ILE CHARIVARI.
qui fit tatouer sur son bras gauche deux P entrelacés :
Pritchard ! Pomaré !
Pomaré ! Pomaré ! femme divine, arbitre de mon
existence, me seras-tu fidèle jusques au jour, au jour
du retour?
m On cherche à me consoler ; on me dit : « Vous a-
! | ez dégoté le comte d'Orsay, Brummel n'a pas eu le
^quartde votre popularité; vous êtes un lion.)> Non,
je suis un tigre, un véritable tigre dejalousie, quand
je songe que je suis à tant de mille lieues de ma bien-
aimée ; à cette distance une infidélité est bien vite
commise! J'en frémis d'indignation comme vingt-
quatre meetings biblistes; rien que d'y songer j'en
ai la chair de poulet.
Pomaré ! Pomaré ! femme divine, arbitre de mon
existence, me seras-tu fidèle jusques au jour, au jour
du retour ?
Quand pourrai-je revoir les plages fleuries de
Taïti? quand pourrai-je prêcher la morale et vendre
de l'eau-de-vie à mes bons insulaires ? Le véritable
pasteur doit pourvoir à tous les besoins de son trou-
peau. J'étais votre père et votre épicier, votre conso-
lateur spirituel et votre marchand de toiles peintes.
Comme vous devez me regretter ! Mais elle, me re-
grette-t-elle? Que m'importe votre affection, si la
sienne m'abandonne! Pritchard ne vit que pour elle
et par elle. Il a son cœur, il a sa foi ; pourrait-elle
être amoureuse d'un autre berger que lui? Ah! nom
d'une Bible, si je le croyais.....
Pomaré ! Pomaré ! femme divine, arbitre de mon
existence, me seras-tu fidèle jusques au jour, au jour
du retour?
Voici bientôt un mois que je suis en Europe, et le
désaveu du gouvernement français n'est pas encore
arrivé. Qui aurait jamais cru qu'il fallût autant de
temps pour forcer M. Guizot à désavouer quelque
chose ? Sir Bobert Peel y met évidemment de la né-
gligence. Lord Palmerston se serait montré un peu
plus vif; il y a déjà bien longtemps qu'il aurait ba-
layé tout cela et fait passer la France par le trou d'une
aiguille. Lord Aberdeen m'encourage à prendre pa-
tience ; il me dit que cela ne peut pas tarder, et que
le désaveu viendra sans qu'on ait besoin d'agir pal-
merstonnement. J'y compte. Mais si, en attendant,
Bruat et d'Aubigny.....Mais non, elle leur résiste-
rait, j'en suis sûr ; elle me l'a juré sur la croix de
coco qui lui servait de dieu avant mon arrivée.
Tonnez, meetings ! tempêtez, missionnaires ! for-
cez le gouvernement à faire prendre la mer à une
escadre. Un mois encore loin d'elle, et la perle des
consuls,la fleur des révérends,Pritchard ne sera plus !
Quelle perte pour l'Angleterre et pour mes créanciers !
Mais non, M. Guizot désavouera tout ce qu'on vou-
dra, je la reverrai, j'entrerai dans son ajoupa d'a-
mour ! Ce souvenir fait couler mes larmes.
Pomaré ! Pomaré ! femme divine, arbitre de mon
existence, sois-moi fidèle jusques au jour, au jour du
retour !
CENTRALISATION DES LÉGUMES
ET DES MORUES DE PARIS.
Depuis long -
temps , 31. de
Bambuteau vo-
yait avec chagrin
que dans un siè-
cle où de simples
magasins sont
grands comme
des halles,les hal-
les ne songeassent
pas encore à de-
venir aussi gran-
des que des ar-
rondissemens.
Jusqu'à présent,
la ville de Paris
n'avait, autour
de la Pointe-St-
Eustache, qu'une demi-douzaine de petites halles,
dont la plus vaste n'est pas tout à fait aussi sérieuse
qu'un magasin de nouveautés. Ajoutez à cela que
chacune a conserve l'habitude classique de s'adonner
exclusivement à une seule spécialité. Il y a des mar-
chés spéciaux pour les poissons, pour les cuirs, pour
les viandes, pour le vieux linge, pour les légumes et
les salades. L'un sent tout bonnement la marée, l'au-
tre le vieux tan, un autre les choux et les poireaux ;
d'où il suit que les personnes qui ont le nez difficile
peuvent encore diriger leur itinéraire de manière à
traverser celle de ces odeurs qui lui fait le plus de
plaisir.
