Universitätsbibliothek HeidelbergUniversitätsbibliothek Heidelberg
Overview
loading ...
Facsimile
0.5
1 cm
facsimile
Scroll
OCR fulltext
N° 177

BULLETIN DE L'ART POUR TOUS

C'est pourtant, toujours, une de ses scènes
accoutumées de paysannes boulonnaises en
prière, comme le Baptême de 1869 ou la Béné-
diction de la mer de 1872. Sur le fond discret,
gris, un peu verdâtre d'un intérieur d'église, j
devant un autel dont on distingue à peine les
balustres à gauche, s'enlève, dans une clarté
tranquille et religieuse, un groupe de sept
jeunes paysannes, enveloppées de leurs longues
mantes noires, la tête coiffée de leurs cornettes
blanches ou enserrée dans un fichu.

Les trois premières sont agenouillées sur le J
sol. L'une d'elles, au premier plan, les mains j
jointes, la tête un peu relevée, présente un j
profil d'une grande beauté, chaste et sévère; j
la bouche, tendue dans une petite moue sérieuse
et réfléchie, prie avec ardeur. A droite, les j
quatre autres femmes sont assises en des atti-
tudes modestes de prière, d'extase ou de
rêverie.

De cette toile monte je ne sais quel parfum
sain de jeunesse, de simplicité, de candeur
fière; elle laisse une impression émue de calme
et de recueillement, née du sentiment de con-
viction profonde et paisible de ces belles filles
songeuses, illuminéees tout entières par le
rayonnement de leur foi.

Et l'exécution! d'une maîtrise calme, sûre,
sans virtuosité, sans violence et sans effort. Les
clairs des linges et des chairs se détachent
lumineusement sur le fond neutre des vête-
ments et de l'église, sans contraste et sans bruiL.
Les visages, graves et doux, les mains, exprès-
sives, pieuses et belles, et la nature morte, ce
bout de cierge qui fume, ce parapluie posé [
contre la muraille, ce sac, laissé à terre, tout !
cela exhale un charme populaire, de bon ton,
sobre, fort, salubre et pénétrant qui fait penser
à Chardin et à Lenain.

Une grande Iransformation s'était, en effet,
opérée en Legros depuis son départ de Paris, j
A l'écart de nos discussions stériles, il avait
perdu ce caractère singulier, cet accent assez
combatif, cette gaucherie et cette préciosité un
peu primitives qui donnent à ses premiers
ouvrages leur saveur unanimement regrettée.
Mais il gagnait chaque jour, de l'aveu même de j
ses critiques, de la clarté, de l'unité, de l'am-
pleur, enfin ce style que nous admirions déjà
dans Y Amende honorable.

C'est que le séjour en Angleterre eut une in-
fluence marquée sur le talent de Legros. Non
point qu'il subit le contre-coup du voisinage des
maîtres anglais. 11 est curieux, au contraire, de
voir à quel point il reste étranger au mouve-
ment actif dirigé par des artistes dans l'intimité
quotidienne desquels les circonstances l'avaient
placé. Legros reste aussi exclusivement Fran-
çais dans son art que dans sa vie.

C'est j ustement en raison de cet esprit excep.
tionnellement réfractaire, de cette volonté
tenace de se tenir à l'écart d'un milieu dont
l'esthétique s'accordait si peu avec la sienne,
qu'il s'enferme ombrageusement dans une sorte
de solitude morale. Et comme il avait tout de
même besoin d'amis, il se créa un cercle de \
choix, il se fit une société exclusive des maîtres
anciens.

Il n'était pas encore de bon ton de médire
des musées. Elevé au Louvre, Legros continua
ses fréquentations de bonne compagnie à la }
National Gallery et au British Muséum.

Ce contact assidu avec ses maîtres de prédi-
lection, dont le nombre s'était quelque peu
accru en route — Titien, Rembrandt et Poussin
étant venus rejoindre Holbein et les autres
conseillers aimés d'autrefois, — l'habitude peut-
être de l'enseignement, un certain flair heureux
de fureteur qui découvrait de vieilles choses
précieuses dans les boutiques des marchands
d'antiquités, l'étude minutieuse et passionnée !
des eaux-fortes de Rembrandt dont il a tenté
une revision, tout cela avait singulièrement
développé son esprit critique et contribué à
diriger son talent dans une voie plus austère, !

sous un mode plus apaisé. Il prend dès lors
l'habitude des renoncements et des sacrifices.
Il désire avant tout la simplicité et l'unité; il
est, lui, le coloriste brillant de jadis, devenu de
plus en plus indifférent au charme du ton pour
ne s'attacher qu'à la recherche du beau dessin
expressif. « Si j'avais dû choisir un maître
parmi les modernes, c'est Ingres que j'aurais
choisi. » Telle est la déclaration significative
entendue dans la bouche de l'ancien réaliste
qu'on accusait de vouloir renouveler les scan-
dales de Courbet.

Une petite Psyché, couchée dans un paysage,
appartenant à lord Carlisle, avec sa draperie
d'un vert un peu cru, les traits sévères et mé-
lancoliques du visage qui sommeille, la poitrine
de toute beauté, aux petits seins droits se déta-
chant sans ombre sur le torse lumineux, les
modulations graves et délicates de sss contours
— prélude de cet admirable petit torse en
bronze de notre Musée — évoque, à l'appui de
cet aveu, le grand souvenir d'Ingres et rappelle
même comme une parenté avec son plus noble
disciple, Chassériau.

Mais, si nous voulons entrer plus profondé-
ment dans l'intimité de la pensée de Legros,
dans l'esthétique et la philosophie de son
œuvre, c'est clans ses beaux dessins épars un
peu partout dans ce vasLe ensemble de cinq cent
soixante-douze estampes qu'il faut compter sur
d'éloquentes confidences.

