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Bulletin de l' art pour tous — 1902

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No 204 (Décembre 1902)
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L"ARTPOUR-TOU5

Encyclopédie-m l iartindustriel et décora tif

paraissant tous les 111,015

FONDÉ PAR

ÉMILE REIBER
Librairies-imprimeries réunies

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^<**^»^_^-7 7, rue Saifit-Benoit

41e Année ^ =* Décembre 1902

LA COLLECTION QRANDIDIER

Savez-vous qu'il y a au Musée du Louvre de
pures merveilles, dont le public ignore presque
le chemin ?

Je veux parler de celle extraordinaire collec-
tion de porcelaines chinoises que M. Grandidier
a donnée à l'État et dont il a élé nommé conser-
vateur, comme il était bien juste.

L'installation est faite dans une série de pe-
tites salles, sur le même palier que la Chalco-
graphie, en bordure du quai; je précise, parce
je pense que les personnes de goût y voudront
aller, pour passer plusieurs heures dans un dé-
licieux rêve d'Extrême-Orient.

M. Grandidier est un voyageur: il a parcouru
lesdeux hémisphères, et pourtant ce n'estpasau
loin qu'il a réuniles trois mille piècesraresde son
musée. C'est à Paris. Tant il esl vrai que c'est
par notre ville que passent fatalement toutes
les manifestations de la beaulô, comme toutes
les gouttes du sang par le cœur.

Le collectionneur a mis trente ans à parfaire
sa gerbe de chefs-d'œuvre. 11 en est qui lui ont
coûté dix, vingt mille francs. L'amateur ne re-
garde jamais au prix, du moment qu'il s'agit de
compléter une époque imparfaitement repré-
sentée ou d'acquérir une pièce unique. Il don-
nerait de sa chair pour se rendre possesseur de
l'objet convoité; il est l'amant que sa passion
rend fou.

J'ai eu la bonne fortune d'être guidé par cet
excellent connaisseur lui-même, à travers sa
galerie. Il y passe ordinairement ses dimanches,
comme d'autres vont chez des amis; j'étais
presque sûr de l'y rencontrer.

*

Ne *

jLa porcelaine fut inventée vers le milieu du
neuvième siècle par les céramistes chinois ;
mais ce fut seulement au dix-septième siècle
qu'ils atteignirent la perfection dans leur art,
sous le règne de l'illustre empereur Khang-hi,
,qui fut comme le Louis XIV des Fils du Ciel.

La collection Grandidier est surtout riche en
pièces de cette époque.

Je citerai notamment une statuette blanche,
une idole bouddhique, la déesse Kouan-inn, qui
est une adorable merveille. Elle symbolise la
miséricorde, et une expression d'angélique man-
suétude est peinte sur ses traits. Elle esl assise
les jambes croisées, les bras cachés dans les
amples plis de sa tunique ; et, les yeux baissés,
elle médite sur les souffrances humaines. Assu-

rément nul maître européen n'a surpassé l'au-
teur de celte figure.

Voici des vases revêtus d'un décor représen-
tant un arbre qui fleurit autour de la panse et
du col. Le dessin en esl d'une énergie singu-
lière : les branches semblent partir vers le ciel
comme des fusées.

Voici encore des récipients d'une forme
étrange, mais d'une coloration charmante : ils
reproduisent les contours d'une syllabe chinoise
qui signifie « longue vie ». C'étaient des sortes
de talismans pour ceux qui s'en servaient.

Le dix-huitième siècle fut également illustré
par degrands céramistes. Mais leur art n'eut plus
la même fermeté qu'au siècle précédent. Il perdit
peut-être en vigueur ce qu'il gagna en charme;
il y eut là-bas une sorte de réaction assez sem-
blable à celle qui opposa en France l'élégance
savoureuse de la Régence cl du règne de
Louis XV à la solennité du règne de Louis XIV.

Ce fut au commencement du dix-huitième
siècle que fut inventée la teinte rose, à laquelle
se marièrent les nuances les plus délicates, ce
qui produisit de divines harmonies.

M. Grandidier me montre d'exquises scènes
sur des vases qui datent de ce temps. Voici no-
tamment un empereur chinois qui, près de son
impératrice, dans une nacelle ayant la forme
fantastique d'un dragon, préside béatement à la
récolte des nénuphars, que de charmantes jeunes
femmes, montées sur d'autres barques, cueillent
à la surface des eaux.