M. de Bambuteau a pensé qu'il serait beaucoup
plus ingénieux de réunir toutes ces diverses denrées
sous le même toit, et de confondre les mille odeurs
du pâté des Halles en un seul et énorme bouquet.
Les journaux disent qu'on a résolu de construire
à cet effet une immense halle, capable d'abriter plu-
sieurs milliers de poissardes, de fruitières, de ma-
raîchères et de verdurières.
Ce bazar monumental,qui sera deux fois plus grand
qu'une principauté allemande, sera divisé en huit
grands départemens, consacrés chacun à une spé-
cialité différente.
De cette manière, le consommateur aura toutes les
facilités possibles pour trouver sans trop s'égarer le
comestible de son choix.
Je suppose que vous vouliez manger une poivrade,
vous êtes à la Grande-Halle, et vous ne vous voyez
entouré que de morues. Vous vous adressez à une
marchande :
le plus expéditivement possible, afin de faire place
aux carottes et aux pommes de terre.
Il s'ensuivra nécessairement que pour se couvrir
de tous ses frais, la ville de Paris sera obligée de
louer les places de verdurières et de poissardes le
.plus cher possible, et que les verdurières se trouve
ront à leur tour obligées d'exagérer leurs prix.
D'ici au 1«' janvier 1845, les légumes de toutes
sortes subiront une hausse considérable; un jour
vendra où les dames de la halle seront forcées de co-
ter un simple panais à un taux inusité.
Les navets sont cotés, fin courant, avec cinq cen-
times de hausse ; on se livre à des spéculations achar-
nées sur les haricots de Soissons.
Une foule de cuisinières ont déjà écrit des lettres
d'injures à M. le préfet, qui les a déchiffrées d'autant
mieux qu'il y a reconnu sa propre orthographe.
On attend, comme pendant, une halle aux mar-
chés politiques. Sans doute elle ne sera pas moins
vaste ni moins inodore.
« Madame, dites-vous, pourriez-vous me dire où
je trouverais un artichaut ?
— C'est très facile, vous dira-t-on, allez-vous-en
à la halle A, quartier B, section D. »
Vous cherchez pendant un quart d'heure, vous
vous égarez dans les volailles, mais vous ne trouvez
ni A ni B. Vous réadressez à un marchand :
« Monsieur, pourriez-vous médire où je trouverais
halle A, quartier B, section D ?
— Bien de plus simple ; vous n'avez guère que pour
un petit quart d'heure de chemin. Vous allez suivre
tout droit la rue des pommes de terre ; vous prendrez
ensuite le passage des concombres, la ruelle des na-
vets et le cul-de-sac des pissenlits ; vous traverserez
la place des haricots et le carrefour des choux-fleurs,
LA PLUIE ET LES NAGEURS.
fil/ //// ., Chaque an-
née, vers le mois
de mai, les ba-
dauds qui sta-
tionnent sur le
pont des Arts,
surlepontRoyal
ou sur tout au-
tre pont égale-
ment propice au
stationnement
des badauds ,
voient construi-
re sur la Seine
d'immenses ba-
raques établies
sur des pon-
tons , que des
architectes officiels qualifient pompeusement de Pa-
lais de la natation.
Nous avouons n'avoir jamais parfaitement com-
pris l'utilité de ces établissemens aquatiques, atten-
du que sous le beau ciel non napolitain de Paris, le
soleil, qui ne se montre que rarement au printemps,
en agit encore plus mesquinement pendant l'été.
Qui peut se vanter d'avoir vu le soleil depuis deux
mois, excepté chez Séraphin, conjointement avec
madame la lune !
Les constructeurs des écoles de natation me rap-
pellent l'histoire de cette pauvre jeune fille dont par-
lent tous les faiseurs de romances : L'insensée attend
chaque jour sur la route un amant qui ne doit pas
revenir. De même tout le long de la rivière on attend
constamment, depuis plus de dix ans, un soleil qui
s'obstine à rester en Afrique, dont il fait le plus bel
et le plus chaud ornement.
vous tournerez à gauche, dans l'esplanade de la chi- C'est en vain que les vieillards, qui ont l'expérien-
corée verte, et au bout de l'avenue des panais, vous ce des choses et des soleils de ce monde, disent aux
trouverez la rue des artichauts. » I constructeurs d'écoles de natation : « Mes bons amis,
Pour plus de commodité, un plan figuratif sera >j ne vous entêtez donc pas à compter sur le soleilpour
probablement affiché dans tous les corps de halle ; \ l'été prochain ; le soleil est une chimère, un mythe,
une ligne d'omnibus s'y établira sans doute à l'usage
des personnes qui achèterout leur pot au feu. Les
voitures mèneront les voyageurs de la rue du Gîte-à-
la-Noix à celle des Carotles, avec correspondance sur
la station des oignons brûlés.
