LE CHARIVARI.
Quinze à dix-huit cents tableaux ont été barbare-
ment refusés. Aussi le suisse du Louvre, qui est le
seul représentant visible du jury, a-t-il continué,
comme toujours, à être quelque peu étranglé par les
rapins exaspérés.
La place de suisse à la porte du Louvre n'est pas
déjà une sinécure aussi agréable qu'on se l'imagine
généralement en société.
Faisons comme le public, précipitons-nous dans la
grande galerie du Louvre, et allons admirer tout ce
que l'art français est parvenu à confectionner dans
l'espace de douze mois.
La première impression qui résulte à l'aspect de
ces trois mille tableaux, c'est qu'on a fait d'immen-
ses progrès dans l'art... de l'encadrement.
Presque toutes les dorures exposées cette année
sont dignes des plus grands éloges, et si j'étais mil-
lionnaire, je n'hésiterais pas à payer, même fort
cher, un certain nombre des tableaux de l'exposi-
tion de cette année.
Par exemple, je ferais enlever les toiles et je les
remplacerais par des glaces.
Mais avant de critiquer les tableaux, passons d'a-
bord en revue les critiques eux-mêmes du Salon de
1846.
Voici M. Gustave Planche qui nous arrive d'Italie
pour reprendre la férule de la Revue des Deux-
Mondes. Son costume continue à être infiniment plus
négligé que son style.
Que voulez-vous ! on ne peut pas tout soigner en
même temps!
Non loin de M. Gustave Planche, nous apercevons
la tète absalonienne de M. Théophile Gautier, cet
homme de tant d'esprit et de cheveux.
M. Théophile Gautier est en admiration devant un
Delacroix ; ne le dérangeons pas ; chacun prend son
plaisir où il le trouve.
Plus loin, nous rencontrons le critique des Dé-
bats, cet excellent M. Delécluse, qui, à l'instar
du maire de Meaux, dit toujours : « Très bien !
très bien ! »
Plus loin encore, voici le Constitutionnel person-
nifié en la barbe de M. Thoré, et le Siècle, qui prend
des notes avec le crayon de M. Alfred de Menciaux,
escorté de M. Lépaule, qui lui dit le plus grand bien
des tableaux de M. Lépaule.
Nous passons sous silence les trois cent vingt-sept
Aristarques, tous plus impartiaux les uns que les au-
tres et ne prenant tout qu'au point de vue de l'art.
0 l'art, le grand art, le saint art !
Quant au Charivari, il était représenté parle plus
petit de ses rédacteurs et le plus grand de ses des-
sinateurs; mais tous deux également amateurs du
vrai beau.
V
^> O r A \ \ l O / ") /H) lit IV
Ceci posé commençons par où les autres critiques
finissent d'ordinaire,—par les portraits.
Le public passe rapidement devant ces figures iso-
lées vues de face, de trois quarts ou de profil, — le
public a tort.
Sans les portraits, le Salon perdrait beaucoup de
ses charmes à nos yeux, car ce n'est qu'au Salon
qu'on peut apprendre à- connaître ses contemporains,
ce n'est que là qu'on trouve véritablement les Fran-
çais peints par eux-mêmes, et ils sont plus réjouis-
sans que ceux de l'éditeur Curmer.
Nous pourrions nous imaginer en voyant cette col-
lection de figures vertes, jaunes, lilas ou cramoisies,
que les Français forment la nation la plus laide de
l'Europe.
Mais heureusement notre amour-propre national
est sauvé, du moins si nous en jugeons sur l'échan-
tillon des grands seigneurs étrangers, dont les por-
traits sont exposés au Louvre cette année.
Ah ! quels grands seigneurs, vilains !—Nous pre-
nons le mot de vilain dans son acception non rotu-
rière, car, du reste, ces messieurs peuvent être de
parfaits gentilshommes !
Voici entr'autres portraits l'image exacte d'un win
ce qualifié d'Orange, par le livret, bien qu'il\1
complètement citron.
Si ce portrait est ressemblant, on ne peut pas trai-
ter le peintre de courtisan, car il ne flatte pas les
princes.
Du reste M. Winterhalter a montré une pareille
indépendance, et, poussant même trop loin ces idées
Spartiates il s'est plu, à enlaidir les têtes couronnées
qui l'avaient honoré de leur confiance.
Où allons-nous, bon Dieu ! où allons-nous !
Si l'on ne veut plus que du laid, j'aime autant
qu'une loi décide tout de suite qu'on ne fera plus
que des portraits au Daguerréotype.
Il n'est pas une seule nation qui ait été épargnée,
cette année, par le pinceau des artistes français, qui
se plaisent tous à se poser en grands caricaturistes.
En voyant toutes ces figures plus comiques tes
unes que les autres, notre ami Cham était dans la
consternation, il se voyait tout à fait éclipsé par cin-
quante rivaux dont les coups d'essai étaient des coups
de maître.
C'est surtout l'Angleterre qui a fourni une grande
quantité de portraits exhilarans.
A Londres, où le spleen est si commun, on a ré-
solu de le combattre par tous les moyens, et il parait
que les tableaux de familles ne seront plus faits que
dans le genre comique.
On ne pourra plus regarder un cousin sans avoir
de l'agrément, et un oncle quelconque sans rire aux
éclats.
C'est ce qu'on peut appeler de la peinture émi-
nemment philantropique ! Désormais, en Angleterre,
plus de suicides, plus de pendaisons pour cause d en-
nui infiniment trop prolongé. Tout le long du jour on
rira, et une visite à la galerie de ses ancêtres equv
vaudra, pour un Anglais, à une soirée passée au théâ-
tre des Variétés.
