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La chronique des arts et de la curiosité — 1891

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Nr. 30 (19 Septembre)
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https://doi.org/10.11588/diglit.19739#0248
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238 LA CHRONIQUE DES ARTS

« Delaunay, répondis-je, c'est le plus fort de
nous tous. » De plus, aurai-je pu ajouter, c'est
un grand poèie !

« Cette opinion, Messieurs, ce n'était pas la pre-
mière fois que je l'émettais. Elle datait de loin
dans mon esprit, car Delaunay avait été mon ca-
marade et, de longue date, je connaissais bien sa
haute valeur.

« En effet, Delaunay, à une science de la forme,
à un sentiment du dessin incomparables et dignes
des plus grands maîtres, à une couleur puissante,
bien à lui et très dramatique, joignait à ces quali-
tés d'un artiste d'élite une hauteur de pensée, une
fraîcheur d'impression, une jeunesse d'invention
dont seuls les grands poètes ont eu le secret et
ressenti le souffle inspiré.

« Sa science, il la devait, en grande partie, à
l'éducation sévère qu'il avait reçue clans un milieu
alors tout vibrant des préceptes austères de M.
Ingres. Plus tard, son originalité et son haut
goût avaient complété ce que cette éducation pre-
mière avait de trop exclusif pour ses aspirations,
et, sa fantaisie aidant, ainsi que le profond senti-
ment du beau qui était inné en lui, il avait acquis
cette puissance, cette sûreté, cette liberté savante
dans la reproduction de la forme et du dessin qui
font de lui une des plus hautes personnalités ar-
tistiques de notre temps.

« C'est dans son rêve aussi, rêve inquiet, qui lui
était si cher et dont il était si jaloux, qu'il a su trou-
ver ces compositions si variées, d'un caractère si
personnel et imprévu, parfois terribles dans leur
beauté, comme « la Peste » du Luxembourg, ter-
rifiante comme une vision dantesque, parfois ex-
quises dans leur candeur, comme ses nymphes et
ses Dianes, qui évoquent des souvenirs de l'anti-
quité la plus pure et la plus radieuse. Et toujours,
qu'il lit un simple croquis, une tête, un portrait,
et Dieu sait s'il en a fait do beaux, on retrouvait,
dans toute ses œuvres, la forte empreinte de son
originalité et de sa pensée.

« Cher grand peintre inspiré ! nous ne te verrons
plus I Nous ne te verrons plus, mon pauvre Delau-
nay, avec ton humeur capricieuse et fantaisiste,
avec ta bonté cachée... Mais tes grandes œuvres
vivront et de jour en jour rendront ton nom plus
éclatant. Quant à ton âme, elle est déjà dans ces
régions éternelles que ton éducation et ta foi bre-
tonnes t'avaient révélées, dans ces mondes mysté-
rieux qui t'attiraient toujours, et que, rêveur at-
tendri, lu contemplais jadis, avec passion, pen-
dant les claires et grandes nuits étoilées. »

Th. Ribot

L'Ecole française de peinture est cruellement
éprouvée : Th. Ribot vient également de succom-
ber à une maladie du cœur dont on le savait atteint
depuis quelques mois. Nous publierons une étude
sur ce vaillant peintre dans la prochaine livraison
de la Gazette. Bornons-nous à dire que Th. Ri-
bot, né près de Breteuil le 8 avril 1823, est mort
vendredi dernier dans sa modeste demeure de
Colombes, près Paris. Ribot était officier de la
Légion d'honneur ; les honneurs militaires ont
été rendus à sa dépouille mortelle par une com-
pagnie du 155e de ligne. Au cimetière Montmartre,
M. Henry Havard a prononcé un éloquent dis-
cours dont nous reproduisons quelques passages :

« La vie de Théodule Ribot, a-t-il dit, est, à quel-
que point de vue qu'on se p!aee, une vie exem-
plaire, et l'on ne sait ce qu'il faut le plus admirer
en cet artiste unique, ou de la grandeur de son
caractère ou de la puissance de son talent.

« Vous tous que le respect et l'admiration ont
conduits à cette place, et vous, surtout, qui fûtes
les témoins assidus de cette carrière incompara-
ble, souvenez-vous de ses débuts douloureux, rap-
pelez-vous les batailles homériques que Ribot
soutint, sans un instant de défaillance, contre les
privations et la misère, ses combats de chaque
jour contre la faim, la lutte désespérée mais tou-
jours digne, exempte de récriminations vaines qu'il
endura contre le désespoir.

« Détourné tout d'abord par un père un peu
trop prudent de la carrière qui devait immortali-
ser son nom, empêché jusqu'à vingt et un ans de
manier un pinceau il ne trouva même pas, à la
mort de celui qui méconnaissait son talent, la
compensation d'une indépendance assurée. Privé
de tout appui, il lui fallut demander son pain
quotidien aux occupations les plus diverses. Tour
à tour contremaître, peintre d'enseignes, teneur
de livres, illustrateur de romances, pastichant à
l'heure, pour des marchands, les œuvres de Bou-
cher, de Lancret, de Watteau, essayant tous les
métiers, pour ne pas mourir d'inanition, accep-
tant, pour nourrir sa femme et ses enfants, toutes
les besognes honnêtes, c'est à cette rude école que
son cœur se trempa ; c'est au milieu de ses an-
goisses sans cesse renaissantes que se développa
ce talent si personnel, c'est là qu'il acquit cette
observation si pénétrante et cette sciense savou-
reuse d'exécution qui lui permirent de se tailler
dans notre école, déjà si encombrée, un domaine à
part.

« Au milieu de tant d'épreuves, il se forma lui-
même, et si complètement que, lorsqu'ayant ac-
compli les stations de son douloureux calvaire,
il lui fut enfin permis de pénétrer dans un vérita-
ble atelier, quand il vint demander à Glaize ses
leçons et ses conseils, Glaize s'aperçut qu'il n'avait
plus rien à enseigner à celui qui sollicitait de de-
venir son élève ».

BIBLIOGRAPHIE

Sous le titre Chroniques d'Orient, la librairie
Firmin-Didot vient de mettre en vente un intéres-
sant et très instructif volume d'archéologie, par
M. Salomon Reinach. Lee lecteurs de la Gazette
savent avec quelle compétence et quelle précieuse
clarté notre éminent collaborateur s'occupe de l'art
antiqne. Ce nouveau volume comprend l'ensemble
des Chroniques publiées par l'auteur, de 1883 à
1890, dans la Revue archéologique, et qui sont
des comptes rendus, écrits au jour le jour, des
fouilles et découvertes, d'après les nombreuses
correspondances que M. S. Reinach, ancien mem-
bre de l'École d'Athènes, reçoit d'Orient. Il y a
joint les articles spéciaux publiés par lui clans di-
vers revues; chacun de ces articles venant prendre
sa place à la suite des Chroniques où le même
sujet est traité.

M. S. Reinach n'a pas voulu aborder, dans ce
livre, les idées générales que ne comporte pas
l'état actuel de la science; il s'est borné à grou-
 
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