Il va sans dire que les voyageurs auront soin de se
boucher le nez en traversant la section des morues,
et qu'ils feront leur possible pour ne pas pleurer tou-
tes les larmes de leur corps en passant dans le quar-
tier des oignons.
On conçoit que pour réaliser le plan d'une halle
aussi gigantesque, la ville de Paris va être obligée de
faire des sacrifices. Il est certain aujourd'hui qu'aux
abords de l'église Saint-Eustache, M. de Bambuteau
est décidé à faire démolir cent cinquante-sept mai-
sons. C'est un peu plus de maisons que n'en a dé-
truit le tremblement de terre de la Pointe-à-Pître.
Or en supposant que chaque maison, l'une dans l'au-
tre, soit habitée par vingt Ménages, cela fait tout
juste 3,140 familles que l'on.va prier de déménager
une utopie, un cancan, un bruit que la police fait
courir. »
Les osbtinés castors n'en construisent pas moins
leurs établissemens tout le long de la rivière, et puis
qu'arrive-t-il ? c'est que la Trinité se passe, l'Assomp-
tion pareillement, et le soleil ne revient pas !
Axiome général admis en principe à tout école de
natation, c'est qu'il faut trois jours de chaleur pour
chauffer convenablement l'eau de la Seine pour le»
baigneurs, à moins que les baigneurs n'aient un tem-
pérament de caniches, et encore de Terre-Neuve.
Or, autre règle non moins générale,c'est qu'à Paris
on ne jouit peut-être pas trois fois dans l'année de
trois jours consécutifs de chaleur. Dès la fin du se-
cond, les ,çj.leçons rouges de l'école de natation se
frottent les mains et se disent : « Bon ! ça va bien,
demain l'eau sera excellentc,ce sera une vraie lessive.
Mais, hélas ! pendant la nuit arrive un orage im-
prévu, — que dis-je ! un orage trop prévu vient net-
(La suite à la
l
j
qui fit tatouer sur son bras gauche deux P entrelacés :
Pritchard ! Pomaré !
Pomaré ! Pomaré ! femme divine, arbitre de mon
existence, me seras-tu fidèle jusques au jour, au jour
du retour?
m On cherche à me consoler ; on me dit : « Vous a-
! | ez dégoté le comte d'Orsay, Brummel n'a pas eu le
^quartde votre popularité; vous êtes un lion.)> Non,
je suis un tigre, un véritable tigre dejalousie, quand
je songe que je suis à tant de mille lieues de ma bien-
aimée ; à cette distance une infidélité est bien vite
commise! J'en frémis d'indignation comme vingt-
quatre meetings biblistes; rien que d'y songer j'en
ai la chair de poulet.
Pomaré ! Pomaré ! femme divine, arbitre de mon
existence, me seras-tu fidèle jusques au jour, au jour
du retour ?
Quand pourrai-je revoir les plages fleuries de
Taïti? quand pourrai-je prêcher la morale et vendre
de l'eau-de-vie à mes bons insulaires ? Le véritable
pasteur doit pourvoir à tous les besoins de son trou-
peau. J'étais votre père et votre épicier, votre conso-
lateur spirituel et votre marchand de toiles peintes.
Comme vous devez me regretter ! Mais elle, me re-
grette-t-elle? Que m'importe votre affection, si la
sienne m'abandonne! Pritchard ne vit que pour elle
et par elle. Il a son cœur, il a sa foi ; pourrait-elle
être amoureuse d'un autre berger que lui? Ah! nom
d'une Bible, si je le croyais.....
Pomaré ! Pomaré ! femme divine, arbitre de mon
existence, me seras-tu fidèle jusques au jour, au jour
du retour?
Voici bientôt un mois que je suis en Europe, et le
désaveu du gouvernement français n'est pas encore
arrivé. Qui aurait jamais cru qu'il fallût autant de
temps pour forcer M. Guizot à désavouer quelque
chose ? Sir Bobert Peel y met évidemment de la né-
gligence. Lord Palmerston se serait montré un peu
plus vif; il y a déjà bien longtemps qu'il aurait ba-
layé tout cela et fait passer la France par le trou d'une
aiguille. Lord Aberdeen m'encourage à prendre pa-
tience ; il me dit que cela ne peut pas tarder, et que
le désaveu viendra sans qu'on ait besoin d'agir pal-
merstonnement. J'y compte. Mais si, en attendant,
Bruat et d'Aubigny.....Mais non, elle leur résiste-
rait, j'en suis sûr ; elle me l'a juré sur la croix de
coco qui lui servait de dieu avant mon arrivée.
