Société de l'Histoire de l'Art Français [Hrsg.]: Bulletin de la Société de l'Histoire de l'Art Français (3.1877)

— 99 —

savoir un seul mot d’anglais et n’étant pourvu que d’un petit nombre
de lettres de recommandation dans sa poche, il s’intrigua si bien
qu’il commença une manufacture de tapisseries, dans laquelle je n’ai
guère vu moins de cent personnes employées. Il trouva moyen de
s’introduire chez les principaux seigneurs et chez nombre de gens
opulents de cette île, et il la poussa avec tant d’ardeur que s’il avait
été moins vain et plus honnête homme, il aurait fait en peu d’an-
nées une fortune considérable ; mais comment inspirer la sagesse à
un Français que la fortune favorise? Lemoine défroqué s’abandonna
à toutes sortes de profusions, fut bientôt obligé de se sauver, se tint
caché en divers endroits et à la fin s’est réfugié en Portugal, où il a
si bien fait qu’il a obtenu une pension considérable, qu’il a tâché de
mériter en barbouillant quelques libelles contre les jésuites, ses
anciens ennemis. Je l’aperçus au Café Anglais à Lisbonne, où l’on
m’a dit qu’il avait changé son nom de Parisot contre celui de Platel,
ainsi qu’il avait fait autrefois celui de Norbert pour celui de Parisot.
Il n’en est pas de même en Portugal et dans d’autres pays qu’en
Angleterre, où il n’est pas permis de changer de nom; le bon capucin
ne s’est jamais trop embarrassé des lois d’aucune espèce. C’est un
homme bien singulier; ni la vie monastique, ni sa longue barbe, non
plus que l’étude de la théologie à laquelle il a été obligé de s’appli-
quer pendant plus de vingt ans, ainsi que ses voyages comme mis-
sionnaire dans plusieurs parties des Indes Orientales, ses infirmités
et son âge avancé n’ont jamais pu amortir ce goût national pour les
entreprises qui l’a porté à se faire manufacturier en Angleterre, où
il conduisait la quantité d’ouvriers qu’il avait à son service avec
autant de facilité que j’en ai à conduire un seul domestique. »

Ces témoignages de Baretti étaient bons à recueillir dans notre
Bulletin; peut-être pourrait-on les compléter s’il y a quelque chose
là-dessus dans la Vie du P. Norbert par Chevrier, que je n’ai pas
sous la main. En tous les cas il est impossible qu’il n’y ait pas en
Angleterre, dans les châteaux de la Reine et dans ceux de la gentry,
des spécimens authentiques des Gobelins de Fulham et d’Exeter.

Anatole de Montaiglon.

V.

ÉTAT-CIVIL D’ARTISTES FRANÇAIS
(Voir les Bulletins d’avril et d’octobre 1876).

V.

Convoi et enterrement de Gabriel Audran
( 174o)-

Vous estes priez d’assister au convoy et enterrement de Gabriel Audran,