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LA CHRONIQUE DES ARTS
Soleil, pluie, brouillard ou gelée, tout était
noté avec soin, rendu avec une scrupuleuse
fidélité. On peut voir à l’exposition actuelle
bien des preuves de ce talent original et par-
fois exquis, par exemple dans les peintures à
l’huile : le Dimanche dam la cité de Londres,
VAvenue du Bois de Boulogne, le Jardin des
Tuileries et l’Homme aux oiseaux, Hyde Park
et la Serpentine; dans les pastels, la Vue prise
au pont de l'Alma, une merveille, les Premiers
bourgeons au jardin des Tuileries; dans les
aquarelles, Y Avenue de la Grande-Armée. Nul
n’a cette vue juste et pénétrante, nul cette
exécution à la fois si souple et si serrée. Mal-
heureusement M. de Nittis a voulu trop prou-
ver, et il a exposé les grandes ligures de fem-
me au pastel, dans lesquelles il n’est question
ni de modelé, ni de plans, ni de perspective,
et où tout est sacrifié aux colorations plus ou
moins agréables. Il peut être curieux de voir
un élève de M. Gérome se livrer à de pareils
excès; à la place de'M. de Nittis, je me conten-
terais d’avoir beaucoup de talent.
Le groupe qui expose rue des Pyramides a
renoncé aux désignations; il ne s’appelle plus
impressionniste, ni intransigeant, il ne se
rattache à ses devanciers que par un chiffre,
5e exposition. Quel que soit son titre, ce n’est
pas un groupe fermé, il est même trop ouvert,
car quelques-uns sont partis par la porte en-
trebâillée. MM. Renoir et Claude Monet n’en
sont plus. Pourquoi? ils faisaient partie
de l’état-major. Le général reste heureusement;
que deviendrait la petite armée sans lui?
M. Degas est là, ferme à son poste, comme
toujours un objet d’admiration et de curiosité
pour ceux qui aiment avant tout l’originalité
et le talent.
Il faut prendre M. Degas comme il est, on
ne le changera point; on n’aura jamais de lui
que des danseuses au travail, des éclairages
bizarres partant des fenêtres basses, des par-
quets sans perspective en pente bien dure. Et
pourtant quel portrait extraordinaire il expose!
En voyant une tète si vivante, si bien dessinée,
en étudiant l’art prodigieux avec lequel est
traité le pastel, on ne peut s’empêcher de sou-
pirer et de rêver à un autre Degas avec les
mêmes qualités et sans les mêmes travers ;
mais ce sont des chimères, et dans l’art comme
dans la nature on ne peut demander des roses
à un chardon.
Après M. Degas, nous trouvons, rue des Py-
ramides, un élève de M. Gérome, egalement
fourvoyé dans l’impressionnisme. M. de Nittis
n’est pas le seul, et comme lui M. Raffaelli n’a
pas abandonné la cause de l’étude et du dessin.
Que va-t-il faire dans cette galère? Sans
doute il a cédé au désir d’exposer beaucoup
de toiles et d’être plus regardé qu’à l’exposi-
tion des Champs-Elysées où cependant il a
toujours été très-remarqué. Je ne vois que le
choix ou plutôt l’absence de choix des sujets,
qui lui donne quelque parenté avec les im-
pressionnistes ; il s’est fait le peintre ordinaire
des chiffonniers et des balayeurs, qu’il repré-
sente dans les quartiers vagues et misérables
qui avoisinent les fortifications, mais avec quelle
pénétration il les voit et avec quel soin il les
peint! Qu’on regarde les deux ligures qui ap-
partiennent à M. Ileilbuth et on se convaincra
que M. Raffaelli est un grand dessinateur. Il
y a de lui un petit paysage qui montre le fin
coloriste : deux ânes sur un bout de gazon
vert pâle comme il en pousse dans la banlieue.
On peut reprocher à M. Raffaelli de forcer un
peu la note et de détacher son personnage
trop noir sur un fond trop clair; ce ne sont
pas là des défauts d’impressionniste, et M. Raf-
faelli me semble absolument fourvoyé entre
M. Forain et M. Caillebotte. Qu’il résiste à la
contagion, qu’il reste lui-même, et il aura un
bel avenir.
Mmcs Morisot, Bracquemond et Cassatt repré-
sentent diversement l’impressionnisme féminin.