Tonnez, meetings ! tempêtez, missionnaires ! for-
cez le gouvernement à faire prendre la mer à une
escadre. Un mois encore loin d'elle, et la perle des
consuls,la fleur des révérends,Pritchard ne sera plus !
Quelle perte pour l'Angleterre et pour mes créanciers !
Mais non, M. Guizot désavouera tout ce qu'on vou-
dra, je la reverrai, j'entrerai dans son ajoupa d'a-
mour ! Ce souvenir fait couler mes larmes.
Pomaré ! Pomaré ! femme divine, arbitre de mon
existence, sois-moi fidèle jusques au jour, au jour du
retour !
CENTRALISATION DES LÉGUMES
ET DES MORUES DE PARIS.
Depuis long -
temps , 31. de
Bambuteau vo-
yait avec chagrin
que dans un siè-
cle où de simples
magasins sont
grands comme
des halles,les hal-
les ne songeassent
pas encore à de-
venir aussi gran-
des que des ar-
rondissemens.
Jusqu'à présent,
la ville de Paris
n'avait, autour
de la Pointe-St-
Eustache, qu'une demi-douzaine de petites halles,
dont la plus vaste n'est pas tout à fait aussi sérieuse
qu'un magasin de nouveautés. Ajoutez à cela que
chacune a conserve l'habitude classique de s'adonner
exclusivement à une seule spécialité. Il y a des mar-
chés spéciaux pour les poissons, pour les cuirs, pour
les viandes, pour le vieux linge, pour les légumes et
les salades. L'un sent tout bonnement la marée, l'au-
tre le vieux tan, un autre les choux et les poireaux ;
d'où il suit que les personnes qui ont le nez difficile
peuvent encore diriger leur itinéraire de manière à
traverser celle de ces odeurs qui lui fait le plus de
plaisir.
M. de Bambuteau a pensé qu'il serait beaucoup
plus ingénieux de réunir toutes ces diverses denrées
sous le même toit, et de confondre les mille odeurs
du pâté des Halles en un seul et énorme bouquet.
Les journaux disent qu'on a résolu de construire
à cet effet une immense halle, capable d'abriter plu-
sieurs milliers de poissardes, de fruitières, de ma-
raîchères et de verdurières.
Ce bazar monumental,qui sera deux fois plus grand
qu'une principauté allemande, sera divisé en huit
grands départemens, consacrés chacun à une spé-
cialité différente.
De cette manière, le consommateur aura toutes les
facilités possibles pour trouver sans trop s'égarer le
comestible de son choix.
Je suppose que vous vouliez manger une poivrade,
vous êtes à la Grande-Halle, et vous ne vous voyez
entouré que de morues. Vous vous adressez à une
marchande :
le plus expéditivement possible, afin de faire place
aux carottes et aux pommes de terre.
Il s'ensuivra nécessairement que pour se couvrir
de tous ses frais, la ville de Paris sera obligée de
louer les places de verdurières et de poissardes le
.plus cher possible, et que les verdurières se trouve
ront à leur tour obligées d'exagérer leurs prix.
D'ici au 1«' janvier 1845, les légumes de toutes
sortes subiront une hausse considérable; un jour
vendra où les dames de la halle seront forcées de co-
ter un simple panais à un taux inusité.
Les navets sont cotés, fin courant, avec cinq cen-
times de hausse ; on se livre à des spéculations achar-
nées sur les haricots de Soissons.
Une foule de cuisinières ont déjà écrit des lettres
d'injures à M. le préfet, qui les a déchiffrées d'autant
mieux qu'il y a reconnu sa propre orthographe.
On attend, comme pendant, une halle aux mar-
chés politiques. Sans doute elle ne sera pas moins
vaste ni moins inodore.
« Madame, dites-vous, pourriez-vous me dire où
je trouverais un artichaut ?
— C'est très facile, vous dira-t-on, allez-vous-en
à la halle A, quartier B, section D. »
Vous cherchez pendant un quart d'heure, vous
vous égarez dans les volailles, mais vous ne trouvez
ni A ni B. Vous réadressez à un marchand :
« Monsieur, pourriez-vous médire où je trouverais
halle A, quartier B, section D ?