Dessins, estampes remplissent toutes les
périodes de sa vie, bien que les pièces les
plus importantes appartiennent également aux
époques antérieures et postérieures à son pro-
fessorat. Il répand avec une fécondité inépui-
sable ces beaux dessins à la plume ou à la
sépia, traités largement comme les dessins de
Poussin et les bois du Titien, dans lesquels il
fait chevaucher des centaures arrachant des
chèrfes en des paysages héroïques, ou galoper
la Mort hideuse sur sa spectrale haquenée à
travers les décombres de l'orgueil humain.

(à suivre.) Léonce Bénédite.

L'ARCHITECTURE et la DÉCORATION

aux Palais

^Versailles * deSTrianons

sous la direction de M. Paul FAV 1ER

Architecte, délégué au Sénat,
ancien inspecteur aux Palais (1882—1892)

introduction (1)

Depuis longtemps déjà, et lorsque j'étais
inspecteur au palais de Versailles, j'avais eu la
pensée de publier sur ce château des ensembles,
des motifs d'architecture et de décoration. Mon
projet se bornait d'ailleurs aux œuvres que la
transformation du château en musée historique
avait respectées.

Il ne s'agissait pas de donner un historique de
chaque exemple, renseignement généralement
fourni par les ouvrages des différentes époques
et complété par celui de M. Guiffrey sur les
« Comptées des bâtiments du Roi ».

Comme amateur, j'avais recueilli un grand
nombre de documents et, les faisant voir à
quelques amis, ceux-ci n'eurent qu'une voix
pour m'encourager et finalement me détermi-
nèrent. Je craignais, en effet, de faire double

(1) Voir aux annonces.

emploi avec deux ouvrages en cours de publi-
cation. Mais l'un est dans son essence un monu-
ment historique, l'autre s'adresse plus à l'ami de
l'art ; le but pratique est celui que je me propose.
Ma préoccupation constante a toujours été
de m'adresser aux décorateurs, architectes,
peintres, sculpteurs. Ils trouveront ici les types
originaux des époques Louis XIV, Louis XV,
Louis XVI, reproduits de manière à leur
permettre d'en faire des études pratiques aussi
précises que possible; et de ces exemples ils
pourront facilement déduire les caractères de
chaque période.

Sous Louis XIV, on sent généralement le
goût d'un seul artiste qui, grand maître de tous
les autres, imposait son idée. De là des décora-
tions majestueuses et conçues avec unité. Car
l'on retrouve partout le même sentiment créa-
teur, aussi bien dans la galerie des Glaces et
ses dépendances directes, dans ce qui reste des
appartements de Louis XIV, que dans les
façades sur les jardins et le splendide escalier
des Ambassadeurs que Louis XV fit démolir
pour agrandir ses appartements. J'ai nommé Le
Brun, « qui fut pendant plus d'un quart de siècle
en France », dit si bien Louis Vitet clans ses
Etudes sur les Beaux-Arts, « l'arbitre et le juge
suprême de toutes les idées d'artistes, le
dispensateur de tous les types, le régulateur de
toutes les formes. C'est d'après ses modèles que
les enfants dessinent dans les écoles ; c'est lui
qui donne aux sculpteurs le dessin de leurs
statues; les meubles ne peuvent être ronds,
carrés ou ovales que sous son bon plaisir, et les
étoffes ne se brochent que d'après les cartons
qu'il a fait tracer sous ses yeux. Il est vrai qu'il
résulte de cette prodigieuse unité d'organisation
une espèce de grandeur extraordinaire, un
spectacle imposant dont tous les yeux furent
éblouis. »

Puis nous avons Louis XV avec ses deux
phases. L'une est la Régence, époque de transi-
tion qui fut pour l'art la continuation du règne
précédent. Cependant il faut bien reconnaître
que déjà certaines mièvreries naquirent dans les
décorations : on ne sent plus la main ferme et
toute-puissante d'un seul artiste. La person-
nalité de chacun commence à se faire sentir
tant et si bien que, renchérissant les uns sur les
autres, les auteurs en vinrent à la pleine
décadence qui engendra la seconde période
dénommée dans l'histoire de l'art : Rococo ou
style Pompadour, Plus de symétrie dans le
détail, mais l'extrême fantaisie.

Dans les exemples de l'époque Louis XVI,
mis sous les yeux de ceux qui étudieront l'ou-
vrage, on pourra se rendre compte que le
commencement de l'Empire, ou l'époque Per-
cier-Fontaine, avec ses imitations de l'antique,
y a pris naissance; les décorations manquent
généralement d'ampleur, mais sont cependant
traitées avec un grand art et une minutie rare :
témoin celles du cabinet de toilette, annexe de
la chambre du roi, et celles aussi des apparte-
ments particuliers de Marie-Antoinette.

Il reste à chercher si, au point de vue de rai l,
ce sont les sommes énormes dépensées sous le
premier règne et l'unité de commandement que
nous ne retrouvons plus sous les deux autres
qui ont empêché les arlistes de ces deux
dernières périodes d'atteindre la hauteur de
leurs ancêtres! N'est-ce point plutôt qu'après
1715, n'étant plus l'objet de créations, mais
simplement d'aménagements, le château n'offrait
plus qu'un médiocre sujet aux artistes?

Nous ne portons aucun jugement surcepoint,
voulant rester dans le rôle que nous nous
sommes imposé de donner sans commentaires,
toujours discutables, une monographie aussi
complète que possible de l'ensemble de ces
superbes palais.

P. Favieu.
 
Annotationen