Universitätsbibliothek HeidelbergUniversitätsbibliothek Heidelberg
Metadaten

La chronique des arts et de la curiosité — 1885

DOI issue:
Nr. 6 (7 Février)
DOI Page / Citation link:
https://doi.org/10.11588/diglit.18474#0056
Overview
Facsimile
0.5
1 cm
facsimile
Scroll
OCR fulltext
h6

LA CHRONIQUE DES ARTS

défend aussi le costume que porte l'actrice char-
gée du rôle de Théodora par la lettre suivante,
adressée à quelqu'un qui lui avait envoyé une re-
présentation coloriée des figures de Ravenne.

Nice, 25 janvier 1885.
Mon cher confrère,
J'ai reçu, à Paris, les deux gravures que vous
avez eu la complaisance de m'envoyer. Permettez-
moi donc de vous adresser ces remerciements
tardifs, mais très sincères.

Les fresques de Ravenne, que je connais de lon-
gue date, ont le tort d'être italiennes, c'est-à-dire
de n'avoir nullement le caractère byzantiD. L'ar-
tiste a fait une Théodora de fantaisie, grande,
nommasse, brutale et noire à faire peur, tandis
qu'elle était frêle, mignonne, toute petite, peut-
être même trop, et qu'elle avait bien plus la mine
d'une statuette de Tanagra que d'une Junon ou
d'une Minerve du Parthénon. De plus, il l'a costu-
mée à la ravennaise, c est-à-dire à la romaine,
c'est-à-dire à l'occidentale, tandis qu'elle était
vêtue à l'orientale. Il y a une différence notable
de mœurs, de vêtements, d'habitudes, entre la
Rome et la Byzance de ce temps-là, et la chapelle
de San-Vitale, précieuse pour l'architecture, reste
un document très suspect pour le costume. Ceci dit,
afin que, si vous voyez par hasard Théodora, vous
ne soyez pas surpris de trouver Sarah costumée
d'une façon qui ne rappelle nullement la fresque
de Ravenne.

A vous bien cordialement,

V. Sardou.

Nous avons souligné, afin d'abréger la critique,
toutes les erreurs dont fourmille ce billet, bien
court cependant.

M. V. Sardou connaît de si longue date, en effet,
les mosaïques de Ravenne qu'il en a oublié la na-
ture, et les croit des fresques, ce qui nous ferait
supposer qu'il n'en a jamais vu que les images.

De plus, elles sont italiennes ! Oui, en ce sens
qu'elles ont été exécutées en Ralie, mais elles sont
de caractère tellement byzantin qu'elles so it le
point de départ de toutes les études sur Fart et le
costume byzantins, d'autant plus que tous les
diptyques d'ivoire qui représentent des person-
nages impériaux sont d'accord avec elles.

Que M.V. Sardou consulte sur ce sujet Du Cange,
Labarte, les deux catalogues illustrés des ivoires
et de leurs moulages du musée de South-Ken-
sington ; toutes les revues et tous les livres qui
s'occupent de l'art décoratif ancien, et il pourra
reconnaître l'inanité de son affirmation.

Que la Théodora de San-Vitale, — c'est une église
et non une chapelle, — qui est placée sur le côté
du chœur de cette église et non dans une cha-
pelle,— car la phrase du billet peut permettre d'er-
goter, — que cette Théodora soit vêtue à la ro-
maine, voilà une seconde affirmation qui passe toute
vraisemblance. Si M. V. Sardou eût dit cela de la
Galla Placidia du diptyque de Monza, je le lui
accorderais.

Mais qu'il compare l'ivoire et la mosaïque, il
reconnaîtra la grandeur et le caractère de la révo-
lution qui s'est produite dans l'art en Italie pen-
dant le cours d'un siècle : du milieu du ve au
milieu du vie.

Si les mosaïques de Ravenne sont un document

si suspect pour le costume, pourquoi M. V. Sardou
leur a-t-il emprunté ceux de Justinien et des
hommes de sa cour, de l'évêque du premier ta-
bleau, des gardes du palais et des comparses
femmes ?

C'était bon pour ceux-ci et pour celles-là ap-
paremment, mais non pour Tnéodora et pour
Antonine, la femme de Bélisaire. Or, dans la
crainte de les habiller à la romaine du vie siècle, il
les a vêtues à la française du xnc. Leurs costu-
mes, en effet, sont empruntés, sauf les enjolive-
ments, au portail occidental de Chartres. Est-ce
assez faire fond sur la crédulité et l'ignorance
du public ?

De plus il fait manger par Théodora, avec une
fourchette, son fricot désormais légendaire. Or
Théodora mangeait avec ses doigts ou à l'aide
d'un couteau, comme tout le monde l'a fait, ri-
ches et pauvres, grands et peuple, jusqu'à la fin
du xvie siècle, et comme on le fait encore en
Orient.

Les prétendus scrupules qui ont arrêté M. Vic-
torien Sardou, quant au costume, devant l'image
en mosaïque de Théodora, eussent dû, s'il avait
été conséquent avec lui-même, l'empêcher de
choisir l'actrice à qui il a fait jouer ce personnage.
« L'impératrice, dit-il, était frêle, mignonne et toute
petite, » et il a été prendre une femme qui est
précisément tout le contraire !

Décidément, nous avions cru M. Victorien Sar-
dou sérieux et sérieusement érudit. Sa lettre
montre que nous nous étions trompé.

Alfred Darcel.

NÉCROLOGIE

M. de Liesville, l'érudit collectionneur et
conservateur adjoint de la bibliothèque et du mu-
sée Carnavalet, vient de mourir après un mois de
douloureuse maladie. Cette mort est une grande
perte pour la ville de Paris et pour le monde de
l'art et de la curiosité. M. de Liesville était, avec
M. Cousin, le fondateur du musée historique et
révolutionnaire de la ville de Paris. Son impor-
tante collection en avait constitué le fonds prin-
cipal, soit les neuf dixièmes environ de ce que
contient l'hôtel Carnavalet.

Cette collection comprend cinq grandes séries
générales : la céramique, les coins, la numisma-
tique, les estampes et la bibliothèque, consacrées
exclusivement aux révolutions de 1789, de 1830,
de 1848 et de 1870.

En outre de son musée révolutionnaire, M. de
Liesville avait formé une quantité considérable de
pièces de céramique. Par son testament, il lègue
à Sèvres tout ce qui, d*ns cette collection, pré-
sente un intérêt technologique, et au musée des
arts décoratifs toutes les œuvres d'art. M. de Lies-
ville a légué en outre à la ville de Paris sa mai-
son des Batignolles et une somme de 60.000 fr.,
destinée à y installer une école de dessin pour les
enfants du quartier.

Les funérailles de cet homme de bien, qui fut
en même temps le type achevé du galant homme,
 
Annotationen