— Bien de plus simple ; vous n'avez guère que pour
un petit quart d'heure de chemin. Vous allez suivre
tout droit la rue des pommes de terre ; vous prendrez
ensuite le passage des concombres, la ruelle des na-
vets et le cul-de-sac des pissenlits ; vous traverserez
la place des haricots et le carrefour des choux-fleurs,
LA PLUIE ET LES NAGEURS.
fil/ //// ., Chaque an-
née, vers le mois
de mai, les ba-
dauds qui sta-
tionnent sur le
pont des Arts,
surlepontRoyal
ou sur tout au-
tre pont égale-
ment propice au
stationnement
des badauds ,
voient construi-
re sur la Seine
d'immenses ba-
raques établies
sur des pon-
tons , que des
architectes officiels qualifient pompeusement de Pa-
lais de la natation.
Nous avouons n'avoir jamais parfaitement com-
pris l'utilité de ces établissemens aquatiques, atten-
du que sous le beau ciel non napolitain de Paris, le
soleil, qui ne se montre que rarement au printemps,
en agit encore plus mesquinement pendant l'été.
Qui peut se vanter d'avoir vu le soleil depuis deux
mois, excepté chez Séraphin, conjointement avec
madame la lune !
Les constructeurs des écoles de natation me rap-
pellent l'histoire de cette pauvre jeune fille dont par-
lent tous les faiseurs de romances : L'insensée attend
chaque jour sur la route un amant qui ne doit pas
revenir. De même tout le long de la rivière on attend
constamment, depuis plus de dix ans, un soleil qui
s'obstine à rester en Afrique, dont il fait le plus bel
et le plus chaud ornement.
vous tournerez à gauche, dans l'esplanade de la chi- C'est en vain que les vieillards, qui ont l'expérien-
corée verte, et au bout de l'avenue des panais, vous ce des choses et des soleils de ce monde, disent aux
trouverez la rue des artichauts. » I constructeurs d'écoles de natation : « Mes bons amis,
Pour plus de commodité, un plan figuratif sera >j ne vous entêtez donc pas à compter sur le soleilpour
probablement affiché dans tous les corps de halle ; \ l'été prochain ; le soleil est une chimère, un mythe,
une ligne d'omnibus s'y établira sans doute à l'usage
des personnes qui achèterout leur pot au feu. Les
voitures mèneront les voyageurs de la rue du Gîte-à-
la-Noix à celle des Carotles, avec correspondance sur
la station des oignons brûlés.
Il va sans dire que les voyageurs auront soin de se
boucher le nez en traversant la section des morues,
et qu'ils feront leur possible pour ne pas pleurer tou-
tes les larmes de leur corps en passant dans le quar-
tier des oignons.
On conçoit que pour réaliser le plan d'une halle
aussi gigantesque, la ville de Paris va être obligée de
faire des sacrifices. Il est certain aujourd'hui qu'aux
abords de l'église Saint-Eustache, M. de Bambuteau
est décidé à faire démolir cent cinquante-sept mai-
sons. C'est un peu plus de maisons que n'en a dé-
truit le tremblement de terre de la Pointe-à-Pître.
Or en supposant que chaque maison, l'une dans l'au-
tre, soit habitée par vingt Ménages, cela fait tout
juste 3,140 familles que l'on.va prier de déménager
une utopie, un cancan, un bruit que la police fait
courir. »
Les osbtinés castors n'en construisent pas moins
leurs établissemens tout le long de la rivière, et puis
qu'arrive-t-il ? c'est que la Trinité se passe, l'Assomp-
tion pareillement, et le soleil ne revient pas !
Axiome général admis en principe à tout école de
natation, c'est qu'il faut trois jours de chaleur pour
chauffer convenablement l'eau de la Seine pour le»
baigneurs, à moins que les baigneurs n'aient un tem-
pérament de caniches, et encore de Terre-Neuve.
Or, autre règle non moins générale,c'est qu'à Paris
on ne jouit peut-être pas trois fois dans l'année de
trois jours consécutifs de chaleur. Dès la fin du se-
cond, les ,çj.leçons rouges de l'école de natation se
frottent les mains et se disent : « Bon ! ça va bien,
demain l'eau sera excellentc,ce sera une vraie lessive.
Mais, hélas ! pendant la nuit arrive un orage im-
prévu, — que dis-je ! un orage trop prévu vient net-
(La suite à la
l
j