De telles œuvres présentent une si délicate
recherche de tons, une telle transparence d'é-
clat, qu'on les dirait peintes à l'aquarelle.

Qui ne sait, d'ailleurs, que les Chinois sont
des coloristes infiniment plus subtils que nous.
Ils distinguent des nuances là où nos yeux re-
noncent à les discerner; les noms étrangement
précis qu'ils donnent à leurs teintes suffisent à
indiquer les raffinements prodigieux de leur
vision. N'onl-ils pas le rouge foie de mulet el le
rouge poumon de cheval, et le vert ventre de
serpent, et le bleu couleur du ciel lavé après la
pluie, et que sais-je encore !

Il est vrai de dire que les collectionneurs eu-
ropéens et américains se sont piqués au jeu.
Ainsi ils ont fait la différence enlrele rosefra*se
écrasée et le rose peau de pèche. L'écart des
deux teintes esl imperceptible en réalité. La
seconde a seulement ceci de spécial qu'elle est
maculée de très petits points verdâlres prove-
nant d'un excès d'oxygénation. Or, ce défaut
de cuisson lui donne pour les amateurs un prix
tel, que, récemment, un vase couleur peau de
pèche, qui avait été acheté en Chine 700 francs,
fut vendu à New-York 75,000 francs et re-
vendu après décès du propriétaire, 90,000-francs
aux enchères publiques. N'avais-je pas raison

d'affirmerque les collectionneurs sont degrands
amoureux ?

M. Grandidier me continue ses explications.
Voici encore, datant du dix-huitième siècle, une
série d'assielles coquille d"œuf. On nomme ainsi
une porcelaine tellement fine qu'elle semble con-
stituée uniquement par de l'émail. Il a fallu une
prestidigitation tenant de la magie pour tourner
de semblables fragilités. Et l'on se demande
comment elles ont pu passer les mers pour
venir jusqu'à nous.

A travers le dix-neuvième siècle est survenue
la décadence de la céramique chinoise. L'en-
thousiasme peu renseigné des Occidentaux poul-
ies produits de l'Extrême-Orient a excité les
potiers du Céleste-Empire à négliger leurs œuvres
pour en créer un plus grand nombre. Le bel art
de celte civilisation close s'est ainsi fané comme
les fleurs d'une serre chaude dont un vent froid
aurait poussé la porte.

* *

Les vases de la collection Grandidier nous
initient à la vie chinoise en même temps par les
usages auxquels ils sont réservés et par le décor
qui les pare.

Les potiches de 75 centimètres de haut cl plus
sont des pièces décoratives dont l'office est
d'orner les appartements. Les potiches plus pe-
tites servent à contenir des sucreries, des gâ-
teaux, des cadeaux de noces ; plus peliles encore,
elles jouent le rôle de boîtes à thé.

Les grands vases cylindriques ou rouleaux
sont destinés à être garnis de bouquets; dans
ceux qui sont pelilsel larges, l'on renferme les pin-
ceaux dont on se sertpourécrirc et pour peindre.

Les tonneaux pleins ou ajourés sont des sièges
ou des piédestaux pour des vases.

Les écriloires, c'est-à-dire les godets qui doi-
vent recevoir l'eau où les Chinois délaient leurs
bâtons d'encre, affectent les formes les plus di-
verses : ce sont des coquillages, des feuilles à
bords relevés, des fruits coupés en deux et
évidés; très souvent, ce sont des mangues ou
pèches de longévité. Une légende se rattache
à ce dernier fruit : selon la fable, l'arbre qui
le produit ne fleurit que tous les trois mille
ans, el il faut de nouveau trois mille années pour
que les pêches en soient mûres : un certain
nombre de générations ont le temps de passer
avant d'y mordre.

D'autres porcelaines servent à recevoir les
aliments ou les boissons. Voici des gourdes et
des théières; voici des coupes de mariage en
forme de tête de buffle, symbole désobligeant
pour l'époux, semble-t-il, du moins d'après nos
idées.

Je vous signale surtout de délicieuses petites
lasses figurant des fleurs de pivoine : on les

BULLETIN DE L'ART POUR TOUS.

— N° 10A.
 
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