LES PORTRAITS DE LORENZO LOTTO
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même temps très nerveux, très irritable. A peine a-t-il chez lui
un apprenti, que son voisinage, avant que l’année soit révolue, l’im-
portune déjà ; il le trouve « trop ennuyeux » et le congédie « très
amicalement ». Après une nouvelle tentative pour prendre de nou-
veaux élèves, il y renonce tout à fait, en 1552, parce qu'ils lui
paraissent « trop ingrats ». Sur le tard, comme il a besoin d’être
entouré de sympathie, « voyant que, déjà avancé en âge, il ne sent
à côté de lui aucune affection », il se décide, sur les conseils d’un
ami, à devenir l’hôte d’un certain Zuane del Saon, à Trévise, et il
fait un testament en faveur du fils de ce Zuane. Mais l’accord ne
dure pas longtemps. Sur quelques plaisanteries qu’on lui adresse,
il quitte Trévise, sans avoir même une chemise sur le dos. Dans
sa détresse, il a cependant conservé plusieurs pierres gravées dont
il se délecte et peut-être aussi ce tapis (l'Orient qu’on retrouve dans
plusieurs de ses portraits ou de ses tableaux.
Très laborieux, il est aussi très désintéressé, fort insouciant du
prix qu’il pourrait tirer de ses peintures. Il les cède pour des
sommes minimes ; il en laisse même en dot à deux jeunes filles « d’un
caractère doux, saines d'esprit et de corps ». Une autre est donnée
par lui à la veuve d’un de ses confrères, « à condition qu’elle se
remarie le plus tôt possible, pour éviter de faire parler d’elle ». Il
ne goûte quelque tranquillité que dans les pieux asiles où de temps
à autre il se réfugie. A Venise, il entre à l’hôpital des moines de
Saint-Jean et de Saint-Paul, auxquels il lègue à deux reprises tout
son bien, « à èondition qu’il sera enterré dans l’habit de leur ordre ».
Mais là encore il ne peut se tenir, et il quitte Venise pour se retirer,
en 1554, à Loreto, où bien des fois déjà il avait séjourné. C’est à
la Vierge qu’il s’y consacre, en se donnant lui-même avec tous ses
biens à la Santa Casa. Dans le contrat qu’il passe en s’y faisant
admettre, il est dit qu’il devra avoir une chambre, un domestique
attaché à sa personne, et qu’en considération de la rente qu’il aban-
donne, (( il sera honoré comme un bienfaiteur et recevra un florin
par mois, pour en disposer librement ». C’est là, dans le travail et
la prière qu’il passe les quatre dernières années de sa vie, sans autre
incident qu’une querelle avec les domestiques du couvent, comme
s il devait montrer jusqu’au bout son humeur un peu difficile. Sauf
ce léger ennui, il avait enfin trouvé le repos auquel il aspirait
depuis si longtemps.
« Les derniers moments de son existence, nous dit Vasari,
s écoulèrent dans le bonheur et la paix la plus parfaite, et il est
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même temps très nerveux, très irritable. A peine a-t-il chez lui
un apprenti, que son voisinage, avant que l’année soit révolue, l’im-
portune déjà ; il le trouve « trop ennuyeux » et le congédie « très
amicalement ». Après une nouvelle tentative pour prendre de nou-
veaux élèves, il y renonce tout à fait, en 1552, parce qu'ils lui
paraissent « trop ingrats ». Sur le tard, comme il a besoin d’être
entouré de sympathie, « voyant que, déjà avancé en âge, il ne sent
à côté de lui aucune affection », il se décide, sur les conseils d’un
ami, à devenir l’hôte d’un certain Zuane del Saon, à Trévise, et il
fait un testament en faveur du fils de ce Zuane. Mais l’accord ne
dure pas longtemps. Sur quelques plaisanteries qu’on lui adresse,
il quitte Trévise, sans avoir même une chemise sur le dos. Dans
sa détresse, il a cependant conservé plusieurs pierres gravées dont
il se délecte et peut-être aussi ce tapis (l'Orient qu’on retrouve dans
plusieurs de ses portraits ou de ses tableaux.
Très laborieux, il est aussi très désintéressé, fort insouciant du
prix qu’il pourrait tirer de ses peintures. Il les cède pour des
sommes minimes ; il en laisse même en dot à deux jeunes filles « d’un
caractère doux, saines d'esprit et de corps ». Une autre est donnée
par lui à la veuve d’un de ses confrères, « à condition qu’elle se
remarie le plus tôt possible, pour éviter de faire parler d’elle ». Il
ne goûte quelque tranquillité que dans les pieux asiles où de temps
à autre il se réfugie. A Venise, il entre à l’hôpital des moines de
Saint-Jean et de Saint-Paul, auxquels il lègue à deux reprises tout
son bien, « à èondition qu’il sera enterré dans l’habit de leur ordre ».
Mais là encore il ne peut se tenir, et il quitte Venise pour se retirer,
en 1554, à Loreto, où bien des fois déjà il avait séjourné. C’est à
la Vierge qu’il s’y consacre, en se donnant lui-même avec tous ses
biens à la Santa Casa. Dans le contrat qu’il passe en s’y faisant
admettre, il est dit qu’il devra avoir une chambre, un domestique
attaché à sa personne, et qu’en considération de la rente qu’il aban-
donne, (( il sera honoré comme un bienfaiteur et recevra un florin
par mois, pour en disposer librement ». C’est là, dans le travail et
la prière qu’il passe les quatre dernières années de sa vie, sans autre
incident qu’une querelle avec les domestiques du couvent, comme
s il devait montrer jusqu’au bout son humeur un peu difficile. Sauf
ce léger ennui, il avait enfin trouvé le repos auquel il aspirait
depuis si longtemps.
« Les derniers moments de son existence, nous dit Vasari,
s écoulèrent dans le bonheur et la paix la plus parfaite, et il est