Mmo Morisot assemble des brouillards gris qui
se condensent avec des apparences de portraits
de femme. Miss Cassatt, fidèle au théâtre, nous
montre une tache jaune dans du rouge. C’est
une femme dans une loge. Le Thé est un ta-
bleau raisonnable et les personnages ont
vraiment l’air de boire. M. Pissaro devient
plus simple. Le S ieur de bois est un assez joli
paysage. Pendant que M. Pissaro a l’air de s’a-
mender, M. Guillaumin, qui a repris son fonds,
s’en donne à son tour de gâcher du jaune,
du rouge et du vert.
Je laisse de côté le reste du groupe qui
manque d’unité. Il y a là des comparses sans
convictions qui sont pour faire nombre. Qui
nous aurait dit que nous aurions des regrets
à propos des impressionnistes et que la î>me
exposition nous reporterait en arrière ? Est-ce
le penchant général qui nous fait trouver au
passé des charmes que le présent n’a plus ?
Comment ! nous regrettons les raboteurs et la
vache de M. Caillebotte,ou les trains numérotés
de M. Monet ! Oui. Valaient-ils mieux par
hasard que ce que nous voyons aujourd’hui ?
Je ne sais, mais assurément ils étaient plus
comiques.
Arthur Baignères.
NOUVELLES
La réunion des sociétés savantes des
départements a fourni l’occasion à M. le mi-
nistre de l’instruction publique et des beaux-
arts de reconnaître le mérite d’un certain
nombre de savants et d’archéologues qui se
sont fait remarquer par d’importants travaux.
En outre des distinctions académiques, le
ministre a nommé chevaliers de la Légion
d’honneur: MM. Louis Blancard, Grand d’Eury,
Edmond Michel, et enfin notre éminent colla-
borateur et ami Benjamin Fillon, dont nous
n’avons pas à rappeler les titres aux lecteurs
de la Gazette des Beaux-Arts.
Un comité composé d’artistes éminents
et de personnalités du grand monde organise
une vente publique de tableaux et d’objets
d’art dont le produit sera remis entre les
mains du comité diocésain des écoles primai-
res chrétiennes.
Ce comité fait appel à toutes les bonnes vo-
lontés, non-seulement aux artistes, mais encore
LA CHRONIQUE DES ARTS
Soleil, pluie, brouillard ou gelée, tout était
noté avec soin, rendu avec une scrupuleuse
fidélité. On peut voir à l’exposition actuelle
bien des preuves de ce talent original et par-
fois exquis, par exemple dans les peintures à
l’huile : le Dimanche dam la cité de Londres,
VAvenue du Bois de Boulogne, le Jardin des
Tuileries et l’Homme aux oiseaux, Hyde Park
et la Serpentine; dans les pastels, la Vue prise
au pont de l'Alma, une merveille, les Premiers
bourgeons au jardin des Tuileries; dans les
aquarelles, Y Avenue de la Grande-Armée. Nul
n’a cette vue juste et pénétrante, nul cette
exécution à la fois si souple et si serrée. Mal-
heureusement M. de Nittis a voulu trop prou-
ver, et il a exposé les grandes ligures de fem-
me au pastel, dans lesquelles il n’est question
ni de modelé, ni de plans, ni de perspective,
et où tout est sacrifié aux colorations plus ou
moins agréables. Il peut être curieux de voir
un élève de M. Gérome se livrer à de pareils
excès; à la place de'M. de Nittis, je me conten-
terais d’avoir beaucoup de talent.
Le groupe qui expose rue des Pyramides a
renoncé aux désignations; il ne s’appelle plus
impressionniste, ni intransigeant, il ne se
rattache à ses devanciers que par un chiffre,
5e exposition. Quel que soit son titre, ce n’est
pas un groupe fermé, il est même trop ouvert,
car quelques-uns sont partis par la porte en-
trebâillée. MM. Renoir et Claude Monet n’en
sont plus. Pourquoi? ils faisaient partie
de l’état-major. Le général reste heureusement;
que deviendrait la petite armée sans lui?
M. Degas est là, ferme à son poste, comme
toujours un objet d’admiration et de curiosité
pour ceux qui aiment avant tout l’originalité
et le talent.
Il faut prendre M. Degas comme il est, on
ne le changera point; on n’aura jamais de lui
que des danseuses au travail, des éclairages
bizarres partant des fenêtres basses, des par-
quets sans perspective en pente bien dure. Et
pourtant quel portrait extraordinaire il expose!
