilisé, et même au-delà. Son père le
destinait au barreau, mais après avoir achevé ses études de
droit à l'université de Louvain, le jeune étudiant renonça
bravement au Code. Sa vocation musicale était irrésis-
tible, et il n'eut pas a se repentir de l'avoir suivie. Théo-
dore Hauman obtint en effet de nombreux et brillants
succès. Il est du nombre des virtuoses qui ont contribué
au renom artistique de la Belgique à l'étranger. L'école à
laquelle il appartenait est aujourd'hui complètement dé-
modée. C'était l'école de l'air varié. On prenait un thème
quelconque, un air d'opéra, le plus souvent ; on commen-
çait par l'exposer tranquillement, puis on le variait, non
pour en tirer des idées nouvelles, pour greffer sur le thème
initial des inspirations personnelles, mais seulement pour
l'enjoliver de broderies plus ou moins capricieuses, l'agré-
menter de fioritures éblouissantes, et faire applaudir des
tours de force de mécanisme. Théodore Hauman ne s'é-
leva jamais au-dessus de ce genre secondaire, mais il y
déploya du moins des qualités d'exécution de premier
ordre; sans avoir au même degré que son maître de Bériot
la pureté du style et la grâce du chant, sans posséder la
maestria accomplie qui, jointe à un réel talent de compo-
siteur, fera vivre le nom de Vieuxtemps, il se distinguait
par une manière à lui, une manière nerveuse, un peu
bizarre même, mais originale et qui impressionnait. Les
compositions qu'il a laissées n'en donnent qu'une idée in-
complète, car il fallait le jeu du virtuose pour les vivifier;
elles peuvent encore être utilisées comme exercices dans
les classes de violon. Hauman s'était retiré depuis quelques
années à Bruxelles, sa ville natale; il y vivait en bon
bourgeois, sans prétention artistique, mais toujours pas-
sionné pour son art, et s'intéressant vivement aux œuvres
et aux succès de ses confrères. Homme d'esprit, cœur
chaud, il est très-regretté de tous ceux qui l'ont connu. Il
avait soixante-dix ans.
Modeste Carlier, peintre montois, était un talent iné-
gal, qui a eu des hauts et des bas, mais une nature distin-
guée, aux aspirations sérieuses et élevées. Il est l'auteur
d'un grand tableau historique qui orne un des édifices de
sa ville natale, dont les annales lui ont fourni le sujet de
sa composition, un peu vaste peut-être pour que son pin-
ceau pût s'y promènera l'aise. L'œuvre d'ailleurs n'est pas
sans mérite ; nullement académique, elle offre quelques
morceaux ^vigoureusement observés. Au Salon de Bruxel-
les, en 1872, on remarquait de lui un paysage d'un bon
sentiment naturaliste, et un excellent portrait, celui de
Mme Jean Rousseau, peint sur fond d'or, et d'un modelé
très-fin. Trois ans plus tard, il exposait un Portrait de
M. Albert Picard, président du Conseil provincial, tenta-
tive hardie, car le peintre avait représenté son modèle en
plein air et en pleine lumière, la figure se détachant sur
un fond de jardin vivement éclairé. Ces quelques souve-
nirs suffisent à montrer que Carlier était, dans toutes les
voies de la peinture, un chercheur qui ne s'en tenait pas
aux recettes ordinaires, et qu'animait un sincère amour de
son art.
Le Directeur-Gérant, EUGÈNE VÉROJN.
L'ART.
Cartouche composé par John Watkins.
La mort vient de frapper deux artistes belges, un
musicien qui avait depuis longtemps renoncé à la lutte,
Théodore Hauman, et un peintre relativement jeune en-
core, Modeste Carmer.
Théodore Hauman a eu son heure de vogue, non
pas seulement locale, mais européenne. Il était de la race
des virtuoses voyageurs. Émule et disciple du célèbre de
Bériot, on peut dire qu'il a joué du violon dans toutes les
capitales du monde civilisé, et même au-delà. Son père le
destinait au barreau, mais après avoir achevé ses études de
droit à l'université de Louvain, le jeune étudiant renonça
bravement au Code. Sa vocation musicale était irrésis-
tible, et il n'eut pas a se repentir de l'avoir suivie. Théo-
dore Hauman obtint en effet de nombreux et brillants
succès. Il est du nombre des virtuoses qui ont contribué
au renom artistique de la Belgique à l'étranger. L'école à
laquelle il appartenait est aujourd'hui complètement dé-
modée. C'était l'école de l'air varié. On prenait un thème
quelconque, un air d'opéra, le plus souvent ; on commen-
çait par l'exposer tranquillement, puis on le variait, non
pour en tirer des idées nouvelles, pour greffer sur le thème
initial des inspirations personnelles, mais seulement pour
l'enjoliver de broderies plus ou moins capricieuses, l'agré-
menter de fioritures éblouissantes, et faire applaudir des
tours de force de mécanisme. Théodore Hauman ne s'é-
leva jamais au-dessus de ce genre secondaire, mais il y
déploya du moins des qualités d'exécution de premier
ordre; sans avoir au même degré que son maître de Bériot
la pureté du style et la grâce du chant, sans posséder la
maestria accomplie qui, jointe à un réel talent de compo-
siteur, fera vivre le nom de Vieuxtemps, il se distinguait
par une manière à lui, une manière nerveuse, un peu
bizarre même, mais originale et qui impressionnait. Les
compositions qu'il a laissées n'en donnent qu'une idée in-
complète, car il fallait le jeu du virtuose pour les vivifier;
elles peuvent encore être utilisées comme exercices dans
les classes de violon. Hauman s'était retiré depuis quelques
années à Bruxelles, sa ville natale; il y vivait en bon
bourgeois, sans prétention artistique, mais toujours pas-
sionné pour son art, et s'intéressant vivement aux œuvres
et aux succès de ses confrères. Homme d'esprit, cœur
chaud, il est très-regretté de tous ceux qui l'ont connu. Il
avait soixante-dix ans.
Modeste Carlier, peintre montois, était un talent iné-
gal, qui a eu des hauts et des bas, mais une nature distin-
guée, aux aspirations sérieuses et élevées. Il est l'auteur
d'un grand tableau historique qui orne un des édifices de
sa ville natale, dont les annales lui ont fourni le sujet de
sa composition, un peu vaste peut-être pour que son pin-
ceau pût s'y promènera l'aise. L'œuvre d'ailleurs n'est pas
sans mérite ; nullement académique, elle offre quelques
morceaux ^vigoureusement observés. Au Salon de Bruxel-
les, en 1872, on remarquait de lui un paysage d'un bon
sentiment naturaliste, et un excellent portrait, celui de
Mme Jean Rousseau, peint sur fond d'or, et d'un modelé
très-fin. Trois ans plus tard, il exposait un Portrait de
M. Albert Picard, président du Conseil provincial, tenta-
tive hardie, car le peintre avait représenté son modèle en
plein air et en pleine lumière, la figure se détachant sur
un fond de jardin vivement éclairé. Ces quelques souve-
nirs suffisent à montrer que Carlier était, dans toutes les
voies de la peinture, un chercheur qui ne s'en tenait pas
aux recettes ordinaires, et qu'animait un sincère amour de
son art.
Le Directeur-Gérant, EUGÈNE VÉROJN.