Universitätsbibliothek HeidelbergUniversitätsbibliothek Heidelberg
Metadaten

Bulletin de l' art pour tous — 1902

DOI Heft:
No 202 (Octobre 1902)
DOI Seite / Zitierlink: 
https://doi.org/10.11588/diglit.16826#0037
Überblick
loading ...
Faksimile
0.5
1 cm
facsimile
Vollansicht
OCR-Volltext
y wv^âw^^

« L "ART POUR • TOUS

Encyclopédie-detari'industriel et'décoratif

^ par-aiss anl tcras les m-ots

FONDE PAR

jT

EMILE REIBER

LiLratrtes-Lmprlmerics reunies

i ,t ,r^ht -kl -ka w SBO!î&S3teML (T\ PARIS

7,rue Saint-Benoit^

41e Année ^ ■ ■■ ^ Octobre 1902

LE STYLE " NOUILLES "

L'art décoratif pas plus que Fart pur n'est uni-
quement un plaisir des yeux. Il contient une part
d'âme et c'est à l'âme qu'il s'adresse autant qu'à
la vue.

Oui, si paradoxal que cela puisse paraître, le
style d'un meuble, d'une chaise, les arabesques
d'une tenture, quand véritablement il s'agit
d'ceuvres d'art, ont une signification morale. En
regardant attentivement une console de Boulle,
un bureau d'Oeben, un baldaquin de Percier,
l'on reconnaît facilement un certain nombre des
idées qui caractérisèrent l'esprit du règne de
Louis XIV, celui du règne de Louis XV, celui de
l'Empire : dans l'ameublement de chaque époque
on lit une partie de ses pensées.

C'est que l'art, par ses formes, par ses cou-
leurs, par ses inventions, reflète non seulement
les sentiments de la société où il s'épanouit,
mais encore les inspire, jusqu'à un certain point,
par une réaction très naturelle. Et celte re-
marque ne peut manquer de s'appliquer à l'art
décoratif puisque l'usage quotidien qui en est
fait le rapproche plus encore de la vie sociale
que l'art pur confiné dans les palais publics et les
musées.

C'est cette double influence exercée par le
milieu sur l'art et par l'art sur le milieu que je
veux examiner à propos du style moderne. Je
veux rechercher si ce style, par les idées qu'il
contient, par l'inspiration qu'il dénote et par les
impressions qu'il provoque, est digne de repré-
senter notre époque vis-à-vis de la postérité.
*

J'ai dit : les idées qu'il contient. Ici quelques-
uns de mes lecteurs vont m'arrêter en déclarant
tout franc qu'avec la meilleure volonté du monde
il leur est tout à fait impossible de découvrir
l'ombre d'une idée dans les nouvelles concep-
tions décoratives.

Et, à vrai dire, beaucoup des artistes décora-
teurs d'aujourd'hui ont beau se fouetter, leurs
œuvres sont déplorablement insignifiantes. Ils
sont généralement obligés de masquer par des
raretés de matière ou par des étrangetés de
forme le profond dénuement de leur imagina-
tion. Voilà pourquoi, sans doute, jamais plus que
de nos jours, l'art décoratif n'a fait usage de
nouvelles pâtes céramiques, de nouveaux pro-
cédés pour obtenir des patines, des irisations
inédites, des lustres inconnus; voilà pourquoi
il emploie dans la bijouterie les pierres jus-
qu'alors dédaignées, dans l'ébénisterie les ro-

tins les plus noueux, dans la poterie les scories
les plus informes ; voilà pourquoi il cultive inten-
tionnellement les lignes baroques, les contours
déconcertants. Il veut racheter sa foncière plati-
tude par une originalité toute superficielle.

Cela indique-t-il que les idées soient rares
dans le milieu même où se développe l'art mo-
derne et que nos artistes ne trouvent chez leurs
contemporains nulle tendance générale, nulle
aspiration puissante qu'ils puissent interpréter?
Des esprits sévères pourraient l'affirmer. Ils
pourraient comparer notre société à celles qui
la précédèrent, parler des divers enthousiasmes
cjui animèrent les générations passées ; rappeler,
par exemple, que le culte de la royauté absolue
rayonna sur le dix-septième siècle, que l'élé-
gance raffinée fut la flamme légère qui vivifia le
dix-huitième siècle jusqu'au moment où la phi-
losophie humanitaire le nuança d'attendrisse-
ment, que les souvenirs antiques et la gloire mi-
litaire passionnèrent la République, le Consulat
et l'Empire; ils pourraient, par contre, dénoncer
la banalité écœurante de l'époque actuelle. Ils
déclareraient peut-être que les classes diri-
geantes d'aujourd'hui semblent avoir perdu tout
idéal; qu'uniquement préoccupées d'intérêts
financiers, elles se sont déshabituées des actions
généreuses, elles se sont détournées des vastes
courants d'idées, pour ne plus supputer que les
dates où leur est versé le produit de leurs capi-
taux. Et tout ne serait sans doute point faux
dans de telles remarques : mùis c'est là matière
à controverse politique.