En voyant une tète si vivante, si bien dessinée,
en étudiant l’art prodigieux avec lequel est
traité le pastel, on ne peut s’empêcher de sou-
pirer et de rêver à un autre Degas avec les
mêmes qualités et sans les mêmes travers ;
mais ce sont des chimères, et dans l’art comme
dans la nature on ne peut demander des roses
à un chardon.
Après M. Degas, nous trouvons, rue des Py-
ramides, un élève de M. Gérome, egalement
fourvoyé dans l’impressionnisme. M. de Nittis
n’est pas le seul, et comme lui M. Raffaelli n’a
pas abandonné la cause de l’étude et du dessin.
Que va-t-il faire dans cette galère? Sans
doute il a cédé au désir d’exposer beaucoup
de toiles et d’être plus regardé qu’à l’exposi-
tion des Champs-Elysées où cependant il a
toujours été très-remarqué. Je ne vois que le
choix ou plutôt l’absence de choix des sujets,
qui lui donne quelque parenté avec les im-
pressionnistes ; il s’est fait le peintre ordinaire
des chiffonniers et des balayeurs, qu’il repré-
sente dans les quartiers vagues et misérables
qui avoisinent les fortifications, mais avec quelle
pénétration il les voit et avec quel soin il les
peint! Qu’on regarde les deux ligures qui ap-
partiennent à M. Ileilbuth et on se convaincra
que M. Raffaelli est un grand dessinateur. Il
y a de lui un petit paysage qui montre le fin
coloriste : deux ânes sur un bout de gazon
vert pâle comme il en pousse dans la banlieue.
On peut reprocher à M. Raffaelli de forcer un
peu la note et de détacher son personnage
trop noir sur un fond trop clair; ce ne sont
pas là des défauts d’impressionniste, et M. Raf-
faelli me semble absolument fourvoyé entre
M. Forain et M. Caillebotte. Qu’il résiste à la
contagion, qu’il reste lui-même, et il aura un
bel avenir.
Mmcs Morisot, Bracquemond et Cassatt repré-
sentent diversement l’impressionnisme féminin.
Mmo Morisot assemble des brouillards gris qui
se condensent avec des apparences de portraits
de femme. Miss Cassatt, fidèle au théâtre, nous
montre une tache jaune dans du rouge. C’est
une femme dans une loge. Le Thé est un ta-
bleau raisonnable et les personnages ont
vraiment l’air de boire. M. Pissaro devient
plus simple. Le S ieur de bois est un assez joli
paysage. Pendant que M. Pissaro a l’air de s’a-
mender, M. Guillaumin, qui a repris son fonds,
s’en donne à son tour de gâcher du jaune,
du rouge et du vert.
Je laisse de côté le reste du groupe qui
manque d’unité. Il y a là des comparses sans
convictions qui sont pour faire nombre. Qui
nous aurait dit que nous aurions des regrets
à propos des impressionnistes et que la î>me
exposition nous reporterait en arrière ? Est-ce
le penchant général qui nous fait trouver au
passé des charmes que le présent n’a plus ?
Comment ! nous regrettons les raboteurs et la
vache de M. Caillebotte,ou les trains numérotés
de M. Monet ! Oui. Valaient-ils mieux par
hasard que ce que nous voyons aujourd’hui ?
Je ne sais, mais assurément ils étaient plus
comiques.
Arthur Baignères.
NOUVELLES
La réunion des sociétés savantes des
départements a fourni l’occasion à M. le mi-
nistre de l’instruction publique et des beaux-
arts de reconnaître le mérite d’un certain
nombre de savants et d’archéologues qui se
sont fait remarquer par d’importants travaux.
En outre des distinctions académiques, le
ministre a nommé chevaliers de la Légion
d’honneur: MM. Louis Blancard, Grand d’Eury,
Edmond Michel, et enfin notre éminent colla-
borateur et ami Benjamin Fillon, dont nous
n’avons pas à rappeler les titres aux lecteurs
de la Gazette des Beaux-Arts.
Un comité composé d’artistes éminents
et de personnalités du grand monde organise
une vente publique de tableaux et d’objets
d’art dont le produit sera remis entre les
mains du comité diocésain des écoles primai-
res chrétiennes.
Ce comité fait appel à toutes les bonnes vo-
lontés, non-seulement aux artistes, mais encore