EXPOSÉ PHILOSOPHIQUE DU SYSTÈME NERVEUX.
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tant plus vite que leur manifestation est plus puissante. Enfin,
son moteur disparu l'abandonnant à la loi physique, il meurt, et
désormais, du cerveau éteint, analogue du combustible évanoui,
ne pourront plus se dégager la lumière et la chaleur de l'âme, qui
rayonnaient de l'organe animé par le feu de la vie. Et gardons-
nous de ne voir qu'une image dans cette comparaison, qui n'est
que le rapprochement de deux séries de faits analogues, et entre
lesquels il n'y a d'autre différence que celle des lois qui les ré-
gissent. Pourquoi, dans leur alliance commune avec la matière,
n'en serait-il pas des forces vitales comme des forces physiques,
où des effets nécessaires sont le résultat d'un équilibre déter-
miné? Sur quelle preuve refuserait-on au principe immatériel
des corps vivans cette virtualité, cette continuité d'action que
personne ne songe à dénier aux forces physico-chimiques, mou-
vement, chaleur, électricité, affinités, etc., toujours prêts à mon-
trer ou à suspendre leurs phénomènes, à passer alternativement
a 1 état libre ou latent, suivant qu'on leur dispose ou qu'on leur
retire les appareils et les conditions propres à en déterminer la
manifestation? Et quant à ce que les facultés cérébrales s'aug-
mentent par leur exercice, et diminuent par le repos, cela peut-il
dire que l'organe se développe de lui-même, et produit, par le
fait initial de son accroissement, celui des forces et de l'esprit?
C'est tout le contraire. Qu'est-ce que l'exercice de l'organe in-
tellectuel, sinon l'initiative hahituelle de la volonté, de l'intel-
ligence, de l'esprit, qui guide toujours, et corrige peu-à-peu son
organe? Et si, par l'effet de cette direction, de cette éducation,
soit spontanée, soit imposée par l'intelligence d autrui, l'esprit
lui-même se cultive et s'étend, n'est-il pas évident que c'est en
vertu des soins que lui-même a pris de rendre son organe plus
apte à ses manifestations?
En dernier mot, pour l'ensemble de la nature , dans l'accord
des deux principes, la force et la matière, la première paraît plus
essentielle que la seconde ; car, si notre esprit ne peut se faire
l'idée de l'anéantissement de la matière, du moins la voit-il si
complètement soumise à la loi physique, qu'il suffit d'un chan-
gement d'équilibre dans l'une de ses forces, soit, par exemple, la
chaleur, dans une intensité infinie, pour que la matière s'éva-
nouisse en quelque sorte à notre esprit, tandis que nous ne
pouvons d'aucune manière comprendre l'extinction des forces,
dont l'existence virtuelle persiste toujours pour nous, bien au-
delà du terme quelconque où nous ne comprenons plus rien
à la matière.
Par extension, dans les corps organisés, c'est, avec la matière,
la force physique elle-même qui semble, jusqu'à un certain
point, dominée par une force nouvelle, accidentelle dans l'en-
semble de la nature, temporaire dans les êtres vivans, mais du-
rable dans les races par la succession des individus, et du reste,
si restreinte dans ses applications, qu'elle n'agit que sur une in-
finiment petite portion de la matière, continuellement prise et
rendue à la loi physique, par la répétition et le renouvelle-
ment des actes de la vie pendant sa durée, tandis que la loi phy-
sique antérieure domine à jamais toute la nature.
Et comme déjà la matière n'est que secondaire sous la loi
physique, qui ressemble si bien elle-même à une immense in-
telligence, éternelle et immuable, parce qu'elle est l'expression
de l'esprit qui embrasse tout dans l'espace et le temps : d'autant
plus la matière, et la loi physique qui la gouverne, sont-elles
secondaires dans les corps vivans, dont le principe, quoique si
fugitif, est pourtant de sa nature encore bien au-dessus, et moins
éloigné de la cause première, source commune et intarissable
de tous les êtres.
Pourtant, quoique subordonné à l'esprit, le rôle de la ma-
tière est encore assez beau, puisqu'il est nécessaire; et c'est
dans l'homme qu'il atteint sa destination la plus noble. Appareil
de réception des facultés de l'âme, dont la fraction la plus es-
sentielle, l'intelligence, est destinée à se soumettre tous les êtres
inférieurs et à servir avec eux d'instrumens pour accomplir les
décrets de la volonté souveraine, l'hémisphère cérébral apparaît,
dans sa texture mystérieuse, comme la combinaison dernière et
le suprême effort de la matière vivante. Revêtue de facultés nou-
velles pour des besoins d'un ordre supérieur, faite pour sentir
bien au-delà du terme où elle a cessé de comprendre, arbitre
de ses actes, douée de la notion de son créateur et de la con-
science de sa haute mission, l'âme humaine se proclame le but
final et le principe dominateur de l'organisme supérieur qui ré-
sume et commande tous les autres. Seul dans la création, l'homme
vit par et pour l'esprit.