# *

Il est certain qu'en cherchant bien, l'on arrive
à découvrir des intentions dans l'art décoratif
moderne; mais les renseignements qu'elles
pourraient fournir sur la société contemporaine,
s'ils ne la représentent pas comme tout à fait
morte à la vie spirituelle, ne l'éclairent pas
non plus sous un jour très favorable.

Les formes décoratives à la mode aujourd'hui
sont singulièrement tourmentées. Le style mo-
derne pourrait s'appeler le style nouilles. Les
principaux motifs qu'il met en œuvre semblent,
en effet, imités de ce comestible quand il se tor-
tille autour d'une fourchette ; ce sont des paquets
de cordes entrelacées, nouées, enchevêtrées, ce
sont des zigzags comme ceux que trace la lanière
d'un fouet; ce sont des paraphes ambitieux ou
affolés.

Il y a dans cette affectation l'indice d'une sorte
d'inquiétude, d'une sorte d'exaspération ner-
veuse. Cet art ne peut convenir qu'à une société
désœuvrée, qui cherche uniquement à se pro-
curer des sensations nouvelles, toujours nou-
velles, et qui, blasée, a besoin de stimuler son
goût par des impressions de plus en plus artifi-

cielles et bizarres; société n'aimant que ce qui
est contourné, bistourné, torturé.

Par antithèse avec l'extrême raffinement de la
nervosité moderne, nos artistes décorateurs
s'étudient aussi parfois à une simplicité tout
aussi affectée que la complication du style
nouilles et procédant, en réalité, du même prin-
cipe. On a remarqué que les sociétés décadentes
se plaisaient, par contraste avec leurs idées ha-
bituelles, aux conceptions naïves, virginales,
iliales, aux idylles enfantines. C'est à cet éta
d'esprit sans doute que répondent tant de motifs
presque puérils qu'affectionne l'art décoratif :
ces lis perpétuels, ces formes primitives, ces
nuances pâles et blafardes.

Et peut-être n'est-ce pas seulement par anti-
thèse que le public s'attache à ces veuleries. Il
finit par aimer ce qui est niais et bêbête, parce
qu'à force d'avoir tendu le ressort de sa sensi-
bilité, il l'a cassé; à force de s'être brûlé le palais
par les piments, il en vient à s'accommoder de
ce qui est fade- Le style bêta paraît l'aboutissant
nécessaire du style nouilles,

*

II se peut que cette situation de l'art contem-
porain reflète la physionomie morale d'une
partie de notre société et de celle qui, précisé-
ment, est à même d'encourager financièrement
les artistes. Il serait fâcheux cependant que toute
notre époque fût jugée plus tard sur un tel témoi-
gnage, et il est regrettable que si, véritablement,
de fortes et nobles idées inspirent un certain
nombre d'âmes autour de nous, elles ne trou-
vent dans le domaine de l'art, que de très rares
traducteurs.

En somme, le style moderne, qu'on a si long-
temps cherché et qu'on a cru découvrir, est
encore à créer. On ne peut décemment donner
ce nom à ce qui représente seulement le goût de
snobs oisifs. Notre génération a le droit de de-
mander un art décoratif où elle reconnaisse l'in-
fluence de ses aspirations les meilleures et dont
le charme la réconforte sur le chemin de son
idéal.

Car il existe cet idéal pour qui veut le voir.—
On y distingue l'amour de la nature à laquelle
il faut toujours revenir, parce qu'en elle sont la
beauté et le bonheur; on y distingue également
l'attachement à la raison qui guide l'humanité
dans la conquête incessante du mieux; la bonté
et la divine pitié envers ceux qui souffrent; la
tendresse qui ne veut point du bonheur s'il n'est
fraternellement partagé, et, par-dessus tout, le
courage qui permet la marche en avant.

Le style cherché différerait donc totalement
de celui qui est à la mode. Il exprimerait par de
belles lignes fortes et par des colorations sûres
la vaillance au lieu de l'avachissement ; il s'ins-

BULLETIN DE L'ART POUR TOUS. — N° 202.
 
Annotationen