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L' art décoratif: revue de lárt ancien et de la vie artistique moderne — 1,1.1898/​1899

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No. 6 (Mars 1899)
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L' art industriel
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https://doi.org/10.11588/diglit.34201#0290

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L’ART DÉCORATIF

que non. Nous voyons bien que la mode des
styles anciens qui sévissait commence à décliner;
que notre siècle, absorbé pendant ses trois
premiers quarts par la création du nouvel
outillage du monde civilisé, les moteurs,
la machinerie, les chemins de fer, la grande
navigation, la communication rapide de la pensée,
l’exploitation minière, etc., commence à trouver
enfin le temps de s’appliquer à l’étude de la
forme, las de l’emprunter à ses devanciers;
qu’une force irrésistible pousse les artistes vers
l’art appliqué; qu’à travers les tâtonnements de
la création et les outrances de la réaction, l’on
marche à grands pas vers des formules d’art
neuves et qui ne le cèdent pas aux anciennes.
Mais nous n’apercevons pas le bénéfice que
le grand nombre pourra recueillir — nous
n’avons pas dit «recueille» — de cette révo-
lution, telle qu’elle s’accomplit jusqu’ici. Ce
qui se fait peut être beau; mais ce n’est point
pour lui qu’on le fait.
Un art pour le grand nombre: c’est le mot
inscrit en tête de tous les programmes, de
toutes les publications d’art, de toutes les mani-
festations collectives d’artistes. Mais qui tra-
vaille à faire du mot une réalité? A de bien
rares exceptions près, les œuvres d’aujourd’hui
restent conçues, comme celles d’autrefois, dans
le sens de l’objet d’exception, de la pièce rare
et coûteuse.
Saturée du faux art qui ne sait s’inspirer
que du faste des palais de nos anciens rois et
des richesses des grands d’autrefois recueillies
dans les musées, la foule commence à prendre
goût à ces merveilles nouvelles. Ce sont elles
que l’industrie devra bientôt copier pour que
chacun puisse en avoir sa part. Elle les copiera
de la seule manière possible dans ce but :
grossièrement et de loin. Elle en fera la charge,
et dans dix ans, les yeux ne pourront plus se
fixer, dans la vie courante, que sur des décors,
des meubles, des ustensiles, des bibelots «art
moderne» aussi laids, aussi sottement préten-
tieux que ceux d’aujourd’hui. Au lieu de vivre
dans la caricature du Louvre ou de Versailles,
le moindre bourgeois se prélassera dans le
pastiche en toc de l’hôtel du milliardaire. Est-ce
la peine de changer?
Quel remède pour prévenir ce mal? Un seul.
S’appliquer sincèrement à réaliser les programmes
qui jusqu’ici, sont restés à l’état de grands mots.
Assez de phrases. Après cent volumes et mille
articles, nous en serions encore au même point
qu’aujourd’hui. Une seule œuvre, un exemple
font plus pour faire marcher le monde que
des flots d’encre. C’est aux artistes de sauver
l’art qu’ils viennent de créer du ridicule d’imi-
tations grotesques, sous lequel il serait en danger

de succomber à peine né. Qu’ils n’oublient pas
que les clients du nouvel art, pour représenter
l’élite de la société, n’en ont pas moins leurs
préjugés et leurs manies, et qu’ils sont prompts
à ne plus vouloir de ce qui court les rues —
surtout en chienlit.
Un art moderne accessible aux petites fortunes
ne peut pas plus être calqué sur l’art fait pour
le riche que sur celui que les artistes d’autrefois
firent pour les grands d’alors. Il doit répondre
à d’autres besoins, se renfermer dans d’autres
ressources, mettre en œuvre d’autres matières,
se suffire d’autres formes et d’autres procédés,
intéresser par d’autres propriétés, toucher par
d’autres moyens. Il doit valoir par l’ensemble
et renoncer à l’exubérance du détail. Sa simpli-
cité nécessaire n’exclut ni la grâce, ni le charme,
ni l’amabilité souriante dans tel de ses aspects,
ni la noblesse et la dignité dans tel autre.
Oserions-nous dire, sans crainte de sembler
paradoxal, que la perfection de l’ensemble se
rencontrera peut-être plus souvent dans un tel
art qu’ailleurs, parceque l’exclusion forcée de
l’inutile commandera de concentrer l’intérêt sur
les seuls éléments qui l’exigent, et d’apporter
une attention sévère à la détermination des
valeurs? La profusion est la pire ennemie du
bon goût; forcé de l’éviter, plus d’un artiste
verra peut-être s’épurer le sien.
Il va sans dire que nous n’entendons pas
contester la portée, encore moins diminuer la
valeur des travaux d’exception, de ces admirables
joyaux de l’art dans lesquels l’artiste épanche
le plus exquis de son imagination sur le plus
beau de la matière. La splendeur ou la douceur
des métaux, des pierres et des bois rares, l’infinie
délicatesse des formes, la subtilité des détails
entreront toujours dans le rêve de l’artiste, et
toujours il y aura des privilégiés de la fortune —
heureusement! — pour lui permettre de faire
de ce rêve une réalité.
Mais quel obstacle, pour l’artiste, à chercher
une diversion à ces travaux dans l’étude de
formules d’objets usuels réellement industriali-
sâmes? Nous ne prétendons pas que de telles
formules soient faciles à trouver, loin de là;
si c’était si facile, l’intervention de l’artiste ne
serait pas nécessaire. C’est même très-difficile
dans beaucoup de cas; niais pour cette raison
même, ce devrait être pour l’artiste un point
d’honneur et un plaisir de les trouver.
Les objections ne manquent pas, nous le
savons. Aucune n’est sans réplique.
S’il répugne à l’artiste de chercher à tirer
quelque chose d’une matière humble, on peut
répondre que toutes sont susceptibles d’expression,
dès qu’on se contraint à ne pas sortir du
genre d’effets que leur nature comporte; que

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