Tel est, de la manière dont je le comprends, l'exposé philoso-
phique du système nerveux dans sa signification la plus générale.
Comme l'on pouvait s'y attendre, ce n'est rien moins que l'his-
toire de l'organisme en son entier, par celle de l'appareil maté-
riel qui en accomplit tous les actes. Mais, dans ce vaste ensemble,
combien encore de lacunes et d'incertitudes! Et surtout combien
d'obscurités impénétrables!
Toute science, a dit de Maistre, commence par un mystère.
Pour compléter l'idée de ce grand penseur, il faudrait dire : toute
science commence et finit par un mystère, ou plutôt n'est que
mystère. Et par toute science , comme il ne résulte que trop
clairement de ce discours, il faut entendre tout sujet d'obser-
vation ou d'examen, même le plus restreint. La notion qui nous
paraît la plus claire n'est qu'une lueur entre deux abîmes. Or,
puisque l'esprit, comme le corps de l'homme, est renfermé dans
d'étroites limites, sachons donc nous résigner à subir les consé-
quences de notre organisation. Que notre esprit consente à
ignorer les secrets qu'il ne lui a pas été donné de connaître.
Heureusement que, dans la sphère des idées secondaires qu'il
peut atteindre, il lui en reste encore bien assez pour exercer uti-
lement ses plus nobles facultés, si, comme il faut le croire, leur
emploi bien dirigé suffit pour assurer son bonheur tout en
obéissant aux desseins de la Providence pour sa destination finale.
Je termine cet exposé philosophique, non que la matière en soit épuisée; je répète, au contraire, ce que j'ai dit en
commençant : ce n'est là que l'ébauche d'une partie restreinte, mais, à la vérité importante, par la nature des ques-
tions qu'elle touche, de la philosophie de la science de l'homme, pour moi, le dernier mot, et, j'avoue aussi, le but
désiré qui m'a soutenu dans le cours de cet immense ouvrage. J'avais promis de dire ma pensée sans réserve, et j'ai
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tant plus vite que leur manifestation est plus puissante. Enfin,
son moteur disparu l'abandonnant à la loi physique, il meurt, et
désormais, du cerveau éteint, analogue du combustible évanoui,
ne pourront plus se dégager la lumière et la chaleur de l'âme, qui
rayonnaient de l'organe animé par le feu de la vie. Et gardons-
nous de ne voir qu'une image dans cette comparaison, qui n'est
que le rapprochement de deux séries de faits analogues, et entre
lesquels il n'y a d'autre différence que celle des lois qui les ré-
gissent. Pourquoi, dans leur alliance commune avec la matière,
n'en serait-il pas des forces vitales comme des forces physiques,
où des effets nécessaires sont le résultat d'un équilibre déter-
miné? Sur quelle preuve refuserait-on au principe immatériel
des corps vivans cette virtualité, cette continuité d'action que
personne ne songe à dénier aux forces physico-chimiques, mou-
vement, chaleur, électricité, affinités, etc., toujours prêts à mon-
trer ou à suspendre leurs phénomènes, à passer alternativement
a 1 état libre ou latent, suivant qu'on leur dispose ou qu'on leur
retire les appareils et les conditions propres à en déterminer la
manifestation? Et quant à ce que les facultés cérébrales s'aug-
mentent par leur exercice, et diminuent par le repos, cela peut-il
dire que l'organe se développe de lui-même, et produit, par le
fait initial de son accroissement, celui des forces et de l'esprit?
C'est tout le contraire. Qu'est-ce que l'exercice de l'organe in-
tellectuel, sinon l'initiative hahituelle de la volonté, de l'intel-
ligence, de l'esprit, qui guide toujours, et corrige peu-à-peu son
organe? Et si, par l'effet de cette direction, de cette éducation,
soit spontanée, soit imposée par l'intelligence d autrui, l'esprit
lui-même se cultive et s'étend, n'est-il pas évident que c'est en
vertu des soins que lui-même a pris de rendre son organe plus
apte à ses manifestations?