Quinze à dix-huit cents tableaux ont été barbare-
ment refusés. Aussi le suisse du Louvre, qui est le
seul représentant visible du jury, a-t-il continué,
comme toujours, à être quelque peu étranglé par les
rapins exaspérés.
La place de suisse à la porte du Louvre n'est pas
déjà une sinécure aussi agréable qu'on se l'imagine
généralement en société.
Faisons comme le public, précipitons-nous dans la
grande galerie du Louvre, et allons admirer tout ce
que l'art français est parvenu à confectionner dans
l'espace de douze mois.
La première impression qui résulte à l'aspect de
ces trois mille tableaux, c'est qu'on a fait d'immen-
ses progrès dans l'art... de l'encadrement.
Presque toutes les dorures exposées cette année
sont dignes des plus grands éloges, et si j'étais mil-
lionnaire, je n'hésiterais pas à payer, même fort
cher, un certain nombre des tableaux de l'exposi-
tion de cette année.
Par exemple, je ferais enlever les toiles et je les
remplacerais par des glaces.
Mais avant de critiquer les tableaux, passons d'a-
bord en revue les critiques eux-mêmes du Salon de
1846.
Voici M. Gustave Planche qui nous arrive d'Italie
pour reprendre la férule de la Revue des Deux-
Mondes. Son costume continue à être infiniment plus
négligé que son style.
Que voulez-vous ! on ne peut pas tout soigner en
même temps!
Non loin de M. Gustave Planche, nous apercevons
la tète absalonienne de M. Théophile Gautier, cet
homme de tant d'esprit et de cheveux.
M. Théophile Gautier est en admiration devant un
Delacroix ; ne le dérangeons pas ; chacun prend son
plaisir où il le trouve.
Plus loin, nous rencontrons le critique des Dé-
bats, cet excellent M. Delécluse, qui, à l'instar
du maire de Meaux, dit toujours : « Très bien !
très bien ! »
Plus loin encore, voici le Constitutionnel person-
nifié en la barbe de M. Thoré, et le Siècle, qui prend
des notes avec le crayon de M. Alfred de Menciaux,
escorté de M. Lépaule, qui lui dit le plus grand bien
des tableaux de M. Lépaule.
Nous passons sous silence les trois cent vingt-sept
Aristarques, tous plus impartiaux les uns que les au-
tres et ne prenant tout qu'au point de vue de l'art.
0 l'art, le grand art, le saint art !
Quant au Charivari, il était représenté parle plus
petit de ses rédacteurs et le plus grand de ses des-
sinateurs; mais tous deux également amateurs du
vrai beau.
V
^> O r A \ \ l O / ") /H) lit IV
Ceci posé commençons par où les autres critiques
finissent d'ordinaire,—par les portraits.
Le public passe rapidement devant ces figures iso-
lées vues de face, de trois quarts ou de profil, — le
public a tort.
Sans les portraits, le Salon perdrait beaucoup de
ses charmes à nos yeux, car ce n'est qu'au Salon
qu'on peut apprendre à- connaître ses contemporains,
ce n'est que là qu'on trouve véritablement les Fran-
çais peints par eux-mêmes, et ils sont plus réjouis-
sans que ceux de l'éditeur Curmer.
Nous pourrions nous imaginer en voyant cette col-
lection de figures vertes, jaunes, lilas ou cramoisies,
que les Français forment la nation la plus laide de
l'Europe.
Mais heureusement notre amour-propre national
est sauvé, du moins si nous en jugeons sur l'échan-
tillon des grands seigneurs étrangers, dont les por-
traits sont exposés au Louvre cette année.
Ah ! quels grands seigneurs, vilains !—Nous pre-
nons le mot de vilain dans son acception non rotu-
rière, car, du reste, ces messieurs peuvent être de
parfaits gentilshommes !
Voici entr'autres portraits l'image exacte d'un win
ce qualifié d'Orange, par le livret, bien qu'il\1
complètement citron.
Si ce portrait est ressemblant, on ne peut pas trai-
ter le peintre de courtisan, car il ne flatte pas les
princes.
Du reste M. Winterhalter a montré une pareille
indépendance, et, poussant même trop loin ces idées
Spartiates il s'est plu, à enlaidir les têtes couronnées
qui l'avaient honoré de leur confiance.
Où allons-nous, bon Dieu ! où allons-nous !
Si l'on ne veut plus que du laid, j'aime autant
qu'une loi décide tout de suite qu'on ne fera plus
que des portraits au Daguerréotype.
Il n'est pas une seule nation qui ait été épargnée,
cette année, par le pinceau des artistes français, qui
se plaisent tous à se poser en grands caricaturistes.
En voyant toutes ces figures plus comiques tes
unes que les autres, notre ami Cham était dans la
consternation, il se voyait tout à fait éclipsé par cin-
quante rivaux dont les coups d'essai étaient des coups
de maître.
C'est surtout l'Angleterre qui a fourni une grande
quantité de portraits exhilarans.
A Londres, où le spleen est si commun, on a ré-
solu de le combattre par tous les moyens, et il parait
que les tableaux de familles ne seront plus faits que
dans le genre comique.
On ne pourra plus regarder un cousin sans avoir
de l'agrément, et un oncle quelconque sans rire aux
éclats.
C'est ce qu'on peut appeler de la peinture émi-
nemment philantropique ! Désormais, en Angleterre,
plus de suicides, plus de pendaisons pour cause d en-
nui infiniment trop prolongé. Tout le long du jour on
rira, et une visite à la galerie de ses ancêtres equv
vaudra, pour un Anglais, à une soirée passée au théâ-
tre des Variétés.