En dernier mot, pour l'ensemble de la nature , dans l'accord
des deux principes, la force et la matière, la première paraît plus
essentielle que la seconde ; car, si notre esprit ne peut se faire
l'idée de l'anéantissement de la matière, du moins la voit-il si
complètement soumise à la loi physique, qu'il suffit d'un chan-
gement d'équilibre dans l'une de ses forces, soit, par exemple, la
chaleur, dans une intensité infinie, pour que la matière s'éva-
nouisse en quelque sorte à notre esprit, tandis que nous ne
pouvons d'aucune manière comprendre l'extinction des forces,
dont l'existence virtuelle persiste toujours pour nous, bien au-
delà du terme quelconque où nous ne comprenons plus rien
à la matière.
Par extension, dans les corps organisés, c'est, avec la matière,
la force physique elle-même qui semble, jusqu'à un certain
point, dominée par une force nouvelle, accidentelle dans l'en-
semble de la nature, temporaire dans les êtres vivans, mais du-
rable dans les races par la succession des individus, et du reste,
si restreinte dans ses applications, qu'elle n'agit que sur une in-
finiment petite portion de la matière, continuellement prise et
rendue à la loi physique, par la répétition et le renouvelle-
ment des actes de la vie pendant sa durée, tandis que la loi phy-
sique antérieure domine à jamais toute la nature.
Et comme déjà la matière n'est que secondaire sous la loi
physique, qui ressemble si bien elle-même à une immense in-
telligence, éternelle et immuable, parce qu'elle est l'expression
de l'esprit qui embrasse tout dans l'espace et le temps : d'autant
plus la matière, et la loi physique qui la gouverne, sont-elles
secondaires dans les corps vivans, dont le principe, quoique si
fugitif, est pourtant de sa nature encore bien au-dessus, et moins
éloigné de la cause première, source commune et intarissable
de tous les êtres.
Pourtant, quoique subordonné à l'esprit, le rôle de la ma-
tière est encore assez beau, puisqu'il est nécessaire; et c'est
dans l'homme qu'il atteint sa destination la plus noble. Appareil
de réception des facultés de l'âme, dont la fraction la plus es-
sentielle, l'intelligence, est destinée à se soumettre tous les êtres
inférieurs et à servir avec eux d'instrumens pour accomplir les
décrets de la volonté souveraine, l'hémisphère cérébral apparaît,
dans sa texture mystérieuse, comme la combinaison dernière et
le suprême effort de la matière vivante. Revêtue de facultés nou-
velles pour des besoins d'un ordre supérieur, faite pour sentir
bien au-delà du terme où elle a cessé de comprendre, arbitre
de ses actes, douée de la notion de son créateur et de la con-
science de sa haute mission, l'âme humaine se proclame le but
final et le principe dominateur de l'organisme supérieur qui ré-
sume et commande tous les autres. Seul dans la création, l'homme
vit par et pour l'esprit.
Tel est, de la manière dont je le comprends, l'exposé philoso-
phique du système nerveux dans sa signification la plus générale.
Comme l'on pouvait s'y attendre, ce n'est rien moins que l'his-
toire de l'organisme en son entier, par celle de l'appareil maté-
riel qui en accomplit tous les actes. Mais, dans ce vaste ensemble,
combien encore de lacunes et d'incertitudes! Et surtout combien
d'obscurités impénétrables!
Toute science, a dit de Maistre, commence par un mystère.
Pour compléter l'idée de ce grand penseur, il faudrait dire : toute
science commence et finit par un mystère, ou plutôt n'est que
mystère. Et par toute science , comme il ne résulte que trop
clairement de ce discours, il faut entendre tout sujet d'obser-
vation ou d'examen, même le plus restreint. La notion qui nous
paraît la plus claire n'est qu'une lueur entre deux abîmes. Or,
puisque l'esprit, comme le corps de l'homme, est renfermé dans
d'étroites limites, sachons donc nous résigner à subir les consé-
quences de notre organisation. Que notre esprit consente à
ignorer les secrets qu'il ne lui a pas été donné de connaître.
Heureusement que, dans la sphère des idées secondaires qu'il
peut atteindre, il lui en reste encore bien assez pour exercer uti-
lement ses plus nobles facultés, si, comme il faut le croire, leur
emploi bien dirigé suffit pour assurer son bonheur tout en
obéissant aux desseins de la Providence pour sa destination finale.
Je termine cet exposé philosophique, non que la matière en soit épuisée; je répète, au contraire, ce que j'ai dit en
commençant : ce n'est là que l'ébauche d'une partie restreinte, mais, à la vérité importante, par la nature des ques-
tions qu'elle touche, de la philosophie de la science de l'homme, pour moi, le dernier mot, et, j'avoue aussi, le but
désiré qui m'a soutenu dans le cours de cet immense ouvrage. J'avais promis de dire ma pensée sans réserve, et j'ai